A l’orée de 2015, prolégomènes à l’écologie des catacombes, par l’un de nos plus éminents ami, lecteur et contributeur, amoureux fou d’un ruisseau nommé Nolange, tout juste sauvé d’une destruction programmée.
« 2014 a été remarquable. Ô combien éclairante aussi ! Pour qui pouvait encore douter, elle a pleinement démontré que la déjà vieille dépression collective française engendrée par l’effondrement programmé des forces vives (*) est parfaitement fondée. Celui-ci - l’effondrement -, a si bien dépassé les espérances de ses organisateurs que, maintenant, les conséquences les inquiètent (et ils ont l’impudence de le dire).
(*) comme l’avait remarqué Jean Baudrillard.
Mieux encore, il est tout à fait évident que l’on peut faire pire. Bien pire, car la spirale mortifère gagne en puissance chaque jour. Tous les ingrédients sont réunis : individualisme stirnérien dépravé en égocentrisme méprisant, échange d’information asthénique, méconnaissance de l’environnement local comme de l’économie de la biosphère, ignorance de l’histoire et de la culture alternative, cécité vis à vis de la plupart des dégradations annonciatrices de destructions plus grandes, etc. etc.
Du local au planétaire, tout est en place pour réussir l’exploit redouté par les écologistes du temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître. Toutes les stratégies pour en arriver là ont réussi et leurs promoteurs font corps avec les commandes du bolide fou. Enluminée par des récits historiques falsifiés, la culture de la domination est engrammée dans la plupart des têtes. Tous les indicateurs de la productivité de vie et de convivialité sont au plus bas des échelles d’évaluation. Sur les voies qui permettraient de restaurer la société et la biosphère, les lanceurs d’alerte et les haleurs de l’alternative sont si espacés, si noyés dans le flux contraire et le magma des inertes, qu’il est exceptionnel qu’ils puissent se rencontrer et s’entraider.
Tout peut encore être corrigé.
Ainsi, quatre mois après la date fatidique, le Ruisseau de Nolange n’a pas encore été massacré. Preuve que l’on peut résister aux ravageurs réunis, pourvu que l’on s’arc-boute sur des bases solides. Il suffit d’un peu de travail et de sens du collectif pour chercher, traiter et faire circuler l’information.
Par contre, les haleurs apprécieraient d’être plus souvent rejoints et appuyés.
Un coup de pouce de temps en temps serait déjà très bien. Le Nolange et son environnement apprécieraient aussi parce que, si le ruisseau est sauvé, s’il retrouve un jour la lumière et la vie, et l’effort et l’acte de restauration pourraient être déclencheurs d’un plus grand oeuvre en s’unissant aux autres efforts. Un peu plus d’amour pour le pays et pour tout le reste devrait suffire.
Du Nolange à la biosphère, l’entr’aide est la voie de la survie.
Il faut, donc, retrouver le sens de l’empathie et du travail collectif, car : "Pour qu’un organisme fonctionne correctement, il faut que tous les éléments de chaque niveau d’organisation, depuis la molécule jusqu’à l’ensemble, participe pleinement au maintien en vie de cet organisme" (Laborit). Comme pour un écosystème. Comme pour une société.
Alors, pour une nouvelle année constructive (et vite fait avant que je ramasse les copies), quelques lectures - ou relectures - de chevet...
Le passage d’un rapide du Yang Tzé. Photo Labarthe. Le Tour du monde 1908.
L’unique et sa propriété de Max Stirner, pour distinguer l’égoïsme (qui réunit) de l’égocentrisme (qui dissocie). Chaudement recommandé : l’édition Stock de 1899, avec la remarquable préface de Robert L. Reclaire :
« L’Unique est donc pour Stirner le moi gedankelos qui n’offre aucune prise à la pensée et s’épanouit en-deça ou au-delà de la pensée logique ; c’est le néant logique d’où sortent comme d’une source féconde mes pensées et mes volontés. » Traduisons, et poursuivant l’idée de Stirner un peu plus loin qu’il ne le fit, nous ajouterons : c’est ce moi profond et non rationnel dont un penseur magnifique et inconsistant a dit par la suite : O mon frère, derrière tes sentiments et tes pensées se cache un maître puissant, un sage inconnu ; et il se nomme toi-même. Il habite ton corps, il est ton corps (...)" [Freidrich Nietzsche, "Ainsi parlait Zarathustra"]. Cet Unique où Stirner aborda sans reconnaître le sol nouveau où il posait le pied, croyant toucher le dernier terme de la critique et l’écueil où doit sombrer toute pensée, nous avons aujourd’hui appris à le connaître : Dans le moi non rationnel fait d’antiques expériences accumulées, gros d’instincts héréditaires et de passions, et siège de notre "grande volonté" opposée à la "petite volonté" de l’individu égoïste, dans cet "Unique" du logicien, la science nous fait entrevoir le fond commun à tous sur lequel doivent se lever, par delà les mensonges de la fraternité et de l’amour chrétiens, une solidarité nouvelle, et par-delà les mensonges de l’autorité et du droit, un ordre nouveau".
L’entr’aide de Pierre Kropotkine, pour réviser les bases.
La dialectique de la raison de Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, pour distinguer entre les deux cultures contraires : celle, holiste, inspirée par le vivant et celle, mécaniste et "anti-nature", de tous les impérialismes.
Haleur de la rivière Shengnongxi
Printemps Silencieux de Rachel Carson, pour l’alerte qui n’a pas encore été bien entendue.
Je recommande l’édition de 1968 (Le livre de poche) avec la préface de Roger Heim :
" (...) On arrête les gangsters. On tire sur les auteurs des hold-up. On guillotine les assassins. On fusille les despotes - ou prétendus tels - mais qui mettra en prison les empoisonneurs publics instillant chaque jour les produits que la chimie de synthèse livre à leurs profits et à leurs imprudences (...)"
Roger Heim était membre de l’Académie des Sciences et avait dirigé le Museum d’Histoire Naturelle pendant 14 ans. Et cette réussite dans les hiérarchies conformistes ne l’a pas empêché de lancer l’alerte. Par rapport à la pusillanimité et à l’omerta tremblotantes d’aujourd’hui, voilà une illustration de la force des engagements de l’époque.
La nouvelle grille de Henri Laborit, pour démonter les stupidités fondatrices du système dominant et repartir sur des bases ancrées dans la réalité biologique.
Les haleurs par Jacques Villon
Les pionniers de l’écologie de Donald Worster, Sang de la Terre 1992, sur la culture du vivant (titre original - bien meilleur : Nature’s Economy).
L’univers bactériel par Lynn Margulis et Dorion Sagan, en confirmation du travail de Pierre Kropotkine : la coopération est "facteur de l’évolution".
et de jolies vidéos sur l’univers des bactéries et des cellules :
Inner Life Of A Cell
Le lobby de l’eau de Marc Laimé, pour y voir plus clair dans la fange politico-affairiste qui détourne l’eau en France - l’eau et tout le reste. Où l’on comprend mieux pourquoi il est si difficile de sauver une tête de bassin versant (protégée) de l’anéantissement et de changer les politiques catastrophiques.
L’imposture économique de Steve Keen, préfacé par Gaël Giraud, pour décoder l’économie réduite et défigurée en une lutte aussi acharnée que stupide pour le profit et la dominance."