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L’Affaire Cristaline (4) : l’offensive du cartel

26 janvier 2007

par Marc Laimé - eauxglacees.com

A l’origine, dès 2004, ce sont les distributeurs d’eau, institutions publiques et grands groupes privés, qui initient des campagnes de publicité comparative vantant les atouts de l’eau du robinet. La démarche ne va pas sans arrière-pensées qui éclairent d’un jour cru les enjeux de l’affrontement comme les rapports de force en présence.



Le Sedif et Veolia ont compris que la fantastique rente de situation que procure à l’entreprise son premier contrat français, qui représente près de 50% de ses bénéfices dans l’hexagone, va nécessairement diminuer, et peut-être très sensiblement, à partir de 2011 quand le syndicat aura décidé d’un nouveau mode de gestion. Veolia a 99% de chances de signer un nouveau contrat, ne rêvons pas, mais « Times are changing », même les vaches grasses doivent passer sous les fourches caudines du « light ». O tempora, o mores… Plusieurs axes stratégiques s’ouvrent dès lors à la réflexion.

Versant volumes facturés, il ne serait peut-être pas totalement inutile de flanquer quelques bons coups de latte aux embouteilleurs dont les taux de croissance sont décidément bien agaçants.

Comment faire ? C’est ici que va se nouer, à partir de 2004, la partie de billards à plusieurs bandes qui connaîtra son acmé avec notre désormais fameuse « semaine Cristaline » du début du mois de janvier 2007.

Une guerre d’image

Le Sedif et son régisseur, la Générale des eaux, filiale française de Veolia-Eau, qui a conservé l’appellation historique du groupe, dégaine donc à l’automne 2004 avec une campagne d’affichage qui joue, déjà, le comparatif, ici bien sur en faveur de l’eau du robinet, supérieure à tous égards, on s’en serait douté, à l’eau en bouteille…

Le syndicat et Veolia annoncent la couleur en affirmant que l’eau vendue en bouteille plastique peut être néfaste pour la santé. La preuve : certaines eaux contiennent jusqu’à 9 milligrammes par litre de fluor, substance qui peut provoquer nausées et diarrhées au dessus d’un milligramme par kilo.

Et d’enfoncer le clou en soulignant que, par ailleurs, les bouteilles sont rarement stockées dans des conditions optimales de conservation. La stagnation de l’eau peut favoriser l’apparition de germes.

En outre la bouteille plastique est fabriquée à partir de pétrole, ressource non renouvelable. Vide, c’est un déchet qui met entre 100 et 500 ans pour se décomposer. C’est un achat lourd et encombrant.

Enfin, point d’orgue, pour une qualité similaire, l’eau en bouteille est 100 fois plus chère que l’eau du robinet… 

Le Sedif et Veolia veulent donc en finir avec la mauvaise réputation de l’eau du robinet qui incite les Franciliens à acheter toujours plus d’eau en bouteille.

Avec 130 à 140 litres par an et par habitant (comme toujours dans l’eau les sources et les chiffres divergent…), la France est en effet le deuxième consommateur mondial d’eau en bouteille, juste après l’Italie.

Pourtant, l’eau potable au robinet est d’une parfaite qualité affirme le Sedif, qui rappelle que ce produit subit 250 000 analyses par an sur 80 paramètres différents, à l’initiative de ses services. Toujours renouvelé et disponible 24 heures sur 24, 365 jours par an, il n’entraîne par ailleurs aucun déchet. 
(Bon, là faut pas charrier, et les boues de potabilisation, c’est pas des déchets, çà ?).

D’après le syndicat, les Franciliens sont convaincus sur un point : 76% des abonnés se déclarent satisfaits de la qualité de leur eau.

Pourtant, 35% de ces mêmes abonnés estiment que l’eau du robinet n’est pas bénéfique pour la santé, et 20% ne sont pas d’accord avec l’affirmation « l’eau du robinet est sans danger pour la santé ».

(J’espère que depuis le Sedif a changé d’institut de sondage, produire des chiffres aussi calamiteux au prix où on les paie, faut oser !).

Entre autres paradoxes, 54% des abonnés au service d’eau reprochent aussi à l’eau du robinet sa teneur en calcaire alors que certaines eaux en bouteille ont des taux de calcium dix fois supérieur… 



C’était donc la première fois que le syndicat attaquait les industriels de l’eau en bouteille dans une campagne grand public. Ses précédentes campagnes de com étaient beaucoup plus lénifiantes, se bornant à rappeler la parfaite qualité de l’eau du robinet.

Il s’agissait donc bien cette fois de se poser en concurrent et de s’en donner les moyens, notamment en reprenant le discours publicitaire des minéraliers.

"Idéale pour ceux qui habitent au 5ème sans ascenseur",

"Quoi de plus écologique que pas d’emballage du tout",

"Libre à vous de payer 100 fois plus cher".

Trois slogans pour soutenir la signature :

"L’eau du SEDIF. Le meilleur de l’eau chez vous".

La campagne a du succès. Les embouteilleurs font grise mine mais le Sedif a pris soin de ne pas dépasser la ligne jaune : visuels et textes demeurent « politiquement corrects ». Le gimmick mord et s’installe dans le paysage. Ennuyeux, mais même si l’on s’appelle Danone, Nestlé ou Castel, on y regarde à deux fois avant de s’aventurer à coller une mandale à Veolia ou au Sedif…

Fort heureusement, Hosanna, Montjoie Saint-Denis, à ce stade de notre ténébreuse affaire, la jeune pédégère verte d’Eau de Paris va, sans le savoir, et sans le vouloir, soyons chics comme nous l’ont enseigné les Bons Pères et les Scouts, apporter de l’eau au moulin de nos amis du Cartel ! Anne, chère sœur Anne, sans doute n’as-tu rien vu venir et il te sera à ce titre beaucoup pardonné, m’enfin, au vu de ce qui va suivre, tu aurais pu faire gaffe !

Brèfles, ne voilà-t-y-pas qu’au printemps 2006, notre Sœur Anne, à l’évidence furax que l’infernal Santini, qui ne manque jamais par ailleurs une occasion de vilipender notre verte pédégère, furax donc que le mécano de la Générale ait « préempté » le thème des bouteilles en plastok immondes qui conduit le monde droit à sa perte, notre sœur Anne monte à son tour au créneau et fomente une très soixante-huitarde opération « d’agit-propre » avec l’association Agir pour l’environnement.

Tout y passe, les milliards de bouteilles, le PET, l’incinération, le calcul des centaines de milliers de trajets de camions qui inondent les supermarkets des boutanches immondes, le nombre d’arbres qu’il faut couper pour fabriquer les palettes qui recevront les cochonneries de bouteilles… La totale. Bon, on ne va pas s’apesantir, comme vous allez religieusement, à vélo, quérir vos laitues tous les vendredis à l’AMAP - salon de thé - bibliothèque du coin en vous régalant d’une tisane et en écoutant des mélopées tibétaines, vous connaissez la chanson.

Bingo, là ça fait tilt chez nos amis du Cartel qui, même dans leurs rêves les plus fous, n’avaient pas osé imaginer pareille aubaine.

Vert, passe, impair et manque. Quinte flush et dix de der. Y a de l’embrouille dans l’air.

Un rapport au vitriol

Nos amis du Cartel vont voir miraculeusement leurs vœux les plus chers être exaucés en 2006.

D’abord il leur faut s’assurer que la Loi sur l’eau sera conforme à leurs desideratas. De ce côté là, pas de souci, ils savent faire et rien n’est vraiment de nature à les chagriner quand la LEMA est finalement publiée au JO le 30 décembre dernier.

Ensuite, miracle, une vieille dame endormie va se réveiller comme par enchantement, et apporter de l’eau à leur moulin.

Depuis des lustres, dans notre doulce France, c’est la prestigieuse, si un rien poussiéreuse, Académie de médecine, qui a la haute main sur la réglementation ubuesque qui préside aux destinées des eaux minérales.

Ca ne peut plus durer, trop baroque tout cela, façon Marienbad, cures thermales, thalasso et autres incongruités aux couleurs sépia qui fleurent bon le XIXème siècle.

Vavavoom, notre distinguée Académie de médecine adopte à l’unanimité le 14 novembre 2006 un rapport dédié aux eaux minérales et à leurs désormais innombrables succédanés, qui, sous ses dehors policés, noblesse oblige, relève de la frappe préventive…

Il est assorti de très sévères recommandations, qui vont illico être prises au pied de la lettre, et même considérablement amplifiées et aggravées, dès le 10 janvier 2007, par le gouvernement du Sieur Galouzeau.

Quand on pense que d’innombrables rapports parlementaires fustigent la lenteur de l’application de la loi, un thème qui fait sortir de ses gonds Jean-Louis Debré, saluons la performance.

Mais n’anticipons pas.

Le rapport de l’Académie vaut son pesant de moutarde.

On y découvre, effaré, que nos amis les embouteilleurs ont semble-t-il fini par se considérer en terrain conquis et prendraient des libertés coupables avec la réglementation en vigueur.

En clair, sans doute l’ivresse des bulles, ils nous fourguent tranquillement les élixirs les plus improbables, sans que le ministère de la Santé, leur autorité de tutelle, n’y trouve grand chose à redire.

Et l’Académie de formuler de très sévères recommandations, en forme de costard en sapin pour nos amis les embouteilleurs.

Qu’on en juge. Il convient, selon notre veille dame :

« D’améliorer l’information du consommateur, notamment par des étiquettes précises, explicites et lisibles. »

Ah bon, elles seraient donc imprécises, implicites et illisibles, voyez-vous çà…

Et d’expliquer :

« Le plus souvent, le consommateur n’a pas conscience de la composition des eaux minérales qu’il consomme, de surcroît souvent en grande quantité (1 litre par jour voire davantage). Son information doit donc être améliorée en devenant plus précise, plus explicite et plus « lisible » (au niveau des étiquettes notamment. »

En avant pour les recommandations :

« - Préférer, pour la consommation familiale courante, une eau minérale naturelle peu minéralisée si l’on souhaite remplacer l’eau de distribution.

 Améliorer notablement la lisibilité de la composition des eaux minérales. Les teneurs ioniques, notamment en sodium, fluor et sulfates, doivent être systématiquement indiquées en gros caractères et de manière compréhensible avec indications explicites concernant les teneurs excessives en certains minéraux et oligo-éléments (et donc « non potables » au sens réglementaire du terme). Ceci, afin de permettre au consommateur de faire un choix éclairé.

 en fonction d’indications particulières : par exemple, choix d’eaux riches en calcium chez l’enfant et chez les personnes âgées, notamment ostéoporotiques ; ou recours à des eaux riches en sulfates, pour lutter contre la constipation, notamment chez le petit enfant ou la femme enceinte (utilisation au long cours par contre déconseillée).

 en fonction de contre-indications particulières : par exemple, évitement d’eaux riches en sodium chez des malades porteurs d’HTA ou d’une autre maladie cardio-vasculaire.

 Modifier les informations sur les eaux supplémentées non aromatisées "à base d’eau minérale naturelle". Au lieu de l’information nutritionnelle standard mentionnant l’absence de calories, de protéines, de lipides et de sucres -qui n’a aucune pertinence concernant de l’eau-, les teneurs en minéraux et en oligo-éléments devraient être indiquées comme pour l’eau minérale native, avec les restrictions indiquées ci-dessus.

 Exprimer la teneur en sucre des eaux supplémentées aromatisées en g/L et non par 100 mL, indication trompeuse pour le consommateur, car risquant de lui faire croire à une teneur en sucre 10 fois inférieure à sa teneur réelle.

 L’utilisation du nom de la source pour des boissons sucrées et plus encore pour les « prémix » est elle-même très discutable, car elle laisse entendre que ladite boisson bénéficie des seules propriétés de l’eau minérale d’origine, alors qu’elle cache des supplémentations dangereuses (boissons sucrées) voire très redoutables (boissons sucrées et alcoolisées : « prémix »). La réglementation de ces boissons demande à être reconsidérée. »

Et ce n’est pas tout. Il va aussi falloir :

« Développer la recherche clinique dans le domaine des eaux minérales.

– Une recherche clinique de qualité est à développer, au bénéfice de méthodologies appropriées (études épidémiologiques…) avec leurs difficultés et leurs limites. Cependant, des travaux ciblés, menés en toute indépendance scientifique et s’inspirant des critères mis en place par l’Académie pour encadrer la recherche clinique thermale, doivent permettre d’obtenir des données fiables et conduire à des « niveaux de preuves » significatifs. »

Ce qui engage à formuler des axes prioritaires concernant :

« - l’utilisation des eaux minérales chez les personnes ou des malades à risques particuliers : nourrissons, femmes enceintes, personnes âgées, malades atteints d’ostéoporose, de lithiase rénale, d’affections cardio-vasculaires, d’insuffisance rénale, etc…

 les indications et les contre-indications d’eaux minérales à composition particulière (riches en calcium, en sulfates, en magnésium…). Dans l’exemple de l’ostéoporose, plusieurs travaux se sont attachés à démontrer une bio-disponibilité équivalente entre le calcium de l’eau minérale et celui des laitages. Peu d’études, par contre, ont été consacrées à son effet sur la densité osseuse et aucune sur sa capacité éventuelle à prévenir les fractures osseuses. En outre, le rôle des anions, bicarbonates ou sulfates, qui accompagnent le calcium, reste controversé. De même, il y a lieu de préciser l’action la silice (contenue dans certaines eaux) sur le métabolisme osseux. »

Ce n’est pas fini, il faudra aussi :

« - Développer des études cliniques sur les dangers des eaux minérales supplémentées en sucre et/ou en alcool (« prémix »). »

Aussi justifiée soit-elle la charge n’en apparaît pas moins étonnamment sévère pour une institution qui a si longtemps témoigné d’une grande mansuétude à l’égard des grands minéraliers…

Soulignons aussi qu’à ce stade Cristaline, eau de source et non eau minérale, n’est pas dans le collimateur de l’Académie.

Patience, ça vient. Voilà déjà une bonne chose de faite, Le meilleur reste à venir.

Le Sedif repart en campagne

A n’en pas douter encouragé par cette divine surprise, on le serait à moins, notre Syndicat repart illico à l’assaut et lance une nouvelle campagne comparative, par voie de radio et d’affichage à partir du 28 novembre 2006.

Aucune équivoque sur ses intentions, à lire le communiqué de presse du Syndicat, en date du 22 novembre 2006…

« L’eau du SEDIF : une grande marque se dévoile

« L’eau du robinet gagne à être connue ! Dans la comparaison avec les eaux en bouteille, l’eau du SEDIF l’emporte sur de nombreux points. Une nouvelle campagne le fait savoir, hissant ainsi l’eau du SEDIF au niveau d’une grande marque.

« Qualité et contrôles, disponibilité et respect de l’environnement : l’eau du robinet peut faire valoir de nombreux atouts, surtout lorsqu’on la compare aux eaux en bouteille.

« En charge du service public de l’eau potable pour 4 millions d’habitants en région parisienne, le Syndicat des Eaux d’Ile-de-France communique depuis plusieurs années vers le grand public, afin de faire mieux connaître le savoir-faire et les engagements qui sont les siens.

« Le SEDIF a mis la qualité et la sécurité au cœur de ses préoccupations. Ses moyens de production sont parmi les plus performants du monde, faisant appel à des techniques de pointe pour obtenir une eau de qualité irréprochable à partir de ressources pourtant très dégradées.

"Les investissements réalisés dans les usines et sur le réseau, les contrôles mis en œuvre de la rivière au robinet du consommateur, garantissent la sûreté de l’eau distribuée, au point d’en faire une eau de premier choix.

« Outre la qualité sanitaire, l’eau du SEDIF affiche d’autres points forts :

 une disponibilité à tout moment, à domicile, quelle que soit la quantité demandée

 une dimension écologique évidente, l’eau du robinet ne générant aucun déchet

« Attentif à la satisfaction de ses consommateurs, le SEDIF a mis en place un Observatoire de la qualité du Service public de l’eau qui lui permet d’améliorer sans cesse ses performances.

« La campagne 2006 du SEDIF s’appuie sur deux affiches et trois spots radio. Elle démarrera le 28 novembre et couvrira l’ensemble des communes du Syndicat.

"En s’appropriant le langage publicitaire des professionnels du marketing, et en démontrant son niveau d’exigence, le SEDIF fait la preuve qu’un produit « ordinaire » peut se hisser au niveau d’une grande marque. « 

Et c’est reparti :

« Quelle marque délivre 1 milliard de litres par jour, et pas une seule bouteille ? »

Mais le meilleur restait donc à venir.

Le décret de la mort qui tue

Alors que toute la « communauté de l’eau » est suspendue aux pérégrinations de la LEMA, qui vont perdurer jusqu’au 30 décembre de la bienheureuse année 2006, les oreilles de nos amis les embouteilleurs bruissent de très alarmistes rumeurs. Les distributeurs d’eau du robinet s’apprêteraient à intensifier leurs campagnes de promotion « comparatives » dès le début de 2007.

On conçoit que cette perspective énerve nos amis les embouteilleurs.

Qui ne vont pas tarder à voir arriver l’estocade.

Le Conseil des ministres examine le 10 janvier 2007 un projet de décret « relatif à la sécurité sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine ».

Le communiqué affiché sur le site de l’Elysée est tout-à-fait anodin.

Le contenu de notre décret ne l’est pas du tout.

Pris en application de la loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004, dite « loi Mattei », il refond le dispositif réglementaire concernant les eaux destinées à la consommation humaine et les eaux minérales naturelles, notamment en ce qui concerne les autorisations administratives nécessaires.

Que prévoit donc notre fameux Décret n° 2007-49 du 11 janvier 2007 relatif à la sécurité sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine, publié JO du 12 janvier 2007 ?

Son article 1er modifie radicalement les articles R. 1321-1 et suivants du Code de la santé publique relatifs aux eaux destinées à la consommation humaine à l’exclusion des eaux minérales naturelles.

Les nouvelles dispositions stipulent notamment que :


« la procédure d’autorisation d’utilisation d’eau en vue de la consommation humaine (production, distribution par un réseau public ou privé, à l’exception de la distribution à l’usage d’une famille mentionnée et de la distribution par des réseaux particuliers alimentés par un réseau de distribution public, conditionnement) est révisée ;


 une nouvelle procédure d’autorisation temporaire d’utilisation, à titre exceptionnel, est introduite (article R. 1321-9 du Code de la santé publique) ;


 les activités à l’intérieur d’un périmètre de protection pour le prélèvements d’eau sont réglementées (article R. 1321-13) ;


 les dispositions sur les matériaux et objets mis sur le marché et destinés aux installations de production, de distribution et de conditionnement qui entrent en contact avec l’eau destinée à la consommation humaine doivent être conformes à des dispositions spécifiques qui seront définies par arrêté (article R. 1321-48) ;


 les dispositions applicables aux produits et procédés de traitement et de nettoyage de l’eau destinée à la consommation humaine sont détaillées (article R. 1321-50).

L’article 2 du décret modifie les articles R. 1321-69 à R. 1321- 97 du Code de la santé publique relatifs aux eaux de source et aux eaux de consommation humaine conditionnées, à l’exclusion des eaux minérales naturelles. Il s’agit des dispositions applicables aux eaux de source et aux eaux rendues potables par traitement conditionnées, à l’importation d’eau potables conditionnées.

Il introduit par exemple une autorisation pour l’importation d’eaux potables conditionnées, autres que les eaux minérales naturelles, et de glace alimentaire d’origine hydrique. Elle doit être délivrée par le préfet du département où siège l’importateur demandeur de l’autorisation de la première mise à la consommation en France (article R. 1321-96).



L’article 4 du décret aggrave les sanctions applicables aux infractions en matière d’eaux destinées à la consommation humaine. Est désormais puni d’une amende prévue de 1 500 euros au plus (ou 3 000 en cas de récidive) (alors qu’avant s’appliquait une amende de 750 euros au plus) le fait de :


 modifier les conditions d’exploitation, de traitement et d’utilisation, autorisées par arrêté, sans obtenir la révision préalable de cette autorisation (R. 1324-4 du Code de la santé publique) ;


 mettre de l’eau à la disposition du public sans disposer de l’accord du préfet prévu à l’article R. 1321-10 ou à l’article R. 1322-9 (R. 1324-6 du Code de la santé publique). »


L’article 8 du décret précise enfin les conditions d’entrée en vigueur du décret et d’application aux demandes d’autorisation en cours.

Le coup de sang de Cristaline

En résumé, avant le décret, l’eau en bouteilles c’est un rêve d’oligarque. Après le décret l’embouteilleur mue en tchetchène qui bat les bras derrière son brasero et vend des chachliks dans un recoin de la gare de Rostov, en attendant que les miliciens lâchés par Poutine sur les « Caucasiens », le chopent au colback avant de lui faire sa fête.

Du coup l’une des fortes têtes du camp adverse pique un coup de sang. Le sieur Papillaud, P-DG de Cristaline est un dur de la vieille école, façon Jean Gabin ou Lino Ventura.

La cible c’est lui, puisque Cristaline, filiale du groupe Neptune-Castel, s’est hissée ces dernières années au premier rang des fournisseurs de produits « d’entrée de gamme » dans les supermarkets.

On lui cherche des crosses ? Ca va saigner.

Cristaline sollicite l’agence Business qui lui concocte la fameuse campagne trash, celle qui va déclencher un invraisemblable barnum médiatique, à peine terminée la trève des confiseurs, et avant que l’agenda de la présidentielle ne reprenne ses droits.

Pour une campagne c’est une belle campagne. Chez Veolia et au Sedif on n’en croit pas ses yeux et ses oreilles. L’affaire explose et va marcher « mieux que bien », comme l’aurait dit l’anachorète de Central Park à la chaussette trouée.

Mais pourquoi donc le sieur Papillaud est-il sorti de ses gonds ? Bon, le décret, d’accord, mais encore ? Ce qui est en jeu c’est à la fois l’accès à la ressource, et nous avons vu que ça va devenir coton, mais tout aussi important, l’accès au « client ».

La bande à BonneEau

Or en la matière les embouteilleurs sont désormais, à l’instar des distributeurs, confrontés de surcroît à des hordes de margoulins qui tirent à boulets rouges… et sur l’eau du robinet, et sur l’eau en bouteille, et viennent grignoter leurs marges aux uns et aux autres !

On fait comment pour fidéliser le client, quand non seulement on a Veolia et Suez sur le dos, mais qu’en plus des myriades d’aigrefins sillonnent nos riantes campagnes pour fourguer, à prix d’or, d’invraisemblables « technologies » à l’usager paumé qui ne sait plus à quel saint se vouer ?

Bon, il est vrai que nos margoulins y vont fort. Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites…

« Bonjour Monsieur, c’est la société BonneEau, on vient vous voir pour la qualité de l’eau, vous vous souvenez, vous nous avez appelé.

« Bon, ah c’est vrai que chez vous c’est pas terrible, avec toutes les canalisations depuis le château d’eau, en fait ça ne va pas du tout. Bon, d’abord vous en avez une en grès, elle fait près d’un mètre de diamètre, après il y en a une en fer, après une autre en fibro-ciment amianté, vous vous rendez compte, de l’amiante ! Et pour finir, bien sur, vous en avez une en plomb. Ah, mais c’est que ça ne va pas du tout, vous n’avez pas de chance.

« Est-ce que vous connaissez Monsieur, les caractéristiques de la canalisation en grès ? Et le fer, monsieur ? Et le fer ! Et le fibro-ciment, monsieur ? Et le fibro-ciment ! Et le plomb, monsieur ? Et le plomb ? Et est-ce que vous buvez de cette eau, Monsieur ? »

« Bon, on va faire une analyse, vous voulez bien ? Voilà, on va mesurer les PPM (…) Oulala ! Une eau pure est à 80 et à votre avis, la vôtre, Monsieur ?

« Regardez, on est à 664 ! 664, vous vous rendez compte ?

« Bon, maintenant on va faire une hydrolyse, voyez, si je peux me brancher sur votre secteur, avec les électrodes qu’on va mettre dans l’eau, vous allez voir les PPM. Regardez, regardez, vous voyez les couleurs ? Le jaune, là en bas, ce sont les bons éléments, Monsieur : le potassium, le magnésium, tout çà.

« Mais là, Monsieur, au milieu, juste au-dessus, vous voyez le dépôt tout noir, là, vous le voyez ? Vous savez ce que c’est ? C’est les hydrocarbures, Monsieur, c’est les hydrocarbures, et tous les autres polluants ! Et c’est à cause de cela qu’il y a de plus en plus de cancers et de maladie d’Alzheimer !

« Alors, monsieur, vous voulez toujours boire de cette eau ?

« Et puis, regardez aussi, là ce qui flotte au-dessus, tout noir, là Monsieur, ce sont les bactéries, les algues, tout çà, je vous l’ai bien dit que le grès est poreux !

« Bon , vous pensez que c’est mieux, l’eau en bouteille que vous achetez. Pas du tout, Monsieur, c’est la même chose, on vous ment ! Regardez, là, votre bouteille de Cristaline, on va regarder les PPM. Voyez, là aussi, 500 PPM !

« Tandis qu’avec l’osmose inverse, avec notre appareil, Monsieur, et pour seulement 30 euros par mois, on va pouvoir purifier votre eau du robinet, et vous n’aurez plus besoin d’acheter de l’eau en bouteille, vous comprenez ? Bon, vous êtes d’accord pour le prélèvement automatique ? ».

A qui appartiennent les sources ?

Autres soucis qui se profilent, infiniment plus sérieux ceux-là, même si l’impact de l’activisme des margoulins que nous venons d’évoquer est loin d’être négligeable aujourd’hui sur des millions de Français qui ne savent plus à quel saint se vouer, l’ensemble des dispositions prévues par notre fameux décret du 11 janvier 2007 pourraient contribuer à fragiliser la position des embouteilleurs en matière d’accès à la ressource.

Traditionnellement, et depuis des lustres, les embouteilleurs se voient accorder par des collectivités locales, moyennant rétribution de ces concessions, au demeurant scandaleusement minimes, le droit de puiser dans le sous-sol l’eau qu’ils commercialisent ensuite.

Ici deux éléments vont jouer. D’une part les nouvelles contraintes découlant de la mise en œuvre de la DCE, qui vont se manifester dès l’adoption des plans de gestions qui vont se substituer aux actuels Sdage.

D’autre part, un mouvement encore marginal, mais qui pourrait monter en puissance, celui de la revendication, à l’initiative de collectivités ou de citoyens, portant sur la propriété de ces ressources souterraines et l’usage qui en est fait, à l’image du conflit engagé autour de la célèbre source Perrier.

La commune de Vergèze dans le Gard a ainsi remporté le 22 décembre 2006 une première victoire contre le géant suisse de l’agroalimentaire Nestlé Waters France pour faire reconnaître comme "patrimoine" la source Perrier, une eau mondialement connue et qui, selon elle, ne peut être produite ailleurs.

Cette commune de 3600 habitants où est exploitée la source de la célèbre eau pétillante a été autorisée par le tribunal administratif de Nîmes à conserver la désignation qu’elle avait choisie et qui associe le nom de la source, "Source Perrier", à celui de son captage d’origine "Les Bouillens".

La source va donc pouvoir continuer à s’appeler "Source Perrier-Les Bouillens", une dénomination choisie lors d’un conseil municipal le 25 octobre dernier, afin de "faire échec à toute tentative de délocalisation" de la production.

L’affaire, jugée en référé le 12 décembre 2006, doit cependant être examinée sur le fond à une date ultérieure.

Le tribunal a maintenu la décision de la mairie "au motif qu’il n’y a pas urgence à trancher sur le fond", commentait le 22 décembre le porte-parole des affaires extérieures de Nestlé Waters France, Pierre-Alexandre Teulié qui avait attaqué la décision municipale.

Nestlé Waters France "considérait que ce changement de dénomination portait atteinte à ses droits de propriétaire de la marque et était susceptible d’entraîner une remise en cause de l’autorisation d’exploitation".

"Mais en arrière-plan de ce débat juridique, est posée la question de la délocalisation de l’exploitation de la source Perrier", soulignait pour sa part Me Alain Ottan, avocat de l’association de défense de la source Perrier.

L’association comme le syndicat CGT de Perrier se sont félicités de la décision du tribunal.

Nestlé est "propriétaire de la source, du site et de la marque, mais la source Perrier, découverte par les Romains puis exploitée par le docteur Perrier dès 1903, fait partie du patrimoine", soulignait l’association de défense de la source, créée en 2005 pour "défendre les intérêts de ce patrimoine" et d’un produit "unique et inimitable".

L’exploitant "croit pouvoir en tant que propriétaire, occulter l’histoire, la géographie et la géologie d’un terroir régional qui doit être protégé", soulignait dans un communiqué cette association.

La source Perrier, "c’est comme les arènes de Nîmes et le Pont du Gard, on ne veut pas que Nestlé en fasse n’importe quoi et parte avec la marque", déclarait pour sa part Jean-Paul Franc, de la CGT de Perrier, syndicat fortement majoritaire dans cette entreprise qui emploie 1000 salariés.

"Perrier est à Vergèze et nulle part ailleurs, elle coule sur la source des Bouillens, on ne peut pas la délocaliser comme on veut", ajoutait-il.

Mettant en avant le fait qu’en 2004, un représentant de Perrier avait "dit qu’il pouvait produire du Perrier « n’importe où dans le monde ». Si Nestlé faisait du Perrier ailleurs, ce serait une contrefaçon", estimait M. Franc.

Les salariés "sont inquiets d’une éventuelle délocalisation : il faudrait que Nestlé s’exprime, rassure le bassin d’emploi et explique ce qu’il veut faire de cette marque", concluait le représentant CGT.

"Nestlé nous fait un caprice de possessivité, la multinationale tente l’intimidation en faisait pression sur les élus", avait dénoncé le maire de Vergèze, René Balana, devant le tribunal.

Sur fond de suspicion généralisée, distributeurs et embouteilleurs sont donc désormais, non pas logés à la même enseigne, mais confrontés à une méfiance croissante de l’usager, et doivent faire flèche de tout bois pour préserver des parts de marché qui semblent s’effriter inexorablement.

Ici ne jamais oublier l’oracle de l’impérial Barraqué : les marchés de l’eau exigent une très longue immobilisation du capital ! Donc si les marges s’effritent on risque de finir au fond du puits. Bon, c’est une traduction libre, mais comme ça fait un moment que nous ne nous sommes pas chamaillés, l’occasion fait le larron…

C’est dans ce contexte que Cristaline part à l’assaut, et lance donc sa désormais fameuse campagne d’affichage, dont le premier visuel sera accepté par la RATP, alors que le BVP (Bureau de vérification de la publicité), avait émis un avis défavorable sur les affiches ! Bon, le BVP et ses avis, nous sommes d’accord, par les temps qui courent…

Noter ici que, bien évidemment au vu de ce qui précède, nos zamis les distributeurs vont se garder d’intervenir quand le barouf se déclenche.

Pas fous !

Notre amie la verte pédégère d’Eau de Paris passe à l’offensive le 10 janvier, le barnum va occuper les medias une bonne semaine.

Ce n’est qu’à la veille de l’annonce par Eau de Paris et Bertrand Delanoe, le 19 janvier, qu’ils déposent conjointement une plainte avec constitution de partie civile entre les mains du doyen des Juges d’instruction du TGI de Paris à l’encontre de Cristaline, au motif que cette dernière aurait contrevenu aux dispositions qui contraignent considérablement toute publicité comparative, que le Sedif et FP2E, la Fédération Professionnelle des Entreprises de l’Eau (nos amis de Veolia et Suez), bien renseignés, publient benoitement le 18 janvier des communiqués dont le jésuitisme signe leur incontestable professionnalisme.

Quel talent !

Marc Laimé - eauxglacees.com