« Inutile de demander, à Noël, si la tranche de saumon fumé posée dans votre assiette provient d’un salmonidé sauvage et tricolore. On ne trouve quasiment plus de saumons dans nos fleuves et rivières. La faute à la pollution et aux barrages hydrauliques. Mais aussi aux poissons chats géants. Importés du Danube il y a une cinquantaine d’années les silures, c’est leur nom, raffolent des salmonidés.

Une étude conduite en 2018 dans la Garonne a montré que cette grosse bestiole, qui dépasse facilement les 2 mètres et les 100 kilos, est capable d’engloutir, lorsqu’elle repère une passe à poissons et s’y installe en embuscade, 35% des saumons qui s’y pointent ! Pour protéger nos salmonidés, les pouvoirs publics se sont dits qu’il fallait encourager la pêche au silure.

Les restaurateurs des coins à silure ont sauté sur l’occasion pour mettre à la carte ce poison pas cher et facile à cuisiner. Le molosse est proposé aux clients en sauce, carpaccio, confit, brandade ou terrine.

Sauf que la chair des silures est chargée de mercure, et surtout de perturbateurs endocriniens, les fameux PCB. Interdites en 1987 en France, ces joyeusetés chimiques, utilisées comme isolants dans les transformateurs électriques, se sont accumulées dans les cours d’eau et continuent de régaler la faune aquatique. Notamment notre silure qui, en plus du saumon, se gave d’anguilles, l’une des espèces les plus plombées en PCB.

Qu’importe, en 2016, pour sauver la peau des saumons, les ministères de l’Environnement et de l’Agriculture rédigent une circulaire demandant aux Préfets de lever les interdictions de pêche et de consommation du silure dans les zones où la teneur en PCB est deux fois plus élevée que stipulé par la réglementation européenne.

Depuis on peut déguster du poisson-chat européen potentiellement contaminé dans une quinzaine de départements. Les 300 pêcheurs professionnels d’eau douce se sont même vu récemment proposer par les préfets une prime pour chaque capture de silure.

L’association Défense des milieux aquatiques a voulu savoir quel était le niveau réel de contamination de la bête. Les analyses réalisées sur trois silures pêchés dans la Dordogne ont révélé des taux jusqu’à 16 fois supérieurs à la limite fixée par Bruxelles.

L’association vient donc de saisir le Conseil d’état pour que la réglementation européenne sur la teneur limite en PCB dans la chair des poissons soit enfin respectée.

Comme on dit l’enfer est pavé d’arêtes… »

Source : « Poisson chat-perché ». Conflit de canard. Le Canard enchaîné, mercredi 22 décembre 2021.