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Relance de l’irrigation : la colère des chercheurs

15 août 2017

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Après le drame de Sivens, le ministère de l’Ecologie avait commandé une expertise collective sur l’impact cumulé des retenues d’eau sur les milieux aquatiques à l’INRA, l’IRSTEA et l’ONEMA. Rendue publique en mai 2016, cette expertise soulignait l’absolue nécessité d’engager des recherches multidisciplinaires très étendues avant toute décision de création de nouvelles retenues. Précaution que Nicolas Hulot, Stéphane Travert et Emmanuel Macron viennent de fouler aux pieds en cédant au diktat de la FNSEA. Dans la communauté scientifique, l’incompréhensiuon le dispute à la colère.



La conclusion de l’expertise collective conduite par l’INRA, l’IRSTEA et l’ONEMA, que nous reproduisons ci-dessous en fichier joint, est sans équivoque :

« L’expertise a mis en évidence la faiblesse des connaissances sur l’effet environnemental cumulé des retenues. Très peu d’études abordent l’influence cumulée des retenues sur l’ensemble des différentes caractéristiques fonctionnelles considérées dans l’expertise, bien que celles-ci interagissent fortement.

La présence de retenues sur un bassin versant modifie l’ensemble des caractéristiques fonctionnelles. Cette modification constitue un problème dès lors qu’elle affecte un cours d’eau déjà fragilisé.

L’évaluation de la significativité des effets sur un bassin suppose donc d’identifier les enjeux sur ce bassin, et de caractériser son état au vu de ces enjeux. Une démarche en deux étapes, correspondant à deux échelles emboîtées, permettrait de caractériser un bassin versant dans son ensemble, en identifiant les sous-bassins les plus fragilisés et les enjeux associés, avant d’aborder l’évaluation des effets cumulés de nouveaux projets sur ces sous-bassins.

En analysant les effets cumulés des retenues, les processus en jeu et les facteurs d’influence, l’expertise a permis d’identifier les principales interactions entre les caractéristiques fonctionnelles et la nécessité de les prendre en compte pour évaluer les effets cumulés.

Par exemple, l’évolution des débits d’étiage et des débits en période de reproduction influence les conditions de vie des poissons ; l’évolution de la fréquence et de l’amplitude des crues morphogènes influence l’ajustement morphologique du cours d’eau, et par conséquent les conditions d’habitat ; l’évolution des apports de nutriments et du temps de résidence dans les retenues est liée à la dynamique des débits et influence les conditions abiotiques des cours d’eau, paramètres sensibles pour les organismes aquatiques.

Le déficit de données et connaissances constaté limite le nombre d’indicateurs pertinents ou de méthodes validées qui permettraient d’emblée de caractériser l’influence d’un ensemble de retenues sur un bassin versant, voire d’anticiper l’effet de la construction de nouvelle(s) retenue(s).

L’analyse effectuée permet l’élaboration d’un cadre méthodologique pour aborder la question de l’effet cumulé des retenues sur un bassin versant donné, qui constituera l’objet de la phase opérationnelle, à la suite de cette ESCo.

Progresser dans l’évaluation des effets cumulés des retenues sur le milieu aquatique passe par l’acquisition de données et de connaissances :

 de données de recensement et de caractérisation des retenues sur les bassins versants concernés par la problématique des effets cumulés : position dans le bassin versant, mode d’alimentation et de restitution en eau, volume et surface, usages et idéalement dynamique de prélèvement en eau le cas échéant ;

 de connaissances sur les relations de cause à effet entre la présence de multiples retenues sur un bassin versant et l’état général du cours d’eau sur ce bassin, afin d’approcher l’ensemble des caractéristiques fonctionnelles abordées par l’expertise.

Une démarche d’acquisition de données, menée sur quelques bassins ateliers instrumentés aux caractéristiques contrastées, permettra d’élaborer un ensemble organisé et quantifié de connaissances sur l’effet cumulé des retenues, contribuant au développement nécessaire de modèles intégrés et d’indicateurs validés, aidant eux-mêmes à une prise de décision éclairée.

L’ESCo s’est focalisée sur les effets cumulés des retenues sur l’environnement. Elle n’a pas traité les dimensions économiques et sociales associées à leurs usages. Les résultats permettent néanmoins d’alimenter l’étude des usages, services et dys-services écosystémiques associés à l’hydrosystème modifié par les retenues, et ainsi d’objectiver l’évaluation de l’intérêt global de ces ouvrages sur un bassin versant, qui inclut les dimensions économiques et sociales. »

Impact cumulé des retenues d’eau sur le milieu aquatique. Expertise collective, juillet 2016.

La colère des chercheurs

Bassine

Eaux Glacées a tenté de recueillir les réactions de plusieurs chercheurs spécialistes du sujet. Difficile certes en plein mois d’août, mais ce qui frappe d’emblée, outre une incompréhension et une colère non dissimulées, c’est un refus général de s’exprimer ouvertement, l’atmosphère qui règne dans les milieux concernés en ce début de mandat.

« Le nouvel exécutif a promis de mettre en oeuvre un véritable « spoil system » dans toutes les administrations centrales. Leur incompétence manifeste sur le sujet laisse augurer d’une gestion à la schlague si leurs décisions ineptes sont contestées par celles et ceux qui ont compétence pour le faire », confie un spécialiste des sciences sociales.

Pour cette chercheuse en hydrologie, le nouveau pouvoir s’est d’emblée précipité dans une impasse. « Il suffit de voir quels profils ont été sélectionnés, au cabinet, à l’Elysée et à Matignon. Seuls le climat et la biodiversité ont droit de cité. Le pire c’est qu’un tout petit groupe poursuit en réalité un seul objectif : la mise en œuvre de nouveaux dispositifs de financiarisation généralisée des actifs naturels. Une spéculation sans précédent qui va envoyer les politiques environnementales dans le mur. »

Pour cet autre, syndicaliste, c’est la colère qui l’emporte : « Les personnels de l’environnement, au sein de l’Etat et dans les établissements, étaient déjà au bout du rouleau, placés depuis des années dans l’impossibilité de conduire correctement leurs missions. Là, on voit débarquer les petit(e)s marquis(e)s arrivistes de la génération Grenelle, qui commencent à s’acoquiner avec leurs homologues de la finance et du numérique pour prendre le pouvoir partout. Alors tout céder à la FNSEA ne leur pose aucun souci. Ils ne sont même pas conscients qu’on va ce faisant au-devant de graves problèmes avec l’Europe, sans parler des réactions sur le terrain avec une centaine de nouveaux Sivens portés sur les fonts baptismaux ! »

Pour un autre acteur du dossier, le gouvernement va au-devant de graves conflits : « Ca ne passera pas dans les Agences et les Comités de bassin, plus généralement les élus n’accepteront pas de se voir imposer des politiques publiques aussi ineptes, car eux en mesurent l’aberration et les risques qu’elles représentent. Plus les apprentis sorciers vont déployer une « com » parfaitement mensongère et plus ça va se retourner contre eux… »

Lire aussi :

 La relance de l’irrigation camouflée en "projet de territoire"

http://www.p-plum.fr/spip.php?page=article&id_article=373

Les eaux glacées du calcul égoïste, 22 février 2016.

 Irrigation : Nicolas Hulot au milieu du gué

http://www.eauxglacees.com/Irrigation-Nicolas-Hulot-au-milieu

Les eaux glacées du calcul égoïste, 8 aoüt 2017.

 Les enjeux du stockage de l’eau en agriculture, par Benoït Biteau

http://www.eauxglacees.com/Les-enjeux-du-stockage-de-l-eau-en

Les eaux glacées du calcul égoïste, 8 aoüt 2017.

 Emmanuel Macron et Nicolas Hulot relancent l’irrigation agricole à outrance

http://www.eauxglacees.com/Emmanuel-Macron-et-Nicolas-Hulot

Les eaux glacées du calcul égoïste, 10 aoüt 2017.

 Relance de l’irrigation, le gouvernement confirme

http://www.eauxglacees.com/Relance-de-l-irrigation-les

Les eaux glacées du calcul égoïste, 13 aoüt 2017.

Marc Laimé - eauxglacees.com