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NE PAS CLIQUER
LES EAUX GLACÉES DU CALCUL ÉGOÏSTE
REMOUS
Irrigation : le dialogue introuvable, par Jean-François Périgné (*)
par Marc Laimé, 28 juin 2020

Mityliculteur à l’Ile d’Oléron, membre du secrétariat général de la Confédération paysanne, Jean-François Périgné analyse l’impasse actuelle du débat sur l’irrigation agricole, et dessine les pistes qui permettraient de surmonter le blocage instauré par les irrigants et le double langage de pouvoirs publics inconséquents.

« Une des sources majeures de conflit réside dans le fait que personne ne parle de la même chose. Tout le monde est d’accord sur la notion de l’eau « bien commun ». Par contre, on se contente toujours de parler données techniques, le plus souvent très absconces. Sans nier l’importance de cet aspect du débat, je pense que rien n’avancera tant qu’on n’aura pas posé un cadre partagé par tous et indiscutable. Les uns ne pensent qu’à préserver une situation préexistante, ne l’améliorant à la marge dans le meilleur des cas, à l’échelle économique de leur carrière professionnelle, sans se soucier plus que ça de l’avenir des générations futures et donc de leurs propres enfants, peut-être futurs repreneurs de leurs exploitations agricoles. D’autres pensent conséquences sur le long terme et donc sur l’avenir de la planète et de l’humanité. Elle est là aussi, la frontière et l’incompatibilité source de conflit.

J’ai assisté récemment à une réunion nationale dont l’unique objet était d’entendre les jérémiades des irrigants sur le fait que les associations gagnent presque toujours leurs recours contre les autorisations préfectorales de construction de bassines de substitution. Les représentants des ministères présents avaient pris la peine de faire intervenir une juriste spécialiste du droit de l’eau qui, leur a expliqué pourquoi et comment les juges prenaient leurs décisions. On ne peut pas accuser un juge d’avoir un parti pris pro environnementaliste. Il juge sur le droit et uniquement le droit. Et en l’occurrence, le texte qui prime est la Directive cadre européenne sur l’eau (DCE). Les arrêtés préfectoraux n’ont aucune valeur juridique. Le problème serait vite résolu : il suffit que les irrigants déposent des projets en accord avec le droit. Ils ont passé le reste de la réunion à accuser l’Etat de vouloir les empêcher de travailler.

C’est la même réponse quand ils arguent du fait de ne pouvoir sortir des pesticides alors que ça fait des dizaines d’années que des milliers de paysans bios ou en Agriculture Paysanne prouvent le contraire et que même l’INRA montre qu’économiquement ils s’en tireraient mieux, la baisse des rendements étant contrebalancée par une meilleure qualité et une économie plus que substantielle sur les intrants ! Ne parlons pas de l’absence totale de bon sens paysan lorsque tous les ans, depuis 30 ans, des paysans cultivent la même céréale sur les mêmes parcelles, au mépris de la pratique ancestrale des rotations de culture qui protègent des adventices et autres maladies parasitaires. Ils m’ont fait l’effet de gens totalement autistes, braqués sur leurs habitudes et très loin d’une volonté d’évoluer pour le bien commun. Il y a là aussi une explication des clivages et des tensions entre les différents intervenants sur le sujet.

Lorsque nous dénonçons les conséquences sur la vie des océans de cette gestion qualitative et quantitative calamiteuse de l’eau, ce n’est pas tant pour stigmatiser les conséquences économiques à court terme sur les productions halieutiques (pêche, conchyliculture), que pour attirer l’attention sur la dégradation continuelle de la biodiversité marine. Cette année, nous déplorons encore 60% de mortalité sur les moules de la baie de l’Aiguillon, directement concernées par les projets de bassines des Deux-Sèvres. Si problème économique à venir il y a, on pourrait y ajouter le tourisme, pilier des départements littoraux, et dont l’attractivité est largement liée aux productions marines bien plus qu’à celle du maïs ! Non, notre alerte est bien plus grave. L’océan est le moteur du climat. Nos coquillages, de par leur biologie, sont des puits d’azote en ce qu’ils consomment le phytoplancton dont la source est l’apport en nitrate des fleuves côtiers. En outre, pour leur croissance, ils fixent le carbone relâché dans l’atmosphère pour fabriquer leur coquille. Ce carbone est fixé à des échelles de temps géologiques, contrairement aux solutions terrestres (couverture végétale, forêts), qui relarguent à un moment ou un autre de leur utilisation le carbone stocké. Alors oui, je rejoins complètement Benoît Biteau dans sa demande pressante que soit associé le Parc naturel marin des estuaires pour avis conforme. Entre le pertuis Breton et celui d’Antioche, il s’agit là de 20% de la production de moules françaises et du premier bassin ostréicole d’Europe, soumis au bon vouloir de quelques dizaines d’irrigants ! D’ailleurs, à ce propos, un indice supplémentaire pourrait être ajouté dans la gestion préventive des débits d’eau. IFREMER maîtrise très bien les débits minimaux indispensables au bon fonctionnement des estuaires. En 2019, le débit à l’estuaire de la Charente était de 9 m3/s : juste un gros robinet ! Absolument incompatible avec la survie des larves de coquillages qui se reproduisent à cette période estivale. Donc surveiller le débit des fleuves côtiers à l’estuaire, et en faire un critère d’alerte, me paraît être une proposition nouvelle qui irait dans le bon sens

Ce problème de la non prise en compte des incidences sur l’océan des réflexions des « terriens » sur la gestion de l’eau est symptomatique d’une méconnaissance totale de ce qu’est en réalité le grand cycle de l’eau. Je pense même qu’on ne peut pas et qu’on ne doit pas dissocier l’océan des autres masses d’eau.

Ainsi du problème des chevelus. C’est la première masse d’eau en volume avant les rivières et les fleuves. Ils sont les racines de l’océan et la révision de la cartographie des cours d’eau qui a amené à la disparition de nombre d’entre eux, sous la pression du syndicat majoritaire, est une véritable catastrophe environnementale annoncée. Intervenir par quelque moyen que ce soit sur la continuité écologique (suppression des petits cours d’eau, barrages, forages dans les nappes, drainage, imperméabilisation des sols…), c’est atteindre directement à l’intégrité de l’océan, et par là même aggraver les conséquences du dérèglement climatique. Sans cette vision globale, toute démarche, quelles que soient ses bonnes intentions, sera vaine et sans résultat concret vers une amélioration de l’existant.

Une des autres sources du conflit est le vocabulaire employé. Comment concilier des gens lorsque leur compréhension d’un même vocable est incompatible ? Quelle définition donne chacun de nous des termes agro écologie, substitution, par exemple, pour n’en citer que deux qui me viennent spontanément à l’esprit ?

Un autre aspect important c’est l’articulation qui est faite à l’échelle du pays entre les différentes études menées sur le même sujet ? Soit les différentes auto saisines de CESE régionaux, du CESE national, les études commandées par Agences, les régions, les Assises de l’eau, les réflexions engagées face au risque de pénurie, mais également sur les zones humides, on a un peu l’impression d’une multitude d’initiatives sans vraiment voir le lien qui les unit. Toutes font ressortir les mêmes constats alarmants, et il n’y a toujours rien de visible en terme de décisions fortes au plus haut niveau de l’Etat, malgré l’urgence. Cela aussi est un facteur aggravant des conflits sur le terrain.

Nous sommes toujours, à la Confédération paysanne, en dépit de trois courriers, dans l’attente d’une réponse quant à notre demande de participation au Comité national de l’eau (CNE), où seule siège la FNSEA considérée, au mépris de la simple démocratie, comme représentant l’ensemble de la profession agricole. La gouvernance actuelle - en plus du financement – demeure un souci majeur ! »

(*) Jean-François Périgné est membre du secrétariat général de la Confédération paysanne.

Confédération paysanne -.

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commentaires

1 Irrigation : le dialogue introuvable, par Jean-François Périgné (*)

Merci c’est fort instructif

poste par Yoann lavaud - 2020-07-13@21:57 - repondre message
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