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La police de l’eau est-elle efficace ?

10 juillet 2008

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Depuis 2004, par étapes successives, plusieurs réformes ont profondément modifié l’organisation de la police de l’eau, dont les missions recouvrent un champ d’intervention extrêmement étendu, et parfois mal connu. A l’heure où les services déconcentrés de l’Etat s’apprêtent à connaître, RGPP oblige, des mutations sans précédent depuis des décennies, le bilan de la police de l’eau présenté par la Direction de l’eau du Meeddat, le 13 juin 2008, a conduit l’association Eaux et Rivières de Bretagne à porter un jugement mitigé sur l’action de l’Etat en la matière.



Dès 2004, avant même l’adoption de la LEMA du 30 décembre 2006, une circulaire réorganisait les Missions interservices de l’eau (Mise), créées par la loi de 1992, avec pour objectif de mieux coordonner l’action des différents services déconcentrés de l’Etat qui y participent (DDA, DDE, DDASS, DRIRE, DIREN), et de conférer aux Mise l’allure d’un « guichet unique » des politiques locales de l’eau.

C’est dans ce cadre que les 900 agents des Mise luttaient déjà contre les pollutions de l’eau, contrôlaient les constructions d’ouvrages sur les cours, protègeaient les milieux aquatiques et effectuaient des missions de police afin de concilier les usages économiques, environnementaux comme récréatifs des lacs, rivières et fleuves.



Ils se voient dès lors confier le pilotage des politiques d’aménagement et de concertation indispensables à la réalisation des objectifs de la directive cadre européenne sur l’eau (DCE), qui impose aux Etats membres de rétablir un « bon état écologique et chimique » de toutes les masses d’eau à l’horizon 2015.

Il s’agit donc, en lien avec l’ensemble des acteurs concernés, Agences de l’eau, usagers, collectivités..., de mettre en cohérence les besoins agricoles, industriels, urbains, écologiques de la ressource afin d’améliorer l’état du milieu.

Les préfets ont dès lors toute latitude dans le choix du service qui va « piloter » le guichet unique, conformément à la circulaire précitée du 29 avril 2004, qui renforçait leurs compétences.

Dans les départements ruraux, on privilégie la DDA. Dans les régions fortement industrialisées, les Directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE) apparaissent mieux armées pour répondre aux demandes, tandis que l’administration de l’équipement est traditionnellement en charge des grandes voies navigables.



La circulaire rappelait ainsi qu’il « appartient aux inspecteurs des installations classées de définir, lors des procédures relatives aux installations classées, les prescriptions relatives à la protection des milieux aquatiques, notamment en ce qui concerne les prélèvements, les émissions chroniques dans l’eau et la prévention des pollutions accidentelles. »

Ensuite, c’est par le biais de la loi du 9 décembre 2004 sur la simplification du droit, que de nouvelles évolutions vont se faire jour. Elle comportait en effet dans son article 50 de nouvelles dispositions réglementaires en matière de police de l’eau et de police de la pêche. Ce texte permettait à l’administration compétente de faire opposition aux projets d’installations d’ouvrages ou de travaux soumis à déclaration sur les cours d’eau, d’instituer un régime de transaction pénale, d’adapter les conditions de mise en conformité des installations et ouvrages, et de simplifier les procédures de demande d’autorisations applicables aux travaux sur les milieux aquatiques.

L’ordonnance du 18 juillet 2005

Sans attendre le vote de la LEMA, dont la date d’adoption apparaissait certes incertaine à l’époque, le ministère de l’Ecologie modifie à nouveau le dispositif, qui vient pourtant d’être remanié 6 mois plus tôt, et promulgue l’ordonnance du 18 juillet 2005 sur la simplification, l’harmonisation et l’adaptation des polices de l’eau et des milieux aquatiques, de la pêche et de l’immersion des déchets.

En application de cette ordonnance, la Direction de l’eau soumettra ensuite au Comité national de l’eau en janvier 2006 une proposition de modification des deux décrets d’application de la loi sur l’eau du 3 janvier 1992.

Il s’agissait de revoir la mission de rédaction des actes administratifs, afin que la police de l’eau améliore son efficacité, et se concentre davantage sur les contrôles de terrain.

Les deux nouveaux décrets visaient donc à simplifier les procédures de demande d’autorisation et de déclaration d’installations, d’ouvrages, de travaux et d’activités pouvant avoir des impacts sur la gestion de l’eau et les milieux aquatiques, dont la nomenclature est fixée par le décret n°93-743,
et à fusionner les deux systèmes préexistants, issus, l’un de la loi sur l’eau, l’autre de la loi sur la pêche.

La modification la plus notable concernait la procédure de déclaration.

Il n’existait pas auparavant de délai de réponse maximal. Le nouveau décret sur les procédures exigeait de l’administration une réponse dans les 2 mois après le dépôt de la demande.

Une réponse qui pourrait désormais être négative si la demande apparaissait incompatible avec les prescriptions de la loi sur l’eau, ou du Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage).

« Cette mesure va imposer à l’administration de donner rapidement une suite à chaque demande, qu’elle soit positive ou négative, et donc de ne plus se retrouver avec des dossiers bloqués », expliquait au Journal de l’environnement le 6 janvier 2006 M. Olivier Thibault, chef des services déconcentrés de la direction de l’eau au ministère.

L’administration pourrait donc à l’avenir s’opposer par exemple à la création de plans d’eau en zone sensible, ou à des recalibrages de cours d’eau.

Le nouveau texte révisait également les seuils d’autorisation. Ils étaient revus à la hausse, ce qui transformait ce qui relevait précédemment de demandes d’autorisation en simples déclarations.

Avec pour conséquences la réduction du nombre d’enquêtes publiques nécessaires pour les demandes d’autorisation.

Un « assouplissement » qui était présenté comme largement compensé par la faculté nouvelle accordée à l’administration de refuser les demandes de déclaration.



« Presque tous les domaines sont concernés. Cette révision va par exemple permettre de faciliter les travaux dans l’assainissement et notamment de combler le retard de la mise en conformité des stations d’épuration », poursuivait M. Olivier Thibault.

Ainsi, les STEP d’une capacité de 2.000 à 10 000 équivalent-habitants (EH), qui devaient jusqu’alors obtenir une autorisation pourraient se contenter à l’avenir d’une simple déclaration, tout comme l’installation de plans d’eau.

(Si cette simplification était bienvenue, on sait qu’elle n’aura toutefois pas suffi à accélérer la remise aux normes imposée par la DERU 1991... )

Rien de changé en revanche pour les STEP de moins de 2000 équivalent-habitants, qui demeuraient soumises à la procédure de déclaration.



Les stations au-dessus de 10 000 EH demeuraient elles aussi sujettes à la procédure d’autorisation. « Le changement sera toutefois moins conséquent sur les prélèvements en raison des dernières sécheresses et de la sensibilité des ressources », ajoutait M Olivier Thibault.

Du coup, alors qu’en 2004, 9500 autorisations et 7050 déclarations accordées avaient été enregistrées, le ministère espèrait parvenir à réduire les autorisations à 1500 et à augmenter les déclarations à 15000...

Il cherchait en outre à pérenniser les 15 000 autorisations provisoires accordées aux agriculteurs, essentiellement pour l’irrigation. Une transformation jugée « plus délicate » car devant tenir compte de l’évolution de la disponibilté des ressources en eau.

(Effet canicule oblige...)

Au-delà ces deux décrets modifiaient aussi, très sensiblement, l’action répressive de la puissance publique. Auparavant, en cas d’infraction constatée, c’est le parquet qui décidait, ou non, d’engager des poursuites.

Avec la création des « transactions pénales » l’administration allait pouvoir dresser rapidement une amende, et par la même « désengorger les tribunaux ».

Au total ces réformes étaient présentées comme génératrices d’une baisse des coûts pour l’administration, ce qui devait « permettre de gagner en efficacité afin de libérer du temps et d’effectuer plus de contrôles. »

Ainsi la police de l’eau devait-elle à l’avenir pouvoir « consacrer de 15 à 20% de son temps aux contrôles en 2006-2007 contre moins de 5% aujourd’hui », concluait M. Olivier Thibault.



L’ordonnance exigeait que la révision des deux décrets, l’un définissant les procédures et l’autre la nomenclature, soit entérinée avant le 19 juillet 2006, une échéance qui semblait pouvoir être respectée étant donné l’avancement de la procédure. Les décrets devaient donc être applicables aussitôt pour les nouvelles demandes, alors que pour les dossiers antérieurs, des opérations transitoires étaient supposées prendre le relais.





Un bilan mitigé

La Direction de l’eau présentait le 13 juin 2008 le compte-rendu d’activité 2007 de la police de l’eau et des milieux aquatiques, établi à partir des données saisies par les missions interservices de l’eau (Mise) et les services de police de l’eau dans le logiciel Cascade.

S’il soulignait que les effectifs de la police de l’eau dans les services de l’Etat ont augmenté de 5,8% entre 2006 et 2007, ce bilan n’en était pas moins jugé « trop peu efficace » par l’association Eau et rivières de Bretagne.

Les services de la police administrative de l’eau sont désormais composés d’agents dépendant, pour 75% d’entre eux des directions départementales de l’agriculture et de la forêt ou de l’équipement et de l’agriculture (DDAF et DDEA), et pour 10% des cellules Qualité des eaux littorales (CQEL). D’autres agents des services de navigation ou des préfectures consacrent également une partie de leur temps de travail à la fonction de police de l’eau.

En 2007, 30 000 actions ont été menées par la police administrative de l’eau, qui ont concerné essentiellement le respect des directives européennes Nitrates et Eaux résiduaires urbaines, ainsi que les plans d’eau et la protection des milieux aquatiques. 6000 courriers d’avertissement ont été adressés et plus de 1800 mises en demeures prononcées.

Toutefois dans 19 départements, la configuration minimale requise pour un bon fonctionnement de la mission de police de l’eau, soit 6 équivalents temps plein (ETP), n’était pas atteinte.

« Les services de police de l’eau manquent beaucoup de moyens. En Bretagne, ils ont du mal à répondre à nos sollicitations pour vérifier que la réglementation est bien appliquée sur le terrain », constatait M. Gilles Huet, président d’Eau et rivières de Bretagne.

Le rapport 2007 publié par le Meeddat indiquait aussi qu’après la réforme procédurale instituée par l’ordonnance du 18 juillet 2005, présentée nous l’avons vu à l’époque comme une « simplification » par la Direction de l’eau, les seuils d’autorisation des installations ont été relevés et qu’en contrepartie, les services de l’eau peuvent s’opposer aux déclarations qui, par exemple, ne sont pas compatibles avec les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage).

Ainsi, les Services de police de l’eau ont-ils traité en 2007 environ 1500 dossiers d’autorisation (15% de moins qu’en 2006) et 15 000 dossiers de déclaration (48% de plus qu’en 2006).

Mais 120 procédures d’oppositions à déclaration seulement ont été menées. La Direction de l’eau estimant que cette nouvelle politique « dissuade certains usagers de déposer des dossiers dont ils savent qu’ils seront rejetés ».

Par ailleurs trente Mise ont affirmé ne pas disposer de politique d’opposition validée par le préfet...

Pour Gilles Huet, même si le recul nécessaire pour évaluer l’impact de ces nouvelles dispositions sur le terrain n’est pas suffisant, l’opposition à déclaration est « plutôt une bonne démarche » car les procédures d’autorisation peuvent être lourdes pour certaines installations.

« Nous ne connaissons les projets soumis à déclaration qu’après leur mise en ligne sur internet par les autorités. Nous perdons notre capacité à intervenir avant que le projet soit validé », note-t-il cependant.

Selon lui, il est également impératif que l’autorité administrative soit « en capacité d’apprécier les impacts cumulés sur le milieu, liés à la multiplicité d’installations qu’il peut y avoir sur un même territoire ».

Toujours d’après la Direction de l’eau, il y a eu très peu de sanctions administratives et même de procès-verbaux dressés en 2007.

« On a du mal à obtenir que des infractions soient constatées par procès-verbal. Le nombre de procédures engagées est dérisoire par rapport au nombre d’infractions constatées, qui est lui-même dérisoire comparé au nombre d’infractions réelles », observe le président d’Eaux et Rivières.

Pour sa part, la police judiciaire, essentiellement exercée par des agents du nouvel Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema), a dressé 2200 PV en 2007.

Près de la moitié d’entre eux ont donné lieu à une transaction pénale, destinée selon la Direction de l’eau à faire cesser les infractions sans avoir à engager de poursuites judiciaires.

« La dimension de répression pénale est occultée, ce qui annule l’effet pédagogique envers les exploitants », estime Gilles Huet.

17% des PV ont été classés sans suite en 2007, et seuls 12% ont été suivis de poursuites devant le tribunal.

Et l’avenir ?

Le regroupement à marches forcées des DDE et DDA, initié à titre expérimental dans huit départements, semble clairement promis à se généraliser puisque la RGPP a décidé de surcroît que l’échelon régional représenterait à l’avenir le cadre de référence pour l’action des services déconcentrés de l’Etat dans le domaine de l’environnement.

Nombre de fonctionnaires en place dans les MISE rencontrés ces derniers mois avouent ne pas savoir « où ils seront » ni « ce qu’ils feront » dans six mois...

A cette aune, tant les objectifs de résultat assignés par la DCE que l’ambition réaffirmée tout au long du déjà quasi oublié « Grenelle », risque d’avoir quelque peine à se vérifier concrètement.

Marc Laimé - eauxglacees.com