Comme il va falloir éblouir le chaland à grand renfort d’injonctions foutraques pour camoufler le plantage programmé de la gigantesque caravane publicitaire qui va envahir l’Ile-de-France durant près d’un mois aux fins de “sauver la planète” en décembre 2015, le ban et l’arrière ban du “Climate Tour” s’y est collé en faisant montre d’une inventivité totalement débridée, surtout quand il s’agit de marquer son territoire pour être assuré d’avoir son selfie avec Schwarzenneger à l’arrivée…
Ainsi du réjouissant projet de co-édition entre le CNRS, le Comité 21 et le “Réseau des acteurs du développement durable”, fomenté à l’automne 2014 dans les ateliers de “Vraiment durable”, une revue scientifique trimestrielle publiée par Victoire-Editions, spécialiste de la presse professionnelle dédiée aux activités diverses des fleurons du CAC 40.
« Vraiment durable » est publiée depuis 2012 sous la direction éditoriale de Bettina Laville (*), Conseiller d’Etat, avocate associée spécialiste du développement durable et cofondatrice du Comité 21. Le Comité 21, Comité français pour le développement durable, est lui-même « un réseau multi-acteurs unique qui regroupe 470 organisations membres au service des transitions économiques, sociales, environnementales, territoriales et culturelles. »
Du coup on ne mouche pas du coude chez ces gens là : « Cette revue scientifique semestrielle se propose d’alimenter une réflexion pour donner au développement durable un contenu véritablement civilisationnel. Il ne s’agit pas d’un postulat, mais d’un questionnement : dans un monde où les idéologies ont disparu au profit d’une pensée hésitante, souvent unique, le développement durable semble un fil dont il faut tirer toutes les incarnations, les conséquences, les critiques. Car derrière cette notion se joue la conception que les différentes civilisations mondiales ont et auront de la nature, du progrès, de l’humanisme ... »
Et c’est donc tout naturellement qu’on s’en va proposer fin 2014 au CNRS et à un troisième larron, le « Club France développement durable », rassemblement hétéroclite de collectivités territoriales, entreprises et acteurs de la recherche, et à son surgeon, le « Dispositif Solutions COP 21 », de rédiger un ouvrage qui assurera, avec la caution du CNRS, la promotion des engagements humanistes de nos amis de la Planète en péril.
Et l’on va rapidement comprendre ce qui va s’ensuivre, au plan éditorial, en prenant connaissance aka le « Dispositif Solutions COP 21 » :
« En partenariat avec le Comité 21, le cabinet Alliantis et Public système, le Club France Développement durable organise une semaine consacrée à la valorisation des solutions climat dans un lieu exceptionnel, en plein coeur de Paris.
En parallèle de la COP21 qui se déroulera au Bourget, le Grand Palais sera mis à disposition des réseaux, des entreprises, et des organismes afin de donner à voir au grand public (entrée libre et gratuite) les projets et initiatives existants ou innovants en faveur du climat.
Organisée sur le principe de l’exposition universelle pour le climat, le Grand Palais devrait être aménagé en plusieurs espaces showroom, avec un plateau TV pour organiser des débats et un écran géant où seront retransmis les moments importants des négociations au Bourget.
– 4 000 m² d’espaces disponibles : présentez vos innovations et solutions en faveur du climat ; invitez vos parties prenantes lors de moments de rencontres privilégiées formels (business-meetings) et informels (espaces restauration, dîner de gala, etc.).
– 60 créneaux et conférences/événements ouverts ou privatisables : participez à des prises de paroles (plateaux-TV, séance inaugurale, tribunes, débats thématiques…).
– 50 000 visiteurs attendus : organisez des conférences et débats de haut niveau ou grand public ; sensibilisez et informez un large public.
Par ailleurs, le dispositif comprend également :
1/ Une plateforme web de dépôt des solutions : lancée tout début 2015, ouverte à tous pour partager avec le plus grand nombre les solutions qui existent pour agir sur le dérèglement climatique. (http://www.plateformesolutionsclimat.org/)
2/ Des visites en région : le dispositif propose d’élaborer des programmes de visites des solutions sur le terrain, visites in situ. Une fois le programme élaboré, Solutions COP 21 propose d’en faire la promotion au niveau national et d’assurer la logistique depuis Paris pendant la COP 21.
3/ Solutions COP 21 aura un Pavillon de 300 m2 sur le site du Bourget, lieu de la COP 21. Les membres du dispositif Solutions COP 21 pourront avoir un espace de networking et de visibilité sur le site officiel de la conférence de l’ONU accessible uniquement pour les personnes accréditées et badgées.
Et le CNRS dans tout çà ?
Patience, aka il y a pas de problèmes, y a que des solutions, l’ouvrage projeté est tout naturellement intitulé « Rapport sur les solutions pour le climat dans le cadre de la COP 21 ».
Tout cela est bel et bien bon, mais il va dire quoi ce rapport ? Patience… Il va s’agir de :
« Produire, dans le cadre de la COP21 à Paris, un ouvrage recueillant le point de vue des scientifiques sur la notion même de solutions pour le climat, en mettant également en avant la question des changements de comportements. La principale thèse soutenue à travers ce rapport doit insister sur le fait que pour lutter efficacement contre le changement climatique, il faut un changement de modèle de société.
L’idée est que contrairement aux thèses écologistes de la fin du siècle dernier, les innovations techniques pourraient ne plus alimenter un modèle qui consomme sans compter les ressources naturelles et humaines, mais au contraire participer à la création d’une civilisation nouvelle correspondant à l’anthropocène. »
De fait, ça se précise gravement, avec la principale problématique du rapport, ainsi décrite par Bettina Laville :
« Au début du XXème siècle, Bergson pensait, dans son ouvrage « l’évolution créatrice », que la maîtrise de la technique était compatible avec l’humanisme créatif : « Si nous pouvions nous dépouiller de tout orgueil, si, pour définir notre espèce, nous nous en tenions strictement à ce que l’histoire et la préhistoire nous présentent comme la caractéristique constante de l’homme et de l’intelligence, nous ne dirions peut-être pas Homo sapiens, mais Homo faber … ». Mais dans la seconde partie du même siècle, après deux guerres mondiales faites de ravages technicistes, et la prise de conscience de la dégradation de la nature, la mouvance écologiste a rompu avec cette pensée trop naïve à ses yeux.
Si nous parvenons dans l’ouvrage à distinguer entre les solutions destinées à sauvegarder notre modèle actuel en en atténuant les conséquences négatives, mais présentant le risque d’effets rebond, et celles qui participant à la création d’une civilisation nouvelle, ce serait un tournant dans la pensée écologique, si l’on considère que le mouvement écologique a pour but non seulement de sauver la biosphère des conséquences polluantes et désorganisatrices de la civilisation industrielle et de la société de consommation, mais aussi d’imaginer un autre modèle, car les théoriciens de l’écologie n’ont cessé de mettre en garde contre la technique, comme destructrice de la nature et des équilibres entre celle-ci et l’homme.
On peut citer Ivan Ilitch, qui, dans son ouvrage la convivialité, disait : « Il nous faut reconnaître que l’esclavage humain n’a pas été aboli par la machine, mais en a reçu figure nouvelle. Car, passé un certain seuil, l’outil, de serviteur, devient despote », ou Jacques Ellul, qui a développé que la technique nous dépouillait de notre capacité de réflexion au profit du reflex, ou bien encore André Gorz, qui va jusqu’à rejeter le capitalisme cognitif. On comprend mieux la réticence de certaines organisations en face de cet agenda positif, qui, selon elles, servirait à dissimuler l’enjeu primordial : diminuer l’effet de serre par la décroissance.
(…)
Autrement dit, poursuit Bettina Laville, le Sommet de Copenhague était sous le signe du risque d’une prochaine apocalypse, ce qui est paralysant, selon les thèses de Dupuy, celui de Paris serait sous celui des SOLUTIONS.”
Dès lors, au-delà des articles scientifiques (forcément de haut niveau, vu le panel mobilisé inside le CNRS), une quarantaine d’encadrés proposeront des “exemples concrets de solutions portées par des acteurs économiques – issus de la Plateforme Solutions et sélectionnés par le Comité de rédaction pour illustrer les articles “.
Le projet mentionne bien évidemment un époustouflant panel de stars de haut niveau invités à participer à un Comité de lecture, chargé de définir une ligne éditoriale pour le Rapport :
- Monique Barbut, secrétaire exécutive de la Convention de la lutte contre la désertification, Ancienne directrice générale et présidente du Fonds pour l’environnement mondial (FEM) ;
- Pascal Canfin, Conseiller principal pour le climat du World Resources Institute (WRI),
- Amy Dahan, directrice de recherche au CNRS et directeur-adjoint du Centre Alexandre Koyré (CNRS-EHESS).
- Agathe Euzen, Anthropologue, CNRS
- Jean Jouzel, climatologue, vice président du groupe scientifique du GIEC
- François Moisan, directeur exécutif de la stratégie et de la recherche à l’ADEME
- Stéphanie Thiébault, directrice de l’Institut écologie et environnement (INEE) du CNRS
- Claire Tutenuit, Déléguée générale d’Entreprises pour l’Environnement (EpE), gérante de Clear Consult, Présidente de la société Solsia et enseignante à l’Université Paris II-Panthéon-Assas.
- Hélène Valade, Directrice Développement Durable du Groupe Suez Environnement, Vice-présidente de la Plateforme nationale d’actions globale pour la RSE, rattachée au Premier Ministre, Présidente et Co-fondatrice du C3D (Club des Directeurs du développement durable).
A la ville, Mme Valade se détend en faisant du théâtre avec Christophe Barbier, l’éditorialiste de l’Express à l’écharpe rouge.
Proposé à la vente dans le cadre du dispositif « Solutions Cop 21 » ouvert au grand public et qui devrait accueillir entre 60 000 et 100 000 personnes (sur 10 jours entre le 4 et le 11 décembre), l’ouvrage sera largement présenté au grand public.
Au théâtre, manque Michel Vinaver qui aurait su porter ce vaudeville à l’incandescence.
(*) Bettina Laville est conseiller d’État et directrice de recherches à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques). Elle a été directrice de cabinet de Brice Lalonde, puis conseillère sur les questions d’environnement auprès de deux Premiers ministres, Pierre Bérégovoy puis Lionel Jospin, et du président de la République François Mitterrand et, à ce titre, responsable de la préparation des conférences de Rio, Kyoto et Johannesburg. Elle a été durant cinq ans avocate associée en charge du développement durable dans un cabinet d’avocats international. Elle a représenté la France à l’UICN et cofondé le Comité 21. Chargée de plusieurs rapports sur l’environnement et auteur de nombreux articles, elle est coauteur de Villette Amazone (Actes Sud, 1996), a publié, en 2002, La Machine ronde et a cosigné, en 2010, Développement durable – Aspects stratégiques et opérationnels (PWC, éditions Francis Lefebvre).