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Scandale à l’Onema (16) : l’organisation du mensonge sur les données

14 février 2013

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Si nous nous félicitons de voir, enfin, la ministre de l’Ecologie, jusqu’alors fort mal conseillée, prendre la mesure du désastre qui menace, et s’engager à la réalisation d’un « audit transparent et partagé sur les données de l’eau », la conduite de cet audit et les conditions de son indépendance deviennent cruciales, comme le démontrent deux nouvelles contributions émanant de la société civile, témoignant que la gestion officielle des données publiques sur l’eau à jusqu’à présent relevé de la construction d’un gigantesque trompe l’œil. Le SIEau, village Potemkine de la DATA…



Dans un long billet publié le 12 février 2013, le jour même de l’annonce par la Cour des comptes de la saisine de la Cour de discipline budgétaire et financière, procédure rarissime, l’Observatoire de la Continuité écologique et des usages de l’eau, créé par deux associations d’usagers, le Cedepa et l’Hydrauxois, dément, preuves à l’appui, les nouveaux mensonges de l’équipe dirigeante de l’Onema, toujours en place depuis le limogeage de son ancien directeur, et prouve ce faisant, que l’ensemble du dispositif de production de données publiques français sur l’eau n’est qu’un gigantesque trompe l’œil !

Nous avons averti à plusieurs reprises les autorités que cette situation scandaleuse allait conduire la société civile à saisir la justice.

Le gouvernement vient de mettre en place plusieurs dispositifs afin d’élaborer une réforme globale de la politique de l’eau.

Sans indicateurs fiables, aucune politique de l’eau possible.

Nous sommes dans une situation invraisemblable : les organisateurs du mensonge, et ceux qui continuent à les couvrir, sont conviés à proposer des « mesures correctrices » des graves dévoiements dont ils sont les auteurs, lors même que l’expertise de la société civile est dédaignée…

A persister dans le déni, le gouvernement verra la justice condamner des errements dont il aura dûment été informé, et qui vont être portés devant les tribunaux par des associations d’usagers…

Quand l’Onema persiste dans le déni

« En réponse au « scandale de l’eau » (…) repris par Le Monde, sur la base d’un rapport (alors non public) de la Cour des Comptes, l’Onema avait publié un communiqué de presse.

L’Office affirmait notamment : « l’Onema est chargé, entre autres, de la coordination technique du système d’information sur l’eau, piloté par le ministère ». Crée en 1993, le SIE rassemble des données produites par les services déconcentrés de l’État, les agences et offices de l’eau, l’Onema, le BRGM, les collectivités territoriales, les industriels, les associations pour la protection des poissons migrateurs, etc. Ces données sont pour la plupart, mises à disposition des autorités et du public sur les sites Eaufrance*

D’autres bases de données, en cours de développement, rassembleront et mettront à disposition du public d’autres données, par exemple sur les prélèvements d’eau ou sur les flux de poissons migrateurs. »

Ce propos était accompagné d’une liste des sites du système Eaufrance, liste dont l’empilement et l’entrecroisement sont déjà en soi une promesse d’illisibilité pour les citoyens, leurs élus ou leurs associations.

EauFrance, le village Potemkine

72 mesures exigibles sur plus de 11 000 masses d’eau françaises : où sont-elles ?

L’Onema laisse ainsi penser qu’il n’y a pas de problèmes particuliers dans le Système d’information sur l’eau dont il assure la coordination technique.

Or il existe un problème, et un gros : les mesures exigibles depuis la directive-cadre européenne sur l’eau (2000) ne sont pas disponibles.

La Directive-cadre européenne sur l’eau demande aux Etats-membres d’évaluer l’état chimique et écologique de chaque masse d’eau.

Il existe en France 11 523 masses d’eau superficielles, dont 10 824 concernant des rivières.

En moyenne, une masse d’eau de rivière représente 22 kilomètres de tronçon. Cette masse d’eau est délimitée par sa cohérence (hydrologie, géologie, influence anthropique).

(Source : WISE, rapportage français à l’Union européenne.)

Sur chaque masse d’eau, l’Etat-membre doit produire à la fréquence requise pour chaque indicateur (Arrêté du 25 janvier 2010) :

• 5 mesures biologiques

• 18 mesures physicochimiques

• 8 critères de description morphologique

• 41 mesures chimiques

Et c’est là une demande conservatrice puisque l’étude menée en 2007-2009 sur les milieux aquatiques continentaux avait révélé la présence de 413 micropolluants en eaux superficielles.

(Etudes & Documents 54, 2011).

Aucun site ne fournit de manière synthétique et claire ces données pour chaque masse d’eau !

Quand nous demandons ces mesures sur chacune des masses d’eau, ni l’Onema ni l’Agence de l’eau ne sont capables de nous donner un lien efficace, c’est-à-dire un site où chaque masse d’eau dispose de son rapport de mesure comprenant l’ensemble des 72 analyses nécessaires au terme de la DCE.

L’Onema renvoie vers des relevés piscicoles ne concernant qu’une poignée de rivières, et l’Agence de l’eau vers des sous-sites Eaufrance dont aucune ne comporte l’ensemble des masses d’eau (et dont les rares que nous avons tenté de cliquer annonçait une « base indisponible »).

Il semble que la Direction de l’eau et de la biodiversité au Ministère de l’Ecologie commence seulement à prendre la mesure de l’état catastrophique de l’information sur l’environnement aquatique.

Or, cette information est non seulement un devoir vis-à-vis de l’Union européenne (rapportage de chaque état-membre pour le suivi de la Directive-cadre sur l’eau), mais elle est également un devoir vis-à-vis des citoyens, qui doivent pouvoir accéder simplement et efficacement au bilan chimique et écologique de leur rivière.

Si le Système d’information sur l’eau vise la transparence sur les mesures réellement effectuées, rien de plus simple : il suffit de réunir sur un même site, avec entrée par bassins rivières, la liste des masses d’eau et d’un simple clic accéder à un bilan chiffré des analyses : substance (ou paramètre), année, mesure, écart de cette mesure par rapport à la normale.

Nos concitoyens sont capables de lire une analyse de sang sur ce principe, ils peuvent parfaitement lire une analyse de qualité des milieux aquatiques. Pourvu que l’Autorité en charge de l’eau soit décidée à faire la lumière sur ce qui a été réalisé ou non. Pourvu aussi qu’elle consente réellement à assurer l’accès transparent et efficace aux données relatives à l’environnement. (Comme y contraint la France un impressionnant catalogue de textes communautaires. Note EG).

Le faux argument du manque de moyen

L’argument généralement repris ces temps-ci en défense des établissements publics travaillant pour l’Autorité en charge de l’environnement est celui du « manque de moyens ».

Mais c’est une ineptie : les Agences de l’eau disposent d’un budget annuel qui approchent les 2 milliards d’euros — auquel s’ajoute le budget des établissements qui, outre l’Onema (principalement abondé par les Agences), concourent à une partie des mesures chimiques et biologiques : Irstea, Ifremer, Museum national d’histoire naturelle, etc.

Les moyens existent donc depuis 12 ans que la Directive-cadre a été adoptée. C’est leur usage qui est en cause.

On observera ainsi que, à rebours de la méthodologie préconisée par l’Union européenne*, des sommes importantes ont été dédiées au compartiment hydromorphologie (mise en place du Référentiel des obstacles à l’écoulement, opérations-pilotes au budget souvent pharaoniques sur l’effacement de 1200 ouvrages prioritaires de la circulaire Grenelle 2010, etc.).

Cela alors même que les mesures de base sur la pollution chimique et la dégradation biologique n’étaient pas réunies — de sorte que l’on se précipite en réalité à faire librement circuler des eaux et sédiments pollués dans les rivières, les fleuves, les estuaires et finalement les océans.

Les deux premiers travaux de l’OCE suggèrent fortement que l’immense majorité des obstacles à l’écoulement longitudinal ne sont pas les causes de la dégradation piscicole observée depuis le XXe siècle. Aussi la question se pose : les gouvernement successifs ont-ils réellement eu la volonté de chercher et de traiter les causes réelles de détérioration des milieux aquatiques ? Ou ont-ils choisi des mesures « visibles » pour mieux dissimuler le catastrophique retard dans la connaissance et dans l’action ? »

Le schéma d’analyse de la DCE

(*) Rappelons que la Communauté européenne a adopté cet arbre de décision (image ci-dessus), au terme duquel les Etats-membres doivent d’abord mesurer l’état biologique (5 marqueurs), puis en cas de résultat médiocre analyser les causes physicochimiques d’altération.

L’hydromorphologie (incluant les obstacles à l’écoulement latéraux et longitudinaux, mais aussi 6 autres critères) n’est aucunement considérée comme un critère décisif pour le bon état de la rivière. »

Les grandes faillites de l’état sur l’eau et les milieux aquatiques

Dans une saisissante synthèse publiée sur le site Eau évolution, Anne Spiteri propose par ailleurs « Les 10 actions urgentes pour réhabiliter l’eau. »

A lire d’urgence !

Lire aussi :

QUALITE DE L’EAU : UN MENSONGE D’ETAT ?

- Qualité de l’eau (1) : un mensonge d’état ?

Les eaux glacées du calcul égoïste, 22 juillet 2011.

- Qualité de l’eau (2) : le témoignage choc d’Anne Spiteri

Les eaux glacées du calcul égoïste, 23 juillet 2011.

- Qualité de l’eau (3) Nage en eaux troubles

Les eaux glacées du calcul égoïste, 25 juillet 2011.

SCANDALE A L’ONEMA

- Politique de l’eau : le changement c’est maintenant

Les eaux glacées du calcul égoïste, 23 novembre 2012.

Scandale à l’ONEMA (1) : comment éviter la privatisation des données publiques ?

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Les eaux glacées du calcul égoïste, 28 novembre 2012.

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Les eaux glacées du calcul égoïste, 29 novembre 2012.

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Les eaux glacées du calcul égoïste, 8 décembre 2012.

La politique de l’eau dans la ligne de mire de la réforme des politiques publiques

Les eaux glacées du calcul égoïste, 18 décembre 2012.

Scandale à l’ONEMA (8) : l’aveu

Les eaux glacées du calcul égoïste, 1er février 2013.

Pollution de l’eau. En voilà assez ! Goulven Brest, président du Comité National de la Conchyliculture démissionne.

S-Eau-S, 1er février 2013.

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Les eaux glacées du calcul égoïste, 6 février 2013.

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Scandale à l’ONEMA (14) : la Cour des comptes saisit la justice

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Scandale à l’ONEMA (15) : Mme Delphine Batho annonce un audit "transparent et partagé" sur les données de l’eau

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Marc Laimé - eauxglacees.com