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Régies et SEM : vers la mise en concurrence obligatoire ?
21 février 2007
par
- eauxglacees.comEn juin 2005 l’Institut de la gestion déléguée, le puissant « think-tank » français, qui travaille depuis des années, avec un succès hélas éclatant, à la légitimation idéologique des partenariats-publics-privés, publiait une analyse très affinée des perspectives d’évolution du droit communautaire en matière d’obligation de mise en concurrence des différents modes de gestion dans le secteur de l’eau et de l’assainissement. Régies et SEM pourraient semble-t-il être contraintes dans l’avenir à la mise en concurrence obligatoire avec les opérateurs privés.
Titré « Quelle compétition pour l’amélioration du service public ? », le rapport du groupe de travail constitué à cet effet n’est pas consultable en ligne, mais on peut en faire l’acquisition auprès de La Documentation française.
Comment l’IGD analyse-t-il la situation ?
(Les intertitres ont été ajoutés par Eaux glacées).
« Le droit communautaire est neutre dans le choix entre la délégation et la régie. Les principes de subsidiarité (article 5 du Traité sur la communauté européenne) et de neutralité (article 295 du TCE), laissent aux Etats et aux collectivités territoriales une très grande liberté de choix dans la création et l’organisation de leurs services publics dont ils sont politiquement responsables.
Prééminence de l’économie de marché
« Ces principes doivent en revanche être conciliés avec le principe de liberté de concurrence (article 3 du TCE), renforcé par le préambule du traité CE qui opte pour la prééminence de l’économie de marché.
« Le droit communautaire ne comporte pas de règles spéciales qui permettent de garantir de manière générale que les différenciations éventuelles entre les modes de gestion ne constituent pas de véritables distorsions. Mais lorsqu’il s’agit d’une prestation de nature économique au sens des articles 43 à 55 du traité, c’est-à-dire d’un type de prestation pour laquelle il existe un marché (ce qui, par exemple a été reconnu par la Cour de justice des communautés européennes dans le secteur des transports publics locaux par l’arrêt Altmark du 23 juillet 2003), et que le commerce entre Etats membres est susceptible d’être affecté, le droit communautaire encadre l’exercice du choix dès lors que la collectivité publique entend faire intervenir un tiers : les règles générales, notamment le principe de liberté de prestations de services, le droit de la concurrence et le droit des aides d’Etat sont alors directement applicables à la dévolution des missions de service public.
« En outre, lorsque, pour une telle prestation, l’opérateur du service d’intérêt général est investi d’un droit exclusif ou bénéficie d’une compensation financière, ce contrôle est plus strict. Des règles spéciales concernent les industries de réseau.
« Ainsi, aujourd’hui, il n’existe pas formellement d’obligation de mise en concurrence des modes de gestion, mais seulement un encadrement des conditions d’exercice des modes de gestion en cas de recours à un tiers, afin d’éviter que la concurrence soit faussée.
« Cependant, il existe des indices conduisant à penser que cette situation est susceptible d’évoluer prochainement.
« La Communication interprétative de la Commission européenne sur les concessions en droit communautaire (2000/C 212/02) – (1), considère que les « actes imputables à l’Etat, par lesquels une autorité publique confie à un tiers – que ce soit par un acte contractuel ou un acte unilatéral ayant reçu le consentement de ce tiers – la gestion totale ou partielle de services qui relèvent normalement de sa responsabilité et pour lesquels ce tiers assume les risques d’exploitation… » relèvent de l’application des règles du Traité.
Obligation de mise en concurrence pour les régies à personnalité juridique ?
« Ces règles conduiraient, selon la Commission, à une obligation de mise en concurrence et à l’exigence de mesures de publicité adéquates pour garantir l’effectivité de la concurrence.
« Le champ est très large car les termes utilisés semblent l’étendre à presque tous les modes de dévolution, y compris la régie, lorsqu’elle a la personnalité juridique, puisqu’elle est alors un tiers.
« On peut donc se demander si demain, au-delà de la concurrence entre les candidats à une opération relevant d’un mode de délégation donné, l’obligation communautaire de mise en concurrence ne couvrira pas aussi la concurrence entre les divers modes d’exécution. Telle est sans doute la position actuelle de la Commission, mais il est évidemment impossible de préjuger si elle sera suivie sur ce point par les autres institutions communautaires.
« Un arrêt de la Cour de justice du 11 janvier 2005, rendu lui en matière de marchés publics, rappelle qu’une autorité publique qui « ne fait pas appel à des entités externes n’appartenant pas à ses services » n’a pas à « appliquer les règles communautaires en matière de marché public » car « il ne peut pas être question de contrat à titre onéreux conclu avec une entité juridiquement distincte ».
« Même si le contractant est une entité juridiquement distincte, l’appel à la concurrence n’est pas obligatoire dès lors que l’autorité publique exerce sur cette entité un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services.
Menaces sur les SEM
« En revanche un tel contrôle est exclu dès lors qu’il existe un partenaire privé dans le capital de cette entité. Ainsi la Cour précise que lorsqu’ « un pouvoir adjudicateur a l’intention de conclure un contrat à titre onéreux avec une société juridiquement disctincte de lui, dans le capital de laquelle il détient une participation avec une ou plusieurs entreprises privées, les procédures de passation des marchés publics (…) doivent toujours être appliquées (2).
« La Cour a donc simultanément affirmé que la mise en concurrence est obligatoire en cas de dévolution à une société d’économie mixte parcequ’un partenaire privé figure au capital, et qu’elle ne l’est pas en revanche lorsque le service est rendu par la collectivité de manière intégrée.
« Cet arrêt tranche clairement le cas des SEM, pour le cas où leur relation avec la collectivité a intrinsèquement la nature de marché public.
« S’agissant de la régie, il semble que l’absence de partenaire privé permet de considérer que l’autorité publique exerce sur elle-même le même contrôle que sur ses propres services, la dévolution à une régie serait une opération « in house » non soumise à la concurrence.
Menaces sur les régies
« En revanche il n’est pas certain que cet arrêt, rendu sur la base de la Directive 92/50 CE sur les marchés publics de service, et qui très logiquement exclut de l’applicabilité de cette directive les opérations dites « in house », puisque celle-ci s’effectuent sans passation d’un contrat, soit transposable en matière de concession au sens communautaire, à une régie dotée de la personnalité juridique.
« En effet, dans la concession communautaire, l’autorité publique confie, non pas nécessairement par un acte contractuel mais éventuellement par un acte unilatéral, à un « tiers » la gestion de services dont il assurera les risques d’exploitation.
« Il n’est en conséquence pas sur que cette jurisprudence suffise à écarter par elle-même l’analyse ci-dessus exposée de la Communication interprétative sur les concessions et englobant dans l’obligation de mise en concurrence et de transparence la dévolution à une régie dotée de la personnalité juridique. A l’heure actuelle (2005 note Eaux glacées), ni la jurisprudence de la Cour, ni les positions de la Commission ne permettent d’avoir des certitudes sur ce point.
Vers une évaluation comparative systématique
« Enfin, il semble que la Commission souhaite parvenir à rendre obligatoire une procédure d’évaluation comparative des différents modes de gestion d’un service d’intérêt économique général.
« Le Livre blanc sur les services d’intérêt général prévoit d’imposer une procédure d’évaluation comparative lors de la création ou lors de la mutation d’un nouveau service d’intérêt général.
« En revanche, il semble qu’en dehors de ces deux cas, rien ne serait prévu alors qu’une telle évaluation comparative pourrait s’avérer utile périodiquement, indépendamment de tout changement, pour apprécier si le mode de gestion choisi demeure efficient.
« La question se pose donc de savoir si, au-delà des évolutions communautaires, une possibilité analogue, voire plus large, pourrait être mise en place au niveau national. »
Notes
(1) Cette communication est intervenue à la suite de l’arrêt CJCE Télaustria Verlags GmbH du 7 décembre 2000. En ce qui concerne la Communication, il faut rappeler que la définition de la concession n’est pas identique en droit communautaire et en droit français. En droit français, elle n’est qu’un mode de délégation alors qu’en droit communautaire, elle recouvre un sens plus large encore que les délégations de droit français.
(2) CJCE, 11 janvier 2005, Stadt Halle, aff. C-26/03, point 52.
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