Dans le contexte d’élections municipales qui voient la question de la gestion de l’eau animer nombre de campagnes partout en France, la publication le 11 février 2008 par Attac-France d’un
guide réalisé à l’intention de ses militants, qui se positionne clairement, nul n’en aurait douté, en faveur de la republicisation de la gestion de l’eau, une partie de l’argumentaire de l’association d’éducation populaire a fait réagir un ancien membre du Groupe Eau d’Attac, Yann Olivaux, qui vient de publier un énorme et passionnant ouvrage, « La nature de l’eau ». Délibérément polémique, son intervention à le mérite d’interroger les fondamentaux doctrinaux des partisans de la republicisation, sous l’angle de leur prise de position en faveur de l’eau du robinet, opposée à l’eau en bouteille. Ce débat, qui s’est déjà développé quand Eaux glacées a longuement évoqué « L’Affaire Cristalline », à le mérite de souligner la nécessité pour les différents acteurs qui s’engagent en faveur d’une gestion démocratique et soutenable de l’eau de confronter approches « politiques » et enjeux environnementaux. Une convergence à peine initiée en France, qui pourrait contribuer à un plus large rassemblement de celles et ceux qui se battent pour l’eau. Eaux glacées publie donc cette contribution car elle nous semble de nature à provoquer un débat plus que jamais indispensable. Eaux glacées accueillera bien évidemment toute réponse que souhaiterait formuler Attac-France.
Le texte ci-après a été établi par Yann Olivaux :
« Avoir politiquement et économiquement raison mais sanitairement tort ! »
De janvier à mars 2007, Marc Laimé nous a rendu compte avec pertinence et truculence des enjeux de la guerre économique féroce entre l’eau du réseau et l’eau en bouteille à travers « l’affaire Cristaline » (épisodes 1 à 8). Quelques commentaires avisés soulignaient l’absence de la dimension sanitaire dans ce débat passionné sur l’eau que nous buvons (Cf épisodes 6 et 7). Voici qu’Attac relance le débat dans cette brochure du « Guide de survie dans la jungle du marché » avec l’encadré « Eau du robinet ou eau en bouteille ? ».
One more time, la dimension sanitaire est la grande oubliée dans le discours de lobbying des partisans de l’eau du robinet !
Décortiquons les facettes argumentaires.
Economiquement d’abord, il n’y a pas photo entre le coût moyen de l’eau du réseau et des eaux de source et minérale. Notons au passage que l’assertion « la France est le plus gros consommateur d’eau en bouteille au monde, juste derrière l’Italie » est inexacte ; « Les six premiers pays consommateurs sont respectivement les USA, le Mexique, la Chine, le Brésil, l’Italie et l’Allemagne. Quelques places plus loin, la France ».
Source : article « Explosion de la consommation d’eau en bouteille », mercredi 15 février 2006.
Ecologiquement ensuite, la production d’eau en bouteille n’est pas durable (fabrication et transport sans oublier que la production d’un litre d’eau embouteillé nécessite l’utilisation d’environ 50 litres d’eau – rinçage des chaînes de production…-).
Sanitairement pour finir, c’est là que le bât blesse ! En effet, il est logique que les opérateurs et les embouteilleurs soient dans leurs rôles respectifs de défense commerciale de leurs « produits », mais plus surprenant est le positionnement des milieux associatifs (environnementalistes et consuméristes) que l’on voit voler régulièrement au secours de l’eau du robinet en affirmant l’innocuité sanitaire de l’eau potable.
Quelle légitimité scientifique et médicale ces associations ont-elles quand elles se placent sur le terrain de la santé ? Leur discours est en tout point identique à celui du C.I.EAU (financé par nos chères Trois Sœurs) !
Pas un mot sur les résidus de pesticides, de produits de traitement de l’eau, la flopée de nouveaux polluants (résidus médicamenteux humains et vétérinaires)… non recherchés et pris en compte dans les limites de qualité actuelles de l’eau potable ! La récente émission « Service public » de France Inter du 30 janvier 2008 sur le thème « Qu’y-a-t-il dans l’eau du robinet ? » est un superbe exemple de mésinformation sur les dangers potentiels de l’aluminium dans l’eau.
Pourquoi dans un sondage effectué en 2005 sur les habitudes de consommation en eau alimentaire des Bretons, les personnes interrogées déclarent-elles boire de l’eau du robinet à 31% et de l’eau en bouteille à 78% ?
Ecoutons quelques opinions distanciées sur la qualité de l’eau que nous buvons, par exemple celle du Docteur Claude Danglot, longtemps membre du Laboratoire d’analyse des eaux de la Ville de Paris :
« En fait la réalité objective n’est pas "rassurante" car nous vivons dans un environnement polluant qui contamine les eaux souterraines et les eaux de surface. Ni les eaux des robinets (de nombreux niveaux de qualité sont possibles, et il n’existe pas "d’eau du robinet" unique), ni les eaux minérales embouteillées (de nombreux niveaux de qualité sont également observés) ne sont exemptes de polluants qui mettent en danger la santé humaine à long terme.
Il s’agit de cancérigènes, de reprotoxiques, de virus et de bactéries résistantes aux antibiotiques issus des pollutions agricoles et des élevages pour les eaux des robinets. Il s’agit également de cancérigènes et de reprotoxiques issus des plastiques embouteillants (chlorure de vinyle, bisphénol A, phtalates etc.), ou de bactéries résistantes aux antibiotiques issus des infiltrations des pollutions des élevages dans les nappes souterraines. Ces polluants "émergents" ne sont en général PAS pris en compte par les normes réglementaires.
En fait, il faut avoir à l’esprit qu’Il existe DEUX définitions de l’eau potable, définissant deux ensembles non superposables :
– Une définition réglementaire : une eau potable est une eau conforme aux normes réglementaires. Dans cette optique, l’eau du robinet et les eaux minérales embouteillées sont généralement potables, sauf accident.
– Une définition médicale : une eau potable est une eau qui ne rend pas malade, même à long terme. Dans cette optique médicale, ni l’eau du robinet ni les eaux minérales embouteillées ne sont potables, sauf exception. (L’affaire Cristaline (5) : Le point de vue d’un médecin, 26 janvier 2007 ).
Pour compléter ces informations, relisons également les commentaires (6) et (7) de l’Affaire « Cristaline ».
En conclusion, félicitations à Attac-eau pour ce guide de promotion de la gestion publique de l’eau (C’est une première historique que ce mouvement prenne enfin la mesure des enjeux de l’eau !), mais « carton jaune » pour la confusion de positionnement entre l’approvisionnement et la consommation en eau alimentaire.
En clair, on peut défendre l’apport en eau du réseau géré par le service public (comme votre serviteur), mais garder un discours critique sur l’impact sanitaire de cette eau sur le long terme.
Un certain nombre d’épidémiologistes à travers le monde notent la flambée des maladies dites de « civilisation » (cancers, allergies, maladies neurodégénératives…) et l’eau du robinet serait indemne de tout soupçon dans ce phénomène ?
Dernière remarque amère d’un ancien militant du groupe Attac-eau, les propos irrespectueux et parfois blessants quand l’eau est parfois traitée de
« flotte », les récupérateurs d’eau pluviale ou les buveurs d’eaux en bouteille de gogos…).
Débattre exige du respect pour l’eau et ses consommateurs quels qu’ils soient !
L’eau est une substance « ouverte » et le dogmatisme ne lui sied pas ! »
Yann Olivaux, auteur du livre « La nature de l’eau »
Le dossier des municipales :
Les mobilisations pour l’eau dans plusieurs dizaines de villes françaises
commentaires
Bonjour ,
je tiens moi aussi à réagir à cette "aveugle et inconsciente promotion" de l’eau du robinet en tant qu’eau de consommation quotidienne ...
je vais aussi complètement dans le sens des propos de Yann et de Gérard ...
et la remarque de Gérard sur les 49 mg/l de nitrates est aussi mienne en réponse à ces réflexions habituelles (et bien trop désolantes au regard de la réalité générale) .. : "oui mais elle est potable et super contrôlée !" ...
Aïe aïe aïe ... naïveté quand tu nous tiens ! ...
je trouve le fait de consommer quotidiennement une eau aussi chargée en chlore , calcaire , métaux lourds , pesticides , polluants multiples (recherchés ou non ..) etc .. déjà déplorable d’un point de vue santé publique et/ou "principe de précaution" ... , mais encore plus grave d’en faire pareille "promotion" sans plus d’objectivité ... et ce , peut importe de qui ça vienne !!
c’est ce que je n’avais pas manqué de signaler à "Agir Pour l’Environnement" lors de la "fameuse affaire Cristaline" , en leur faisant remarquer que la lutte contre le carnage des bouteilles plastique .. c’est bien ... mais ne doit pas les amener à se laisser berner en se trompant de combat ...
perso , je n’aurais pas la mauvaise idée de promouvoir à tout va de fumer "sans risques" , en privilégiant la pipe et tabac naturel , n’ayant pas les innombrables additifs des tabacs industriels ni le papier nocif des cigarettes ...
c’est du kif-kif-pareil-au-même !
la qualité de l’eau alimentaire est aussi une de mes priorités au sein de ma vie perso et de mon assoce ...
je partage donc entièrement le "coup de gueule" de Yann ...
ce n’est pas d’un "procès de l’eau du robinet" qu’il est question ici , mais bien du rappel d’une objectivité nécessaire pour les aspects de la santé publique , que ce soit par la nocivité du chlore sous la douche/bain ou l’enjeu de la qualité de l’eau de consommation quotidienne ...
pour conclure , je voudrais aborder le fait d’incompréhension totale de beaucoup de gens lorsqu’ils lisent certains propos de Joseph Orszagh , quand il préconise de potabiliser l’eau de pluie pour la conso quotidienne et de laisser l’eau de ville pour les WC ...
quand il préconise de réserver l’eau de pluie aux "usages les plus nobles" comme il dit ...
évidemment , ça décoiffe et va complètement à contre-sens des discours "officiels" ..
mais peu de gens (hélas) connaissent le "retour d’expérience" belge , long et précis sur la qualité de l’eau de pluie correctement stockée (béton !) et potabilisée ..
ni la "facilité" d’atteindre le niveau de qualité d’eau "biocompatible" sur base d’eau de pluie alors qu’il n’y a que l’osmose inverse qui peut y parvenir sur base de la plupart des eaux du robinet en France ..
sans parler de la grande désinformation à propos du chlore ...
donc , en résumé .. , pour ma part , mon discours reste le même :
si vous n’avez pas confiance en la qualité de votre eau du robinet et que vous refusez le carnage environnemental des bouteilles plastique .. >> purifiez votre eau du robinet !!!
(avec autre chose qu’une carafe filtrante de table)
(le coût/bilan de filtration est bien moindre que les eaux embouteillées )
pour ceux qui sont (bien) équipés en valorisation d’eau de pluie ... >> potabilisez-là !!
à bon entendeur ...
cordialement ;)
Yann souligne avec raison un véritable problème. J’ai été moi même consterné de voir une association de consommateurs faire la promotion de "l’eau du robinet" quelle que soit la ville ou l’origine de celle ci.
L’eau du robinet à Grenoble, de qualité exceptionnelle, n’a rien à voir avec l’eau du robinet régulièrement fournie aux bretons. Cette dernière n’est officiellement "dans les normes" que pour la simple raison qu’on n’y recherche pas la totalité des pesticides, antibiotiques, oestrogènes, dérivés chlorés et polluants divers qui agrémentent nos rivières. Quant aux normes : peut-on réellement déclarer potable une eau qui ne contient que 49mg de nitrates par litre sous prétexte que la barre, pour des raisons qui n’ont rien à voir ni avec la santé publique ni avec la protection de l’environnement, a été fixée à 50mg ?
Pour résumer : il faut faire la publicité de l’eau du robinet là où elle le mérite mais, hélas, toutes les enquêtes sérieuses montrent ce n’est pas le cas général. Ailleurs la priorité est d’agir pour la récupération de la qualité à la source aussi bien dans les nappes phréatiques que dans les rivières. En attendant évitons la publicité mensongère qui va pour certains maires jusqu’à mettre leur eau du robinet en bouteilles afin de la faire passer, malgré les nombreux traitements qu’elle a subis, pour de l’eau de source !