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Kärcherisation du droit de l’environnement (7) : la « conscience verte » du MEEDDAT

26 mai 2009

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Là c’est l’apothéose, ou presque. Dans le registre le pire est évidemment à venir, au vu de ce qui jalonne déjà notre chemin de croix. Mais c’est ici, terme provisoire de notre feuilleton, que nous touchons à l’essence de l’inspiration des grands architectes de l’hyper-ministère. Car à force de transversalité boulimique, à entasser écologie, énergie, développement durable et aménagement du territoire, notre admirable MEEDDAT aurait bien pu finir par considérablement agacer Bruxelles. Du coup nos amis ont eu l’idée géniale de créer un nouveau « machin » qui va évaluer l’impact des grands projets d’infrastructure. Hourrah !



Récapitulons : pour la police de l’eau, on va transiger et payer des amendes forfaitaires. Les Installations classées pour la protection de l’environnement, on « simplifie » le régime, et passez muscade, des milliers de sites industriels dangereux et polluants vont disparaître du radar. Avec 5 « Plans de prévention des risques industriels et technologiques » en voie d’adoption en mai 2009, pour 423 qui devaient être publiés avant le mois de juillet 2008, les industriels peuvent tranquillement dormir sur leurs deux oreilles jusqu’en 2040. Les enquêtes publiques ? Au rencard ! La relance, la relance, vous-dis-je ! Ah, oui, les pesticides… Et bien il est urgent d’évaluer comment on va « faire en sorte » d’en diminuer l’usage de 50%, un jour, dans longtemps, sans fâcher personne. Mais nous avons adopté une loi « révolutionnaire » sur la responsabilité environnementale, faut pas exagérer tout de même ! Oui, bon, mais ça n’était pas encore tout à fait cela.

Hyper efficace, comme on le voit, l’hyper ministère de Jean-Louis « Houdini » Borloo, qui répare aussi les stations d’épuration en moins de temps qu’il n’en faut à un Spankeur pour faire une analyse de sol, c’est dire, souffrait hélas d’une tare congénitale, au regard d’une directive européenne, encore une,qui décidément n’en finissent pas de nous empoisonner la vie.

Mais nous avons vu que le génie français sait transcender pareils défis, et comment !

Le tout, lors même qu’en 2008, le gouvernement a réussi "l’exploit" de
liquider 28 000 postes de fonctionnaires sur les 22 921 prévus...

Mais ce n’était pas fini…

Car demeurait cette empoisonnante Directive européenne 2001/42/CE relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement !

Elle stipule que les Etats membres doivent organiser leurs procédures de décision de manière à intégrer les préoccupations environnementales dans les politiques, et juger en amont des impacts environnementaux d’un projet ou d’un plan.

Dans la quasi-totalité des autres Etats-membres, cette évaluation est réalisée par le ministère de l’Environnement qui bataille traditionnellement, comme ce fut aussi longtemps le cas en France, avec les autres ministères : énergie, urbanisme, industrie, transport… 



En France, depuis la création du MEEDDAT en 2007, c’est notre hyper-ministère qui est chargé à la fois de l’environnement et des politiques de développement, ce qui à y regarder de plus près n’est pas du tout compatible avec les principes (excessivement tatillons, à vrai dire), de la directive européenne. 



Vive l’Autorité environnementale !

Nous savons donc depuis belle date, et ça s’accélère notablement dans la période, que le génie français pourvoit à tout. Id est, ni une ni deux, bonjour le « Conseil général de l’environnement et du développement durable » (CGEDD), créé en juillet 2008.

Le machin, placé sous l’autorité directe du ministre d’Etat, « est l’instrument de conseil, d’expertise, d’inspection ou d’audit et d’évaluation du MEEDDAT, et des différents autres ministères ou autorités publiques qui peuvent le solliciter ».

Ben voyons. Plus c’est gros, plus ça passe !

Afin qu’il puisse concrètement jouer son rôle, une « Autorité Environnementale » a donc été créée en son sein.

« Vous êtes la conscience verte du ministère, déclarait Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’Etat à l’Ecologie, aux membres de l’Autorité, qui se réunissaient officiellement pour la première fois le 6 mai 2009.

Un impressionnant aéropage qui aura la lourde tache d’évaluer les études d’impacts réalisées en vue de l’installation de grandes infrastructures nationales : autoroute, ligne à grande vitesse, ligne à haute tension, centrale nucléaire, et notamment les deux prochains EPR, etc.

Il s’agira de juger de la qualité de l’évaluation, en vérifiant que l’état des lieux est complet, que les impacts ont tous été identifiés, et que les mesures compensatoires sont suffisantes, expliquait M. Michel Badré son président.

Les avis de l’Autorité Environnementale seront rendus publics. En cas de remarques défavorables, cet avis ne pourra pas bloquer un projet d’un point de vue administratif, mais valider le dossier malgré l’avis de l’autorité risquera de décrédibiliser fortement le projet, expliquait Mme Chantal Jouanno. 



Là on se pince, c’est sur qu’Areva, au hasard, serait très gravement déstabilisé, si un avis défavorable de l’Autorité « décrédibilisait » un projet d’EPR. Encore un peu et on va voir fleurir les comités de soutien…

Les 15 membres de l’Autorité Environnementale « ont déjà identifié 150 projets sur lesquels ils pourraient être amenés à se prononcer », rapportait Actu environnement le 6 mai dernier.

Ca commence bien. Ils se prononceront où ils ne se prononceront pas ? Bon, ne soyons pas mauvaise langue.

Le « Schéma national des infrastructures de transport » en cours d’élaboration sera leur premier chantier. Selon M. Michel Badré, l’autorité a déjà commencé à réfléchir au cahier des charges que devra respecter l’étude d’impact, et notamment l’articulation du schéma avec les trames vertes et bleues et la politique climatique. 



Ca va y aller le « powerpoint », et les bilans carbone, et les mesures de compensation, et je te réintroduis 40 hulottes dans le Bas-Poitou en échange de mon autoroute…

Bon, officiellement, l’autorité pourra être saisie à partir du 1er juillet 2009, et devra rendre son avis au plus tard 3 mois après sa saisie.

Elle ne peut pas s’auto-saisir, mais sa saisie est obligatoire pour tout projet présenté par le MEEDDAT, précisait Mme Jouanno. 



Si l’on récapitule, nous avons donc une « Autorité », pas du tout indépendante de son ministre, dont les membres ont été désignés par le même, qui ne peut pas s’auto-saisir, mais sera saisie obligatoirement, toujours par le même. En bon français, ça s’appelle une chambre d’enregistrement. Seul le génie français pouvait il est vrai accoucher de pareil machin, qui nous semble hélas prendre quelques coupables libertés avec la Directive précitée. Bon, nous ne sommes plus à çà près…

Heureusement que nos amis auront pu compter sur l’indéfectible soutien de leur ex-collègue, ex-président du Conseil général des Yvelines, qui vient de devoir rendre son mandat, suite à une douloureuse décision judiciaire, non sans avoir fort opportunément, et à grand bruit, tenté de populariser le très foutraque projet de construction d’un circuit de Formule 1 dans les Yvelines. Ledit projet, comme nul n’en ignore désormais, étant une catastrophe environnementale, dont même Jean-Louis « Houdini » Borloo s’est désolidarisé, c’est dire…

Car dans le cas des projets portés par les collectivités, à l’image du circuit 24 qui allait assassiner les gentils producteurs de bio, l’évaluation revient au ministère de l’Ecologie, représenté au niveau local par les préfets.

Toutefois, si le ministère estime que le projet est d’envergure nationale, de par sa taille, les investissements qu’il nécessite, ou les polémiques qu’il provoque, il pourra le présenter à l’Autorité Environnementale du CGEDD.

Si un ministre voit qu’un projet provoque de nombreuses réactions dans la presse, il pourra demander l’avis de l’Autorité, précisait M. Claude Martinand, vice-président du CGEDD.

Nous ne pouvions espérer meilleure chute.

C’est en lisant le Figaro ou Libération tous les matins que le ministre va évaluer l’impact délétère d’un grand projet sur l’environnement !

Nous ne pouvions rêver meilleure chute.

M. Martinand vice-préside en effet l’Autorité.

Notons, pour le fun, que M. Martinand ne figurait pas au nombre des membres désignés par le décret du 3 novembre 2008 nommant les membres de notre fameuse autorité…

Heureusement que cette coupable bévue a été réparée en moins de 6 mois.

Car comme M. Martinand préside aussi l’Institut de gestion déléguée (IGD), redoutable « think tank » dévolu à l’apologie des « Partenariats-public-privé », fers de lance du « Plan de relance », la boucle est bouclée.

A ce régime, la défense de l’environnement n’attend plus que d’être assignée à un avatar de « l’Insurrection qui vient ».

Ca va venir…

Kârcherisation du droit de l’environnement :

 Kärcherisation du droit de l’environnement (1) : les transactions et amendes forfaitaires en matière de police de l’eau

Les eaux glacées du calcul égoïste, 22 mai 2009

 Kärcherisation du droit de l’environnement (2) : la réforme du régime des « Installations classées pour le droit de l’environnement » (ICPE)

Les eaux glacées du calcul égoïste, 22 mai 2009

 Kärcherisation du droit de l’environnement (3) : la loi sur les risques industriels en carafe

Les eaux glacées du calcul égoïste, 25 mai 2009

 Kärcherisation du droit de l’environnement (4) : les enquêtes publiques flinguées par le « Plan de relance » ?

Les eaux glacées du calcul égoïste, 25 mai 2009

Kärcherisation du droit de l’environnement (5) : chassez le naturel, il revient en pesticides…

Les eaux glacées du calcul égoïste, 26 mai 2009

Kärcherisation du droit de l’environnement (6) : le grand théâtre d’ombres de la « responsabilité environnementale »

Les eaux glacées du calcul égoïste, 26 mai 2009

Kärcherisation du droit de l’environnement (7) : la « conscience verte » du MEEDDAT

Les eaux glacées du calcul égoïste, 26 mai 2009

Kärcherisation du droit de l’environnement (8) : l’Europe en rajoute !

Les eaux glacées du calcul égoïste, 29 mai 2009

Marc Laimé - eauxglacees.com