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Irrigation : histoire secrète d’un arrêt du Conseil d’Etat

3 janvier 2012

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Nous évoquions il y a peu un arrêt du Conseil d’état qui confirmait la qualification de « cours d’eau » décernée au ruisseau de l’Oie en Touraine, et par là même l’obligation pour l’irrigant qui y prélevait de l’eau d’en solliciter l’autorisation préalable. Grâce à un fidèle lecteur, nous pouvons aujourd’hui éclairer plus avant les enjeux souterrains d’une formidable bagarre, déterminante pour l’avenir de l’irrigation et, partant, d’une gestion soutenable des ressources en eau.



L’enjeu de ces 6 années de procédure n’était pas tellement de valider le fait que le prélèvement de l’EARL Cintrat était illégal....

Un jeu d’acteur complexe prédominait en réalité ce dossier.

 La profession agricole (qui voit des "fossés" partout où ça l’arrange), contre
les tracasseries administratives.

 Les pro-bassines (retenues collinaires... le département de la Vienne/Région Poitou Charentes jouxte l’Indre-et-Loire...) contre les "écolos".

 Des responsables syndicaux contre des fonctionnaires, suspectés d’avoir lâché le milieu agricole en délaissant les règles de cogérance qui prévalaient jusque là avec le syndicat majoritaire.

En effet, l’EARL Cintrat, c’est surtout Patrick Cintrat, président de l’UDSEA 37 (Fnsea), président de la Chambre d’Agriculture depuis plus de 10 ans, et cadre départemental UMP.

Le dossier "carte des cours d’eau" a fait tousser dans les campagnes vers 2004-2005. L’enjeu : la mise en place obligatoire, "le long des cours d’eau" des bandes enherbées, en contrepartie des aides PAC (conditionnalité des aides).

Charge au préfet de définir ce qui devait être entendu par "cours d’eau".

Certains, très lucides (les préfets PDV=pas de vague), ont directement demandé à la profession agricole de dessiner la carte, plus simple…

D’autres ont missionné l’ex-CSP (ONEMA).

C’est ce qui s’est manifestement passé en Indre-et-Loire, et qui n’a pas plu du tout aux agriculteurs. Le résultat est présenté ici : http://www.indre-et-loire.equipement-agriculture.gouv.fr/les-cours-d-eau-r149.html

La DDA, avec l’appui du CSP/ONEMA, avait ouvert, dans ce département, différents fronts sur la protection des milieux humides :

 carte des zones humides

 procédure administrative poussée à la consignation de fonds (18 000 euros) pour détruire un plan d’eau illégal et renaturer la zone impactée,

 effacement d’ouvrages à la continuité écologique : sur les petits cours d’eau à truite, mais également les plus importants : la Creuse, ou encore le Cher canalisé (malgré farouche opposition, le verrou aval vient de sauter grâce à la rivière artificielle kayak/poisson créée à Tours, et l’abaissement des barrages amont),

 une convention parquet-Etat-ONEMA permettant d’obtenir des décisions de justice rapide et efficace, et tendant à la restauration des zones impactées

 sans compter l’emblématique dossier Synthron/Protex qui s’est (provisoirement ?) achevé en 2008 au tribunal
pour les faits de pollution de 2004 (condamnation lourde, malgré la défense de C. Huglo himself).

Mais les services spécialisés continuent manifestement de s’intéresser à ce bon client (personne n’a oublié la catastrophe de 1988 - Tours privé d’eau pendant une semaine) : (perquisitions, mise en examen, et interdictions administratives), dont les pollutions "historiques" péseront longtemps sur la qualité des nappes sous-jacentes...

Dans le dossier "carte des cours d’eau", la volonté de l’administration n’était pas de planter la profession agricole, mais surtout de "profiter" de cette fenêtre de tir pour élaborer une carte qui soit utile, tant pour l’implantation des bandes enherbées, que pour l’application, de manière générale, des dispositions du code de l’environnement.

Les campagnes tourangelles connaissaient à l’époque une recrudescence d’ouvrages créés (plans d’eau), sans autorisation et qui barraient les cours d’eau. En cas de constat d’infraction, il était alors difficile, sans référentiel clair, de convaincre un parquetier de ne pas classer le dossier, et encore moins d’obtenir réparation au tribunal.

La visée "écologiste" et "conservationniste" de cette stratégie ayant été dénoncée par les responsables syndicaux départementaux, s’en sont suivies deux ans de guérilla avec la DDA d’alors pour contester les résultats des expertises de terrain. Une procédure de recours gracieux, étalée sur deux ans, a permis de traiter plus de 300 recours.

Mais le patron, Cintrat, a voulu aller plus loin. La voie d’un jugement sur son prélèvement dans le ruisseau de l’Oie devait donc être l’occasion pour lui de faire trancher le débat sur la carte départementale. Elle aurait été aussitôt dénoncée vigoureusement si le Conseil d’Etat n’avait pas suivi l’Etat sur ce cas précis.

Le débat sur les cartes des cours d’eau s’est désormais tu dans les campagnes, les agriculteurs ont finalement bien intégré ce point et sont surtout passés à autre chose, confrontés qu’ils sont à des difficultés bien plus grandes, dans le contexte incertain de l’avenir de la PAC.

Mais, surtout, cet exercice a révélé que l’écologie pratique ne peut avancer qu’en actes, et que les débats Grenelle, trame bleue/trame verte, etc. ne valent d’être poursuivis que si, sur le terrain, des points concrets sont obtenus.

Et pour ce faire, l’action vigoureuse des services de l’Etat est un préalable obligé à tout progrès réel.

Marc Laimé - eauxglacees.com