Au terme d’un suspense insoutenable le Comité syndical du plus important syndicat des eaux français a attribué le 25 janvier le futur contrat de concession d’une durée de 12 ans et d’un montant de 4 millards deux cent millions d’euros à… Veolia ! L’admirable exercice de transparence du SEDIF, présidé depuis 1983 par le patriarche André Santini, a surtout révélé comme jamais l’escroquerie en bande organisée que constitue le processus de sélection des candidats, ici Suez et Veolia, à l’attribution d’un marché public, au travers de l’analyse des offres « multicritères » des impétrants. La video ci-après qui transmettait en direct les « débats » du comité syndical devrait à ce titre, comme les deux précédentes que nous avons déjà rediffusées, figurer au rang de tutoriel dans les classes préparatoires aux grandes écoles, à l’ENA et dans les écoles de commerce, publiques comme privées.
La séance débute par une déclaration solennelle de Don Santini, 83 ans, qui n’arrête pas de s’emmêler les pinceaux dans les feuilles que lui tend son directeur général. Il y annonce, bon prince, qu’il attendra pour signer le contrat que le Conseil d’état ait statué, après la séance qu’il doit tenir le 29 janvier, sur le recours en cassation introduit par Suez, qui demande l’éviction de Veolia et l’annulation de l’appel d’offres, après s’être fait retoquer en première instance par le TA de Paris, pour les motifs que nous avons déjà évoqués.
https://blog.mondediplo.net/guerre-de-l-eau-en-ile-de-france-l-hiver-du
https://www.eauxglacees.com/SEDIF-et-a-la-fin-c-est-toujours-Veolia-qui-gagne?var_mode=calcul
La mise en scène du show qui va suivre est marquée par la redondance des messages subliminaux qui insistent à l’envi sur le sérieux des « travaux » accomplis conjointement par les équipes du SEDIF, et les conseils « historiques » du syndicat, qu’il s’agisse de son avocat Mtre Neveu, associé jusqu’en 2010 à son compère Cabannes, lui aussi avocat « historique » de Veolia, ou du non moins « historique » assistant à maître d’ouvrage (AMO) Naldeo.
Justement c’est Didier Carron, PDG de Naldeo (dont un salarié a transmis l’offre de Suez à Veolia au cours de l’appel d’offres), à qui l’on a refilé le sale boulot, présenter la mystérieuse alchimie de « l’analyse multicritères des offres » des candidats, dont une jolie vignette présente les dossiers de 2 mètres de haut reçus au SEDIF.
"Un travail colossal, l’analyse de 57 memos et 52 sous-memos, chacun de 100 à 500 pages..."
Notre homme a du métier, sinon il ne serait pas là, ça se voit et çà s’entend tout au long de son exposé qui va durer plus d’une heure.
Les admirables équipes du SEDIF et leurs conseils historiques ont donc élaboré une grille d’analyse multicritères, outil forgé après l’adoption de l’épouvantable loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, dite loi « Sapin », du nom du ministre éponyme, qui est au fondement de l’escroquerie en bande organisée qu’elle promeut depuis plus de trente ans, ce qui, s’agissant d’une loi « relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques » ne manque pas de sel.
Mais revenons au détail de l’analyse de M. Carron.
Résultat des courses ?
L’offre de Veolia obtient la meilleure note globale au regard des critères pondérés de jugement des offres prévus dans le règlement de consultation (à savoir les critères « Économie du service, tarification » pour 35 %, « Travaux OIBP et autres opérations » pour 25 %, « Gestion technique du service, système d’information, développement durable, recherche et innovation » pour 15 %, « Risques supportés et engagements proposés » pour 10 %, « Qualité du service rendu à l’usager » pour 10 %, et « Gouvernance et ressources humaines » pour 5 %).
Dans les atouts de l’offre Veolia figure une baisse du tarif : « La part délégataire de la facture sera inférieure de plus de 6 % par rapport à son niveau au dernier trimestre 2023. » Le deuxième point particulièrement examiné est la mise en œuvre d’unités de filtration membranaire incluant des membranes d’osmose inverse basse pression (OIBP) sur les deux usines de Choisy-le-Roi et de Neuilly-sur-Marne, qui « permettent de traiter la totalité du débit des usines jusqu’à 400 000 m3 /jour par usine, de réduire la teneur en calcaire, d’abattre près de 80 % des micropolluants, taux très élevé seulement possible par les techniques d’OIBP et d’aller vers une eau sans chlore », selon les engagements pris par le Syndicat des eaux d’Île-de-France. L’offre de Veolia a été jugée sur le plan des travaux OIBP comme étant plus performante que celle de Suez.
Reprenons, pour simplifier notre armada d’experts « historiques » a compilé dans un gigantesque tableau Excel les chiffres et arguments techniques des deux candidats.
Il a suffi à Veolia d’offrir un tarif « part délégataire » inférieur de 6% au tarif actuel pour l’emporter haut la main sur Suez qui proposait un tarif tenant compte de l’inflation. Comme la pondération sur ce seul critère atteignait 35% de la note globale on se fout bien de savoir si ce prix est réaliste ou non. Dumping, sous-estimation manifeste et délibérée, on s’en fout, y a que le résultat qui compte, les 35% de la note globale.
Idem avec le critère des travaux sur l’OIBP qui seront financés par le concessionnaire, que le SEDIF remboursera en fin de contrat. Là encore Suez, réaliste, fait une offre à 1041 Meuros, et Veolia l’écrabouille en chiffrant les travaux de l’OIBP à un petit 800 millions d’euros, soit moins que l’estimation 2018 du cahier des charges du Sedif…
Plus c’est gros, plus ça passe. En deux coups de cuiller à pot Veolia a déjà écrabouillé son éternel rival, puisque ces deux seuls critères représentent 60% de la note finale, et l’on ne d’étonne donc pas que Veolia l’emporte avec une note totale de 70 points contre 60 pour Suez.
Résultat aussi prévisible que celui d’une partie de bonneteau à Barbès ou de l’arrivée d’un go fast en provenance du Rif, chargé jusqu’à la gueule de 800 kilos de shit dans les quartiers nord à Marseille.
Toute la beauté de l’affaire réside dans son caractère « légal », puisque aucun texte n’encadre la définition de nos fameux critères et de leur pondération. Nos admirables équipes du Sedif et leurs conseils historiques ont donc tout loisir de manipuler le tableau Excel comme ils l’entendent, au profit de Veolia au cas d’espèce.
A l’issue de la présentation de Didier Carron, des questions ?
Aucun des 15 vice-présidents ne moufte, hormis Gilles Poux, maire PCF de la Courneuve, idiot utile de classe interplanétaire "Je suis pour la régie, mais..." Pathétique.
Place au vote à main levée. Sur 133 délégués présents ou représentés dans la salle de l’usine de Choisy-le-Roi qui ont reçu avant la séance une synthèse de 130 pages à laquelle ils n’entendent que pouic, seules trois femmes les pin-ups de la séance précédente votent contre.
Dans le détail, il n’y a pas eu 133 votants mais seulement 91. 42 représentants n’ont pas voté et pas donné de pouvoir. Une évaporation d’un tiers des décisionnaires !
Dans le minuscule espace dédié au public quatre personnes. Un représentant de Suez qui prend des notes, un délégué aux côtés de notre ineffable Jean-Luc Touly, momentanément privé de ses fonctions par son maire, et une femme non identifiée.
En amont de cette séance historique les délégués de l’UFC Que Choisir, de la CLCV et de FNE, membres de la Commission consultative des services publics locaux (CCSPL) ont approuvé le choix du futur concessionnaire Veolia.
Chaque année des dizaines de milliards d’euros de marchés sont attribués via la Loi Sapin et l’analyse des offres multicritères par l’état et des dizaines de milliers de collectivités locales à des entreprises privées.
Une idée pour Corinne Lepage, missionnée par le SEDIF pour « élargir sa gouvernance » : ne reste plus pour que notre bonheur soit parfait qu’à intégrer en qualité de personnalités qualifiées au bureau du SEDIF Olivier Dussopt et Amélie Casses-toi de là, quand elle aura démissionné. Ca nous changerait de Cambon et de Marseille.
NOTE 1 : le lundi 29 janvier le rapporteur public a recommandé au Conseil d’état de rejeter le recours de Suez...
NOTE 2 :
Par un délibéré en date du vendredi 2 février le Conseil d’état a rejeté le recours de Suez.