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LES EAUX GLACÉES DU CALCUL ÉGOÏSTE
REMOUS
Toulouse : les enjeux cachés de la tarification « saisonnière », par Eau Secours 31
par Marc Laimé, 27 avril 2024

L’association d’usagers toulousaine a analysé les effets pervers d’une annonce démagogique, qui vise d’abord à préserver les intérêts des concessionnaires de la métropole, Veolia et Suez.

« Toulouse-Métropole, par délibération du 4 avril 2024, est la première intercommunalité importante à avoir mis en place une tarification saisonnière (1). Pour rappel, cette tarification se traduit par une augmentation du tarif (eau et assainissement) de 42% sur les cinq mois de juin à octobre, et une réduction de 30% sur les sept autres mois. La mesure prend effet à compter du 1° juin 2024.

Notre association, EAU SECOURS 31 (ES 31), s’est rapidement prononcée contre cette mesure, par distribution de tracts sur les marchés et manifestations, communiqué de presse, lettre ouverte à Jean-Luc Moudenc, président du Conseil de Métropole et maire de Toulouse, et enfin par une distribution de tract le 4 avril aux élu.e.s de la Métropole.

Il est intéressant de revenir sur les débats de cette journée qui ne font que confirmer et donner un nouvel éclairage sur les enjeux réels de cette mesure.

La démocratie bafouée

Soulignons d’abord que dès les interventions liminaires des divers groupes d’élu.e.s en début de séance, l’accent a été mis, notamment dans l’intervention de K. Traval-Michelet (PS) sur l’absence totale de concertation : annonce dans la presse avant même tout travail de la commission eau de la métropole, seule hypothèse envisagée, pas d’étude d’autres alternatives. Cela est si vrai que Pierre Trautmann (2) avait rajouté au diaporama présenté le 14 mars à la C.C.S.P.L. (3), une diapo supplémentaire listant toutes les réunions qui avaient soi-disant préparé les débats du 4 avril. ES 31 et d’autres associations avaient déjà protesté sur cette absence de démocratie lors de la tenue de la C.C.S.P.L.

Ce n’est pas seulement en été qu’il faut économiser l’eau

Très peu d’interventions (à part celle de J. El Arch) ont situé ce débat dans une perspective plus globale, celle du cycle de l’eau. Nous disions dans notre tract du 4 avril :

« Ce n’est pas seulement l’été qu’il faut économiser l’eau. C’est toute l’année que les nappes phréatiques se rechargent. Permettre à ce cycle naturel de retrouver un cours normal passe par la baisse de la consommation d’eau pour l’ensemble des activités humaines tout au long de l’année. Faire payer l’eau moins cher l’hiver, donne le message tout à fait contraire. »

La compréhension de cette question par P. Trautmann se limite à cette absurdité dans la diapo 4 : « Toute goutte d’eau non nécessaire à la Garonne qui se retrouve dans l’Océan est une goutte d’eau perdue ». Absurde car la Garonne a bien besoin de beaucoup de gouttes d’eau pour le maintien de sa biodiversité, pour diluer toutes les pollutions résiduelles de toutes les stations d’épuration qu’elle croise sur sa route, pour refroidir la centrale de Golfech, pour garder un équilibre (de salinité) dans son estuaire, sans parler de l’Océan lui même qui en a un grand besoin.
P. Trautmann a répondu la 4 avril à nos arguments en ne prenant en compte que le soutien d’étiage, affirmant que ces gouttes perdues pouvaient être stockées quand la Garonne a un débit de 250 m3/s . Dans de nouveaux barrages ? Des méga-bassines ? Pour « stocker l’eau » la priorité absolue est aujourd’hui de redonner à la nature sa capacité à la capter dans les sols. Priorité donc à la désimperméabilisation des sols tant en milieu urbain qu’agricole, à la restauration des zones humides, au ralentissement du cours du fleuve et de ses affluents (4).

« Ce n’est pas chez nous que ça se joue »

L’argumentation de P. Trautmann se fonde sur une réalité : alors que la ressource en eau dans les différentes usines de potabilisation provient en France pour 2/3 des eaux souterraines, et 1/3 des eaux de surface, à Toulouse 99% des eaux viennent de la Garonne. Et comme les études prévoient une réduction des débits de la Garonne de 20% à 40% à l’horizon 2050, dans la zone la plus concernée par cette réduction de débits, il convient donc de faire des efforts particuliers pour répondre à l’objectif de réduction de la consommation de 10% d’ici 2030 qui figure dans le plan Macron de 53 mesures présenté en mars 2023. Et P. Trautmann de rappeler qu’en 2023, 61,1 millions de m3 ont été déstockés (85% du stock disponible), pour le soutien d’étiage de la Garonne, ce qui constitue un record (5).

Ces chiffres sont incontestables, mais il en est un autre que P. Trautmann s’est bien gardé de donner et que M. Bleuse (EELV) lui a très opportunément rappelé, en citant ce qu’il disait lors du conseil de métropole de décembre 2018 :

« Pour le reste, la consommation d’eau des 780 000 habitants de notre Métropole, des entreprises, notamment Airbus et des administrations, de tout le monde, c’est 0,5 mètre cube par seconde, quand l’étiage est à 50 mètres cubes par seconde. C’est 1 %. Donc qu’on ne parle pas de gestion de la préservation de la ressource. En période où nous sommes vraiment concernés, quand il y a l’irrigation, l’ensemble de l’eau potable représente 6% de la consommation totale d’eau. Donc s’il y a des choses à contrôler, ce n’est pas notre eau potable, même si nous devons faire des économies, même si nous devons colmater nos fuites… mais ce n’est pas chez nous que cela se joue. »

Alors pourquoi tant de tapage, de communication excessive, de dramatisation, si l’essentiel se joue ailleurs ? En particulier dans l’irrigation, ce que P. Trautmann se garde bien de dire. D’autant qu’il y a un autre chiffre que P. Trautmann ne présente pas dans son diaporama, mais qui est donné dans d’autres documents : en 2023, les économies d’eau sur la métropole ont déjà atteint entre 7 et 8%. C’est une baisse déjà considérable et elle appelle au moins quatre remarques :

Cette baisse est concomitante à une augmentation de la population, et donc la baisse par habitant est plus grande encore.

D’où vient une telle baisse, des usagers domestiques, des commerces, des industries, des administrations, des hôpitaux, ... ? En l’absence de statistiques plus précises, il est difficile de faire des projections sur les économies supplémentaires possibles. Il est piquant de remarquer que sur ce point P. Trautmann a enfin accédé à notre demande en rajoutant une diapo donnant les différentes consommations selon les secteurs d’usagers.

Avec près de 8% d’économies réalisées, nous sommes déjà quasiment à l’objectif de 10%, et qu’on devrait y parvenir sans trop de difficultés, d’autant plus qu’il y a d’autres leviers que la consommation pour réaliser des économies : fuites (mais le réseau est parmi les meilleurs de France avec moins de 15% de fuites),

Enfin, plus important peut-être, si les différents usagers ont déjà réduit globalement leur consommation de plus de 7% en 2023, c’est qu’ils sont très conscients des enjeux, et qu’il est assez insultant de les inciter à économiser encore plus par une mesure ayant, quoi qu’on en dise, un caractère punitif pendant cinq mois.

« Impact financier de la tarification saisonnière pour les ménages »

C’est le titre de la diapo 37. Pour un foyer de 3 personnes consommant 120 m3/an, la facture annuelle passerait de 400,5 € à 401,1 €, soit + 0,6 €.
Et pour ce même foyer consommant 250 m3/an (150 en été et 100 en hiver), la facture passerait de 820,9 € à 904,3 €, soit + 83,4 €.

En quoi cela inciterait les ménages du 1° type à économiser l’eau pour une si faible différence de facture ? D’ailleurs quelle économie d’eau en été conduit à cette estimation ? Et il est totalement illusoire de penser que le tarif d’été poussera aux économies d’eau pour des foyers avec jardin et piscine qui manifestement disposent de moyens financiers permettant d’éponger sans problème un supplément de 83€.

Par contre, il est assez méprisant de noter que le surplus de douches en été ne coûterait que 6€ de plus par an. Faire valoir des augmentations qui « ne sont que de quelques euros pas an », pour la baguette de pain, pour tel transport, tel médicament ou fourniture scolaire, etc, est particulièrement indécent vis-à-vis des personnes à faibles revenus.

Haro sur la tarification progressive

Toulouse Metropole a mis beaucoup d’énergie à combattre la proposition de tarification progressive que nous formulons depuis longtemps basée sur la gratuité des premiers m3 pour les particuliers et une tarification progressivement de plus en plus élevée-au delà, ainsi qu’un tarif différencié pour les entreprises, commerces, administrations, etc.

P. Trautmann consacre pas moins de dix diapos pour flinguer la tarification progressive, en s’appuyant sur l’avis du C.E.S.E. (6) de façon très abusive. Certes, la tarification progressive peut être assez complexe à mettre en oeuvre, et certaines villes y ont renoncé. Ce n’est pas pour autant que le C.E.S.E s’y oppose, il met seulement en avant les difficultés, et insiste sur le fait que la tarification progressive n’a pas fait la preuve de son efficacité pour réaliser des économies de consommation.

Quant à la tarification saisonnière, si elle est adaptée pour les villes de grand tourisme estival, elle n’a pas fait la preuve de son efficacité pour les autres villes. Le C.E.S.E. note :

« Mise en œuvre dans la Communauté de communes du Pays Fouesnantais (CCPF) elle a eu « pas ou peu d’impact » pour les résidents qui y vivent à l’année mais, qu’en revanche cela a permis une juste mise à contribution des résidences secondaires, hôtels, campings et résidences de vacances. »

Enfin, signe d’un certain malaise, la majorité pro-Moudenc, peu assurée de l’efficacité de la tarification saisonnière, a fini par adopter deux propositions - présentées par des groupes d’opposition - de « mise à l’étude » : d’une part de la tarification progressive avec gratuité d’un certain nombre de m3, d’autre part de l’objectif que chaque logement dispose d’un compteur individuel directement relié au distributeur (car il y a là une vraie difficulté pour la mise en œuvre de la tarification progressive dans nombreux logements collectifs ).

Le véritable enjeu : les contrats

On finit par se demander si tout ça n’est qu’un exercice pas très habile de communication, et si les véritables enjeux ne sont pas ailleurs. C’est ce qu’on signalé plusieurs élus (M. Perré, P. Lacaze).

Rappelons que lorsque en 2018 Toulouse Metropole a opté pour une délégation de service public (et non une régie) et conclu un contrat avec Veolia pour l’eau potable et Suez pour l’assainissement, celles ci avaient, pour obtenir le marché, proposé des offres très alléchantes garantissant un prix « très bas ». Mais pour tirer cette offre au plus bas, les concessionnaires avaient (entre autres) tablé sur une augmentation globale de la consommation d’eau !

Comme dit plus haut, la consommation globale est en baisse (et nous nous en réjouissons) et les filiales toulousaines SETOM/VEOLIA comme ASTEO/SUEZ se retrouvent en déficit !

Impossible juridiquement que Toulouse Métropole compense ces « manques à gagner « liés à la baisse de consommation .... A MOINS QUE ...A moins que celle-ci puisse être considérée comme consécutive à un changement induit par la collectivité elle même ! Et c’est ce que vient de permettre la mise en place de la tarification saisonnière.

Le 4 avril, 2 avenants ont été votés dans lesquels « Toulouse Métropole s’engage à compenser les baisses de volume à condition qu’elles soient directement imputables à la tarification saisonnière ». Ceci pour les baisses constatées les 3 prochaines années compensées jusqu’à la fin du contrat en 2032 !

Par ailleurs on ne nous fera pas croire que J.L. Moudenc a découvert les bienfaits de la tarification saisonnière la veille de son annonce à la presse fin novembre 2023. Autrement dit Moudenc, Medina et Trautmann auraient parfaitement pu préparer le dossier un peu avant de façon à instaurer la nouvelle tarification au 1° janvier 2024. Ainsi, sur l’année civile, les usagers auraient pu bénéficier des - 30% sur cinq mois avant l’augmentation de 42% au 1° juin.
Grace à cette mise en service le 1er juin, comme l’a reconnu par P. Trautmann, c’est environ 12 millions d’euros supplémentaires qui vont rentrer dans les caisses en 2024..

Et si, « juré promis », rien n’ira directement dans les caisses de Veolia et Suez, c’est bien une « cagnotte » qui a été constituée pour pouvoir compenser les baisses à venir !

On sait, comme l’ont souligné plusieurs élu.u.es, que les deux filiales se trouvent en difficulté. P. Trautmann a donné lui-même les chiffres : sur trois ans (de 2020, début de la DSP, à 2022) Veolia (eau) et Suez (assainissement) ont perdu respectivement 8,5 et 27 millions d’euros. Attention, il est normal qu’en début d’exploitation, les délégataires soient en déficit lié aux investissements de début de contrat, d’autre part comme nous l’avions qualifié lors de la signature du contrat l’offre de Veolia nous apparaissait « insincère » . En tout état de cause nous pouvons penser que grâce à la tarification saisonnière Toulouse Métropole et les 2 délégataires ont trouvé un terrain d’entente pour donner un bol d’air aux comptes des deux entreprises.

« Ils ont voté, et puis après ? »

Après ? Eh bien il faudra d’abord qu’au plus tôt, dès début 2025, soit tiré un bilan de cette nouvelle tarification. Et nous ne contenterons pas de statistiques générales : nous exigeons aussi le bilan des consommations mensuelles des trois dernières années, et si possible par type d’usagers.

Et nous serons très attentifs à l’utilisation de la "cagnotte" des 12 millions d’euros et en particulier aux demandes de compensations de Veolia et de Suez, ainsi qu’au résultat de la négociation quadriennale prévue dans les contrats.

Nous exercerons notre vigilance pour que l’engagement des deux mises à l’étude (tarification progressive et compteurs individuels) soit réellement tenu.

Et pour conclure ...

Ce débat sur une mesure qui peut apparaître de prime abord de caractère essentiellement technique, soulève toute une série de questions. Au fond, ce n’est pas surprenant tant les différentes dimensions de la problématique de l’eau s’entrecroisent de façon parfois très complexe : crise climatique, cycle de l’eau, raréfaction de la ressource, modèle agricole, qualité de l’eau, conflits d’usages, tarifications, état des réseaux, etc.

Or le modèle français est basé sur un principe qui semble intangible : « L’eau paie l’eau ». Ce principe est manifestement à bout de souffle, car il se heurte à des contraintes qui ne manqueront pas de s’accroître dans les années à venir. Plusieurs rapports récemment publiés attestent de la crise qui affecte la viabilité de ce modèle, et appellent à une refonte radicale des modalités de financement des politiques publiques de l’eau. L’un d’eux (7) souligne :

« D’autres facteurs vont aggraver le besoin d’investissement : renforcement des exigences réglementaires pour la qualité de l’eau potable et pour le traitement des eaux usées, investissements pour sécuriser l’approvisionnement en eau potable face aux sécheresses... Alors que les charges des services d’eau sont majoritairement fixes, leurs recettes dépendent des volumes distribués. Or la consommation d’eau potable diminue de l’ordre de 1 à 2 % par an. Souhaitable, cette réduction se traduit pour les services d’eau par une diminution des recettes. Le modèle économique des services d’eau et d’assainissement n’est donc pas adapté à l’impératif de sobriété. Il est urgent de le réformer, dans le respect des principes d’équité, d’équilibre économique et de préservation de la ressource. »

Et le C.E.S.E. enfonce le clou : « Alors que les enjeux environnementaux actuels dépassent la tarification des services de l’eau potable, le CESE réinterroge donc le principe de « l’eau paie l’eau » en alertant sur la fin d’une eau « bon marché » à court ou moyen terme. »

Dans ce cadre, il ne fait aucun doute que Veolia et Suez s’arc-bouteront sur la défense de leurs privilèges, tant les délégations de services publics, dans le cadre de « l’eau paie l’eau », leur ont permis d’engranger de juteux bénéfices.

Alors qu’une tendance de fond en faveur de la gestion publique de l’eau se dessine ces dernières années dans de nombreuses collectivités locales, un débat sur la remise en cause du principe de « l’eau paie l’eau » nous semble nécessaire, et devrait renforcer les arguments en faveur d’une régie publique. A Toulouse comme ailleurs.

Notes :

(1) Toulouse-Métropole compte 37 communes et plus de 800 000 habitants dont plus de 500 000 à Toulouse.

(2) P. Trautmann, en charge de la commande publique, principal acteur de la politique de l’eau ; R. Medina, maire de Mondouzil, vice-président délégué à l’eau et l’assainissement.

(3) Commission Consultative des Services Publics Locaux, où siège ES 31, aux côtés d’autres associations et d’élu.e.s.

(4) Voir l’excellent article de l’O.F.B. : « questions-réponses sur les inondations ».

(5) Ces volumes sont achetés à EDF par le S.M.E.A.G (Syndicat Mixte d’Etudes et d’Aménagement de la Garonne), dirigé par la majorité P.S. du Conseil départemental.

(6) Conseil Economique Social et Environnemental.

(7) https://www.intercommunalites.fr/app/uploads/2024/03/2024_dossier-de-presse-eau-V5.pdf

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