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Le gouvernement facilite par décret la réutilisation des eaux usées
15 mars 2022
par
- eauxglacees.comAu lendemain même de la publication par la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau (Veolia, Suez et Saur) de son « Manifeste », qui place la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) au premier rang des appétits des Trois Sœurs, le gouvernement a publié le 11 mars un décret censé encadrer cette pratique, réputée « incontournable » pour répondre aux tensions qui se font jour sur la disponibilité des ressources en eau.
Ministre et secrétaire d’Etat pavoisent :
"La réutilisation des eaux usées traitées est une solution d’avenir dans un contexte de raréfactions de la ressource en eau. C’est pourquoi, nous avons œuvré à étendre les possibilités de réutilisation des eaux usées traités afin d’en faciliter l’accès et de contribuer à une meilleure rentabilité des projets. Les agences de l’eau et les services du ministère seront aux cotés des porteurs de projets pour les accompagner dans cette transition essentielle."
Bérangère Abba
"Réutiliser de l’eau usée pour certains usages, dès lors qu’elle a été traitée, semble l’évidence même. Ce n’est pourtant pas si simple pour des raisons sanitaires notamment. Mais au bout d’un travail exigeant, nous avons réussi à rendre cette utilisation possible. C’est une bonne nouvelle pour la ressource en eau : s’il est indispensable de réduire nos besoins en eau, ouvrir la possibilité d’utiliser des ressources jusqu’ici trop peu exploitées permet de préserver l’eau en général, et dans nos milieux naturels en particulier."
Barbara Pompili
Le décret a été pris pris en application de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec), qui a modifié l’article L. 211-9 du code de l’environnement en prévoyant qu’un décret précise les usages et les conditions dans lesquelles les eaux usées traitées peuvent être réutilisées ainsi que les usages et bâtiments pour lesquels les eaux de pluie peuvent être utilisées de manière compatible avec le bon état écologique des eaux.
Le lobbying forcené de la FP2E, relayé notamment au sein du second volet des « Assises de l’eau », événement fantoche sans aucun statut officiel, a donc enfin payé, non sans tensions entre différents acteurs, qui ont transformé l’affaire en une véritable bataille de chiffonniers.
Car le ministère de la Santé est depuis toujours debout sur les freins face à cette fuite en avant lourde d’enjeux sanitaires, et aura donc bataillé dans l’ombre, à l’égal de l’ANSES, pour tenter d’imposer un cadre réglementaire contraignant, position battue en brèche par le ministère de l’Agriculture et Bercy.
Le ministère de la Transition écologique soutenait pour sa part depuis l’an dernier que "Faute de connaissance suffisante, il n’était pas possible de définir, en quelques mois, de nouveaux usages pour les eaux usées traitées (en plus de ceux déjà prévus à l’article R. 211-23 du code de l’environnement [usages agricoles et irrigation des espaces verts]) et les prescriptions associées".
C’est ainsi qu’un premier projet de décret, complété d’un projet d’arrêté était soumise à consultation du public en septembre 2021, avec pour objectif de préciser le cadre expérimental permettant de valider les nouveaux usages des eaux usées traitées, autres que ceux déjà encadrés par des réglementations dédiées.
Dans le même temps de nombreuses collectivités, « accompagnées » par Veolia, Suez ou Saur, n’avaient pas attendu ces « contraintes réglementaires » pour se lancer dans l’aventure. C’est dire le souci accordé au droit de l’environnement…
Au final c’est une nouvelle version modifiée qui était retenue après l’examen pour avis du décret par le Conseil d’État le 22 février dernier.
A l’origine les différents services de l’état concernés avaient opté pour la logique de « l’expérimentation », d’ordinaire usitée pour faciliter ensuite l’extension de la pratique.
Pas satisfaisant pour la FP2E. L’expérimentation passe à la poubelle et on lui substitue l’autorisation préfectorale d’une durée limitée à cinq ans, s’agissant des eaux usées traitées issues de STEP urbaines et d’ICPE, qui devront être utilisées dans le département où elles sont produites.
Les pièces demandées pour obtenir l’autorisation préfectorale sont reprises de l’arrêté du 2 août 2010 modifié, qui encadrait déjà la REUT pour le seul arrosage des espaces verts et des cultures, à quoi s’ajoutent quelques préconisations de l’Anses.
Ne restera plus ensuite qu’à faire valider le dossier par le Coderst, ou la CLE, lorsque le projet est situé dans le périmètre d’un schéma d’aménagement et de gestion des eaux (Sage) approuvé, sans oublier l’avis "conforme" de l’ARS. Une promenade de santé…
L’arrêté préfectoral d’autorisation comporte aussi des prescriptions relatives à la qualité sanitaire des eaux usées traitées (origine des eaux, qualité des boues produites, programme d’entretien, etc.) pour les usages autorisés. Il fixe également des prescriptions techniques pour la protection de la santé humaine et de l’environnement, et mentionne la tenue d’un carnet sanitaire.
Ajouter que toute modification substantielle du projet - susceptible d’avoir une incidence sur la protection de la santé humaine et de l’environnement - "qu’elle intervienne avant la réalisation du projet, lors de sa mise en œuvre ou au cours de son exploitation", est subordonnée à la délivrance d’une nouvelle autorisation.
En cas de danger ou d’inconvénient grave pour la santé humaine ou l’environnement, le préfet peut de plus suspendre, sans délai, l’autorisation.
Les parties prenantes doivent faire remonter au préfet les non-conformités constatées sur le niveau de qualité des eaux usées traitées.
Le 1er mars de chaque année, un rapport de suivi lui sera transmis par le bénéficiaire de l’autorisation.
Un bilan global lui sera enfin adressé "au plus tard six mois avant la date d’expiration de l’autorisation" pour présenter de façon qualitative et quantitative les impacts sanitaires et environnementaux ainsi qu’une évaluation économique du projet mis en œuvre (comparaison des coûts de la réutilisation des eaux usées/coûts d’utilisation de l’eau substituée).
Sur le papier tout cela est bel et bien bon, mais qui contrôlera les contrôleurs ?
Est-il utile de souligner que la représentation nationale, sans même parler des fameux "corps intermédiaires", sans même rappeler la très fameuse "société civile", pont-aux-ânes de tous les démagogues, ont bien évidemment été soigneusement tenus à l’écart de cette opération ?
Un lobbying effréné
Mme Julie Mendret, maître de conférences, HDR, Université de Montpellier, a publié le 15 mars sur le site The Conversation une ode énamourée au nouveau règlement européen sur le re-use, qui va permettre de lever les effroyables « lourdeurs » administratives françaises qui entravent l’expansion souhaitable dudit re-use :
La conclusion de son plaidoyer vaut son pesant de moutarde !
Notre lobbyiste se tire en effet une balle dans le pied, en plaidant d’une part pour l’extension tous azimuts du re-use, mais en soulignant pour conclure que « cette réglementation n’évoque pas certaines catégories de polluants très préoccupantes (microplastiques et micropolluants pharmaceutiques, par exemple) qui inquiètent les consommateurs et pour lesquels des traitements poussés doivent généralement être mis en place. »
A trop vouloir prouver…
« (…) Une harmonisation et des interrogations
Par certains aspects, le règlement européen du 5 juin 2020 constitue une réelle avancée. Les pratiques et niveaux de qualité seront les mêmes dans tous les États membres, avec des contraintes d’usages adaptées aux risques effectifs et une transparence renforcée vis-à-vis des consommateurs.
Ce nouveau règlement ne considère cependant qu’un seul usage, l’irrigation ; il reste à espérer que ce sera l’occasion à terme de démocratiser d’autres usages en France tels que l’irrigation des golfs, des parcs, la lutte contre les incendies ou la recharge de nappes.
Les contraintes de qualité très élevées peuvent toutefois entraîner des surcoûts pour la mise à jour des installations, particulièrement si une étape de traitement supplémentaire doit être ajoutée. Obstacle qui, dans certains, cas ne pourra être surmonté sans aides publiques.
Enfin, cette réglementation n’évoque pas certaines catégories de polluant très préoccupantes (microplastiques et micropolluants pharmaceutiques, par exemple) qui inquiètent les consommateurs et pour lesquels des traitements poussés doivent généralement être mis en place. »
Alors que la dame revendique haut et fort auprès de The Conversation n’avoir aucun conflit d’intérêt, elle a juste oublié - encore un cas de phobie administrative - qu’elle est membre de l’Institut des membranes, financé, entre autres, par Veolia et Suez...
http://www.iemm.univ-montp2.fr/spip.php?article585
– Le communiqué de presse du MTES :
– Le dossier de presse relatif à la clôture des travaux du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique
https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/2202_Varenne_DP_V4-1.pdf- Le décret n° 2022-336 du 10 mars 2022 relatif aux usages et aux conditions de réutilisation des eaux usées traitées, JO du 11 mars 2022, texte n° 1.
https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf?id=1abv-fuex0tOZ-2zc99cu--nam6aCtsgM2LdqywZyGE=
Lire aussi :
– Un ministère de l’environnement gangrené par les lobbies
http://www.eauxglacees.com/LIVRE-un-ministere-de-l
Les eaux glacées du calcul égoïste, 11 mars 2022.
– La FP2E promulgue (sa) nouvelle loi sur l’eau
http://www.eauxglacees.com/La-FP2E-promulgue-sa-nouvelle-loi
Les eaux glacées du calcul égoïste, 13 mars 2022.
- eauxglacees.com