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LES EAUX GLACÉES DU CALCUL ÉGOÏSTE
REMOUS
Chasses à courre pour les nouveaux hobereaux bretons
par Marc Laimé, 8 août 2023

En Bretagne profonde, tycoons de l’agro-business et politiques ressuscitent les pratiques de l’Ancien régime en privatisant à leur profit les espaces naturels pour y pratiquer un de leurs loisirs de prédilection : la chasse à courre. Les habitants s’indignent. L’Etat valide les caprices des nouveaux seigneurs.

René Ruello n’a pas l’aura médiatique d’un François Pinault ou d’un Michel Leclerc, ses homologues bretons qui, comme lui, se targuent de « s‘être faits tout seuls » et posent aux mécènes férus de culture. Mais il leur dispute une ambition sans borne.

Fils d’un modeste mitron, notre homme a créé dans les années 80 un empire de la boulangerie industrielle. Panavi affichait à l’orée des années 2010 plus de 300 M€ de chiffre d’affaires annuel, employant 3000 salariés et consommant 5% de la production française de beurre… En 2008, le stakhanoviste avait revendu son empire à prix d’or à un groupe belge, quelques semaines avant la flambée du prix des matières premières.

Passionné de football il se confiait en mars 2014 au magazine Bretons : “La corrida est l’une de mes passions. J’aime cette ambiance d’arène dans laquelle le torero défie l’animal. Sur un terrain de football, on ne met pas à mort l’adversaire mais on cherche aussi à le dominer. À le terrasser pour triompher !” » (1).

Exaspéré par ce Stade Rennais sans panache qui se laisse encorner, à l’image de la finale de la Coupe de France 2014 face à l’En Avant de Guingamp, il avait toutefois accepté de reprendre du service au sein de son club de cœur. François Pinault, l’actionnaire unique, s’était plié aux conditions de celui qui fut président de l’équipe rennaise de 1990 à 1998, puis de 2000 à 2002 : une entrée au capital assortie d’un droit de préférence sur les parts de la famille Pinault en cas de revente du club, ainsi que les pleins pouvoirs pour “construire un club durable avec une âme”.

Mais il démissionnera assez piteusement de son 3ème mandat de président en 2017, après avoir été condamné pour diffamation et injure à arbitre (2).

Il va ensuite multiplier des acquisitions immobilières sur la Côte d’Émeraude, rachète des hôtels dans le centre de Rennes, et mise sur le marché délicat de l’exploitation forestière.

Il avait racheté en 2011 la villa de la pointe du Nick, à Saint-Lunaire, le havre de Nicolas Hulot. Il voulait, déjà, y créer un établissement très haut de gamme. Mais la revendra finalement à un couple d’Ukrainiens.

En 2019, insatiable, il ouvre à Pont-Aven dans le Finistère un restaurant gastronomique inauguré en grande pompe en présence de l’alors ministre Le Drian, où il a le projet d’implanter un centre d’art contemporain dans une friche industrielle, source d’un violent pataquès juridique avec la mairie.
Il en faudrait plus pour l’échauder. Notre apprenti hobereau fera finalement un retour aux sources.

A la tête aujourd’hui d’une galaxie de 21 sociétés, essentiellement immobilières, il avait aussi jeté son dévolu à la fin des années 2000 sur le petit village rural de Saint-Launeuc, 190 habitants, dans les Côtes d’Armor, à 70 kilomères kilomètres de Rennes, près de Merdignac, la commune qui l’a vu naître et dans laquelle son géniteur possédait une modeste boulangerie.

Magie des forêts bretonnes

Nous sommes au pays de l’Argoat, en centre Bretagne, au cœur du plateau de Rohan qui s’étend de la baie de Douarnenez à la Sarthe. Merdrignac, à peine 3000 habitants, à 60 kilomètres de Rennes, se trouve à proximité de deux axes routiers majeurs, la RN 164, future artère autoroutière du centre Bretagne qui traverse la communauté de communes de Loudéac et l’historique RN 12, qui relie Rennes à Brest, en passant par Saint-Brieuc.

Merdrignac appartient à une unité paysagère, le plateau de Pontivy-Loudéac, plus précisément le plateau de l’Yvel qui montre aujourd’hui des étendues cultivées, céréales et fourrages, associées à des restes de bocage, forêts, boisements, paysages qui portent, selon le géographe Pierre-Yves Le Rhun (4), la marque d’une spéculation qui a éliminé la polyculture vivrière et l’élevage au profit d’une « étendue céréalière qui rappelle maintenant la Beauce, à moins que ce ne soit le Middle West. »

Au nord, la forêt de la Hardouinais est un massif boisé continu avec des lisières nettes, situé sur une zone plutôt plane où alternent les parcelles d’essences feuillues et de conifères.

Le chatelain en son château

C’est là, dans ce village de Saint-Launeuc, qui somnolait paisiblement, localement connu « pour son if remarquable et la qualité de son fleurissement » que notre capitaine d’industrie décide d’implanter son fief, en y aménageant un complexe touristique haut de gamme pour une clientèle de « happy fews », avec chasse à courre en ses bois, repas gastronomiques en son auberge « 3 étoiles », pimentés par quelques sauteries pour VIP en son castel.

Nouveau seigneur du cru, il achète dès mars 2009, le massif forestier et le domaine de la Hardouinais, avec son château, son vaste étang intercommunal, sans compter la modeste auberge du centre bourg, des parcelles de terre et des habitations... 23 millions d’euros seront investis « sans le foncier » et le centre bourg sera totalement réaménagé pour 500 000€ … à la charge de la commune !
Les habitants quant à eux, assistent ébaubis, à l’avalanche de millions qui s’abat sur leur commune et la renverse cul par dessus tête, avec, entre autres « cadeaux » un chenil de quelque 200 chiens de chasse à courre à quelques centaines de mètres de leurs maisons !

Emoi dans le village. Les indigènes se rebellent, tempêtent, se regroupent, refusant de voir leur commune vendue par leurs élus, et leur paisible lieu de vie, transformé en « réserve d’Indiens » …

Les seigneurs chassent en meute

Ici apparaît un autre personnage haut en couleurs, le comte de Gigou, nobliau décavé, de haute branche et de vieille souche, aujourd’hui âgé de 77 ans. Né dans les environs de la Roche sur Yon, au domaine des Oudairies, le jeune Michel décide de s’installer en Bretagne, à Langast dans les Côtes d’Armor, sur une propriété de 45 hectares appartenant à son grand-père où il va prospérer.

Eleveur-vendeur de trotteurs, reconnu sur les champs de course, il est propriétaire d’une meute de 200 chiens dressés pour la chasse à courre basée jusqu’en 2011 au château de la Bourbansais en Ille et Vilaine.

A la suite d’un différend avec le comte de Lorgeril, propriétaire du dit domaine, qui aboutira à sa condamnation pour une magouille sur un fumeux partage de chiens, notre comte se voit contraint de transférer sa meute ailleurs.
Là voilà hébergée dare-dare, dans un ancien bâtiment agricole sur la commune du Loscouët sur Meu, dans les Côtes d’Armor, grâce à des autorisations « temporaires » préfectorales... hors tout cadre réglementaire, provoquant, entre autres nuisances, une importante pollution du milieu naturel comme en témoignent des riverains.

« … Une de nos parcelles de terre est tellement saturée par des écoulements qui viennent du chenil que nous avons dû obliger Mr Montoux [le piqueux de l’Equipage] à faire exécuter des travaux afin que leurs rejets aillent ailleurs. Cette parcelle est bordée sur un autre côté par la route qui conduit au chenil ; Le long de ce talus, le fossé est plein d’eau polluée qui stagne ».

En 2014, ses chiens installés dans le flambant neuf chenil de Saint-Launeuc, le comte pourra exploiter la nouvelle installation en organisant des battues réservées au gratin, au grand dam des habitants.

La jacquerie

Nos croquants ont vite compris qu’ils ont affaire à un nouveau gotha, ces nouveaux seigneurs bretons enrichis par un demi-siècle de saccage de l’agro-industrie, aveuglement encouragée par tous les gouvernements qui se sont succédé depuis les années soixante (5).

Leur avenir ? Remisés - avec les chiens - dans l’arrière-cour de ce futur « centre de tourisme nature et loisirs » à l’ambition « locale, nationale et internationale » (sic).

Le centre équestre et le potager « réenchanté », dans le parc du château, la forêt où se pratique « l’art de la vénerie », les trois restaurants et leur hôtel trois étoiles aux « soirées oenologiques d’exception » de l’auberge transformée, les circuits de promenades diverses et variées, autant de lieux d’élégance forcément éloignés du chenil, dont les nuisances (bruits, pollution du milieu, norias de véhicules divers) leur seront réservées.

Tous partagent la même question quant au choix du site pour la relocalisation du chenil.

Pourquoi l’implanter aussi près des habitations avec le risque de dégrader la qualité de vie de leurs occupants alors que son propriétaire a tout loisir de le faire édifier ailleurs, dans les 2200 hectares de la forêt de la Hardouinais dont il s’est rendu acquéreur ou dans le vaste parc de son château ?

On se questionne aussi sur l’étang qui, entièrement vidé de son eau, a entraîné la disparition de la base de loisirs nautiques intercommunale qui faisait la joie des enfants du coin et de leurs parents.

Sans compter que les jours de chasse, la route départementale qui conduit à Merdrignac – où se trouvent les commerces et ce qui reste de services publics- se voit « privatisée »…

Dix ans de contentieux

Une pétition contre le projet, forte de 50 signatures est remise à la mairie qui voit son conseil municipal exploser, lorsqu’on apprend qu’il s’agit de voter un « projet global, indissociable » (pas de chenil, pas d’eau dans l’étang ; c’est à prendre ou à laisser !) Après avoir signé le permis de construire, le maire démissionne et se voit remplacé par sa deuxième adjointe – toute acquise aux nouveaux arrivants.

Entre 2014 et 2021, ce ne seront pas moins de 6 procédures qui seront engagées par un groupe de têtes dures en butte à d’incessantes pressions mais forts de nombreux constats d’huissiers et de témoignages d’habitants.

« J’entends les aboiements du chenil de Saint-Launeuc, parfois matin et soir bien qu’habitant à 2km, à vol d’oiseau ». « De mon logement (distant) de 1,5km environ du chenil, j’entends quotidiennement la meute de chiens aboyer vers 8h-8h30 Il m’arrive également, comme cette nuit à 3h du matin, d’être réveillée par ces dits aboiements si je laisse ouverte ma fenêtre de toit. Au printemps, cette année, les chiens ont aboyé à minuit et récidivé à 6h du matin, me réveillant également par deux fois.

Et il m’est impossible d’ignorer les jours de départ à la chasse quand les aboiements s’amplifient à une puissance 10 ».

Le dossier montera juqu’au Conseil d’État avant, trois années plus tard, d’être rejugé par la Cour d’appel de Nantes, qui prononcera le 17 novembre 2021 l’arrêt définitif de d’exploitation du chenil. Extrait de la décision : « (…) l’arrêté (de l’autorisation de l’exploitation est) entaché dans sa totalité. La décision contestée est, par suite, insusceptible d’être régularisée par une autorisation modificative. Dès lors, il n’y a pas lieu de surseoir à statuer en vue d’une régularisation. »

Que croyez-vous qu’il arrivât ? Rien…

Loin de s’embarrasser de cette décision d’une sévérité exemplaire, les activités de vénerie se poursuivent de plus belle, sans provoquer le moindre battement de cil de la part d’une quelconque autorité.

L’exploitant, notre comte de Gigou, se défausse de toute infraction dans la presse locale : « Depuis [la décision de la Cour d’appel] nous nous mettons en conformité (sic) avec l’aide et la pression de la Direction départementale de protection de la population des Côtes d’Armor » (6).

Connivences

La maire de la commune, soutien indéfectible de tout ce beau monde, après avoir liquidé son affaire de transport et vendu ses locaux commerciaux à l’investisseur, se rêve un avenir politique, lorsqu’une place lui est offerte sur une liste LR dissidente, pour les sénatoriales de 2020, aux côtés d’une élue départementale. Chasseuse à courre émérite, cette dernière avait réintroduit des chasses dans une zone du département jusque-là épargnée. Les élections tueront dans l’oeuf le rêve de la maire.

La communauté de communes trompette son enthousiasme pour le complexe touristique dans la presse et le soutient avec subvention et publicité (en 26 610 exemplaires) payée par l’argent du contribuable.

La puissance publique (gendarmerie et renseignement intérieur) est instrumentalisée à l’occasion pour exercer de piteuses pressions sur le groupe des mauvais coucheurs.

Les services de l’État par le truchement de la DDPP (Direction départementale de protection des populations) ont ignoré, pendant plus de 10 ans, les plaintes de riverains et, par leurs manquements, ont laissé prospérer la pollution du milieu naturel sur deux communes.

Les préfets qui, dès le débarquement des chiens au chenil « provisoire » du Loscouët, manifestaient une mansuétude sans faille à l’égard de l’Equipage de chasse, ont pris quelques libertés avec la réglementation environnementale.
Sans oublier le Ministère de l’Environnement qui s’est fendu d’un inattendu « mémoire ampliatif » de soutien à l’exploitant, produit devant la Cour de Nantes lors du premier Appel.

Le préfet des Côtes d’Armor a ouvert du 2 au 30 juin 2023 une « consultation du public » en vue d’effectuer ... « la régularisation » (sic) du chenil.
Il pouvait, dès lors, décider de délivrer un nouvel arrêté (une nouvelle fois) favorable à l’Equipage de chasse…

La nomination au JO le 13 juillet dernier de Phippe Gustin comme nouveau préfet de la région Bretagne et de l’Ille et Vilaine signera-t-elle, comme cela avait été le cas en Guadeloupe il y a quelques années, un retour bienvenu de l’état de droit ?

(1) Magazine Bretons n°101, septembre 2014.

(2) Ouest-France 23 avril 2019.

(3) Le Télégramme 6 octobre 2019 article et vidéo du discours de Jean Yves Le Drian. La petite sauterie ne figurait pas sur l’agenda du ministre.

https://www.letelegramme.fr/finistere/concarneau-29900/pont-aven-le-moulin-de-rosmadec-125680.php

(4) Pierre-Yves Le Rhun, Géographie économique de la Bretagne, Ed. Breiz, 1973.

(5) L’industrie agroalimentaire, un entrelacs de pouvoir et d’argent en terres bretonnes. Nicolas Legendre, Le Monde, 28 avril 2023.
https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/04/28/l-industrie-agroalimentaire-un-entrelacs-de-pouvoir-et-d-argent-en-terres-bretonnes_6168020_3225.html

Lire aussi du même auteur Silence dans les champs, Arthaud, 12 avril 2023.

(6) Ouest France 4 juin 2023.

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