Eu égard à l’actualité, nous publions le compte-rendu de la conférence que nous avions tenue le 16 octobre 2009, à l’invitation de l’association Palestine 45 à Orléans.
"L’accès à la ressource en eau pour les Palestiniens s’avère de plus en plus difficile.
Outre une croissance démographique importante, la problématique essentielle relève de sa répartition entre Israéliens et Palestiniens sur le territoire.
Pour en comprendre la genèse, il faudrait revenir au partage de l’Empire Ottoman à la fin de la première guerre mondiale, qui a posé les germes des difficultés actuelles.
Dès 1948, la question du partage de l’eau du Jourdain et de ses affluents constitue une source de conflits.
La "guerre des 6 jours" a marqué un infléchissement important : depuis 1967, 40% des ressources en eau de l’Etat israélien proviennent des territoires occupés, et l’eau est considérée par Israël comme une « ressource stratégique sous contrôle militaire », ce qui implique notamment pour les Palestiniens l’interdiction de creuser de nouveaux puits sans autorisation préalable de l’armée israélienne.
Il existe donc une inégalité fondamentale dans l’accès à l’eau entre Palestiniens et Israéliens. Cependant, si l’eau est constitutive du conflit, elle n’en est pas à l’origine.
Par contre, il est certain que l’eau constitue un instrument essentiel de domination pour Israël. De ce fait, l’inégale répartition de la ressource pose la question de la viabilité d’un Etat palestinien concernant la mise en place d’une politique publique de l’eau.
Quelques chiffres :
− selon la Banque Mondiale, 90% de l’eau disponible en Cisjordanie est utilisée par Israël ;
− la consommation moyenne d’eau est 3 à 4 fois plus importante chez les Israéliens que chez les Palestiniens ; cet écart des moyennes ne doit pas faire oublier qu’il existe aussi des disparités au sein même de ces deux entités ;
− D’après les institutions internationales, 100m3 d’eau/an est le minimum requis pour assurer tous les besoins en eau d’une personne :
• Estimation pour les Israéliens : 350m3/an d’eau ;
• Estimation pour les Palestiniens : 50 à 70 m3/an d’eau (le seuil critique atteint).
− il existe également une grande différence dans les usages de l’eau entre Israël et Palestine.
A titre d’exemple, Israël est un des pays où le taux d’irrigation est le plus élevé au monde (pour une part de l’agriculture équivalent à 3% du PIB) alors même que les terres palestiniennes irriguées représentent 5 à 6% des terres (pour 50% du PIB).
− En Palestine le secteur agricole représente 15% des territoires palestiniens, et emploie 25% de la population active palestinienne.
Au sein des territoires palestiniens, il convient de distinguer deux situations quelque peu différentes :
− la Cisjordanie, qui dispose de 3 nappes phréatiques et d’un fleuve, le Jourdain (en aval duquel la Jordanie et la Palestine ne récupèrent qu’une très faible portion des eaux en raison de la main-mise israélienne sur la ressource et sur les infrastructures) ; en Cisjordanie, l’eau est directement sous l’autorité de l’armée israélienne ;
− la bande de Gaza, où les conditions sont encore plus difficiles pour les populations : les habitants dépendent essentiellement des eaux de pluie et de la nappe phréatique, qui fait l’objet d’une surexploitation importante, compte tenu de la densité forte (la plus forte au monde) de la population. Une des conséquences de la surexploitation de l’aquifère gazaoui est un processus de salinisation : l’eau devient impropre à la consommation. La nappe risque d’être inexploitable dans les toutes prochaines années et cela pour longtemps.
Le processus d’appropriation de l’eau par l’Etat d’Israël
Les gouvernements israéliens successifs ont mis en place un arsenal juridique élaboré pour empêcher les Palestiniens de développer des infrastructures propres : Israël est le seul pays au monde où la gestion des ressources hydriques est confiée à l’armée (l’eau est considérée comme propriété publique depuis 1967).
Depuis 1982, l’ensemble des infrastructures a été confiée à Mekhorot, société d’Etat. Mekhorot a été créée en 1937, avant la création d’Israël. Mekhorot vend l’eau aux Palestiniens par l’intermédiaire de la "Palestinian Water Authority", qui n’a aucun pouvoir réel.
Ainsi, toute construction d’infrastructure en territoire palestinien (puits, forages...) nécessite l’approbation de l’armée. Accord qu’elle n’a donné qu’exceptionnellement depuis 1967 : une dizaine d’autorisations de creusement ont été accordées en Cisjordanie depuis cette date, alors même que l’accroissement démographique dans le même temps était considérable. Le nettoyage des puits est également soumis à autorisation.
De ce fait, les infrastructures palestiniennes sont très anciennes (elles remontent pour l’essentiel à la période des mandats) et l’armée empêche de réaliser les travaux qui permettraient de les remettre en état : 200 000 personnes n’ont aujourd’hui pas accès à l’eau dans les territoires palestiniens ! Les infrastructures sont aussi parfois détruites militairement par Israël.
Israël contrôle le débit en eau des cités palestiniennes et organise depuis 1975 un contingentement qui rend impossible le dépassement de quotas d’utilisation, sauf à payer des amendes très importantes. Ces quotas sont, là encore, quasiment gelés depuis leur instauration, malgré la croissance démographique importante en Cisjordanie.
Cette situation rend les usages quotidiens de l’eau (se laver, faire la cuisine, …) extrêmement délicats, et empêche tout développement, en particulier celui des filières agricoles.
Enfin, la « Loi des absents » (ordonnance de 1967) autorise l’expropriation des propriétaires et la réquisition par Israël de leurs infrastructures hydriques (puits, forages…), si la propriété est considérée comme abandonnée.
Une politique délibérée de répartition inégale de la ressource
Israël met ainsi en place une politique de colonisation, avec l’eau comme enjeu stratégique majeur, dans un double contexte de :
− stress hydrique croissant (la sécurité des approvisionnements n’est pas garantie) ;
− fuite en avant technologique : l’usine d’Ashkelon est aujourd’hui la plus grande usine de dessalement au monde (construite par une entreprise française, Veolia ).
Or, la désalinisation ne respecte pas l’équilibre naturel des milieux.
Cette politique ne s’apparente pas exactement à une « guerre de l’eau », mais bien plutôt à une organisation inégale et délibérée des ressources en eau. Cette politique a des conséquences extrêmement fortes sur les populations palestiniennes, qui conduisent notamment :
− à une pression excessive sur les ressources disponibles ;
− à l’utilisation de l’eau de pluie pour l’usage domestique et agricole. Cela se voit très peu ailleurs dans le monde. Outre la dépendance vis-à-vis du climat, l’usage domestique issu des eaux de pluies peut poser des problèmes sanitaires, notamment pour les enfants en bas âge ;
− au délitement des infrastructures d’assainissement des eaux usées, ce qui pose un problème de santé publique très important.
L’eau ne répond pas aux normes de qualité minimales, et cela crée un risque très important à terme pour la santé des populations palestiniennes : la dimension sanitaire est ainsi essentielle dans ce conflit (constat que fait d’ailleurs le PNUD dans un rapport du 14 septembre 2009 relatif à la situation à Gaza après l’incursion israélienne).
A noter que les dernières installations de traitement des eaux usées de Gaza, financées en particulier par l’Union Européenne, ont été détruites par Israël.
Quelques idées reçues à battre en brèche
Le constat d’une politique délibérément inégale dans l’accès à l’eau ne doit cependant pas nous empêcher de battre en brèche quelques idées reçues sur ce conflit :
− « Le rôle de l’eau dans l’implantation des colonies israéliennes est essentiel » : les colonies de peuplement disposent de privilèges très importants dans l’utilisation de l’eau. Cependant, bien que l’extension des colonies accentue bien évidemment les difficultés, leurs implantations ne sont pas systématiquement liées à la disponibilité de la ressource en eau (ni la construction du mur d’ailleurs) ;
− « Mekhorot vend l’eau 4 à 5 fois plus cher aux Palestiniens qu’aux Israéliens » : ce constat est vrai, mais cela est essentiellement lié à la situation des infrastructures palestiniennes. Du fait de l’interdiction de la maintenance de ces infrastructures, le coût d’approvisionnement est beaucoup plus élevé pour les Palestiniens que pour les Israéliens (nécessité de s’approvisionner par camions citernes, pertes importantes sur le réseau existant…) ;
− « La Palestine est une région aride, ce qui explique la contrainte importante du milieu sur la ressource en eau » : les pluies annuelles sur Jérusalem ou Ramallah sont plus importantes que sur Paris ou Berlin.
C’est donc bien une mauvaise allocation des ressources qui est en cause, et le fait que l’eau est actuellement utilisée en la gaspillant, plutôt qu’une question de rareté de la ressource au sens strict.
Droit international et perspectives...
Les accords d’Oslo 2 ont rappelé dans leur article 40 que : « Israël reconnaît les droits palestiniens sur l’eau en Cisjordanie ». Mais ces accords n’ont jamais été appliqués. A l’inverse, Oslo a plutôt institutionnalisé le contrôle d’Israël sur la gestion de l’eau.
De multiples résolutions existent et ont été prises au niveau international, la 4ème convention de Genève de 1949 implique également le respect des populations civiles en temps de guerre,...
Plusieurs textes lient donc le gouvernement israélien sur cette question. Mais il se met délibérément en violation du droit international, sans réaction notable de la part de la communauté internationale.
Pour parvenir à la paix et faire de l’eau un instrument de cette paix, il semble donc prioritaire de repenser la gestion de l’eau dans ses fondements.
En effet, quelle projection peut-on envisager pour 2020/2025 ? : une augmentation de la demande en eau (par la croissance démographique, économique, …) alors même que les aquifères sont déjà surexploités.
La seule solution passe par une nouvelle allocation, soutenable, des ressources en eau. La fuite en avant technologique - utilisant entre autres les usines de dessalement d’eau de mer - ne fait que retarder l’inéluctabilité du processus de stress hydrique.
Il faut donc que l’eau soit au cœur des négociations de paix, et non un simple élément annexe des négociations comme dans les accords d’Oslo.
Sinon il n’y aura ni amélioration de la situation sanitaire pour les populations, ni décollage économique possible. Parallèlement, aucune solution au problème de l’eau ne sera viable si elle ne s’inscrit dans un processus de résolution globale du conflit israélo-palestinien.
Réflexions sur l’importance du débat public autour des politiques publiques de l’eau
Au delà du conflit israélo-palestinien, l’eau représente aujourd’hui de multiples enjeux, et il convient de se méfier de trois expressions fétiches qui recèlent de multiples contradictions et sous-entendus : « guerre de l’eau », « or bleu », « crise de l’eau ».
L’eau est essentielle à la vie. Elle existe en quantité limitée alors que les usages humains semblent ne pas l’être : le défi qui se pose à nous est donc celui d’une bonne répartition entre usages et usagers, écosystèmes compris.
On observe aujourd’hui une certaine forme de perversion du discours : il y aurait crise de l’eau parce que celle-ci ne peut répondre à tous nos besoins, et à ce titre seul le marché pourrait garantir une régulation optimale de cette ressource rare.
Ce discours masque en réalité deux « angles morts » du débat :
− le diagnostic : la mise en avant de la logique guerrière (« guerre de l’eau ») dissimule la question essentielle des inégalités préalables à cette situation ;
− l’analyse qu’on tire de ce constat : cela provoque un effet délétère sur notre capacité à penser et à agir politiquement (la conflictualité est inhérente à toute activité sociale). Cela transforme ce qui devrait relever du débat public en problème simplement technique. Et aboutit en fin de compte à la mise en oeuvre d’une fuite en avant technologique, aux conséquences économiques clairement juteuses et aux conséquences sanitaires, environnementales et sociales clairement négatives
L’histoire a montré qu’il est toujours plus efficace d’arriver à des accords de coopération qu’à des guerres pour l’utilisation de l’eau (exemple des gestions concertées des fleuves, …).
Il apparaît donc essentiel que les citoyens s’approprient ou se ré-approprient les enjeux de la gestion de l’eau, et que celle-ci fasse l’objet d’un véritable débat public pour ne pas la cantonner à un bien marchand soumis aux seules règles du profit et de la rareté."
Lire aussi, addendum 20 octobre :
Ça sort aujourd’hui : le livre d’Alain Gresh et Hélène Aldeguer :
*Un chant d’amour - Israël-Palestine, une histoire française*
https://www.librairielibertalia.com/web/un-chant-d-amour.html
❝De la présidence de De Gaulle à celle d’Emmanuel Macron, cet ouvrage raconte plus d’un demi-siècle de relations franco-israélo-palestiniennes.
Il dévoile non seulement comment Paris a joué un rôle diplomatique central dans le conflit israélo-arabe depuis plusieurs décennies, mais également comment ce conflit est très tôt devenu une « passion française », agitant les milieux politiques, intellectuels, médiatiques, artistiques et militants.
C’est dans le but de s’adresser à un public large que les auteurs ont choisi de raconter cette histoire sous forme graphique (les propos des personnages sont tous authentiques). Et pour bien souligner la « passion française » et les déchirements nationaux qu’elle ne cesse de provoquer, la dessinatrice Hélène Aldeguer a choisi de jouer sur les effets saturés et contrastés de trois couleurs symboliques : le bleu, le blanc et le rouge.
Un ouvrage passionnant, abordable, didactique et élégant.❞