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Eaux usées, environnement et pollution en Ile-de-France, par Didier Dumont (*)
28 février 2022
par
- eauxglacees.comLe rappel sur le temps long de l’historique de l’assainissement des eaux usées en Ile-de-France permet de comprendre pourquoi des collectivités s’attachent aujourd’hui à tenter de dépolluer par phyto-remédiation, en plantant des millions d’arbres, d’anciens champs d’épandage qui ont fait en leur temps la fortune des maraîchers en région parisienne.
Le SIAAP n’existe que depuis 1971, or la grande majorité de ces pollutions date des années 1900<->1950.
Le Baron Hausmann a développé un système unitaire d’assainissement non pas sur la Ville de Paris, mais sur le département de la Seine qui regroupait 81 communes, dont Paris.
Cet assainissement n’était alors qu’un réseau d’égout qui dans un 1er temps se déversait en plein Paris dans la Seine. Les épidémies continuant, le réseau d’égouts a été prolongé pour, soit un déversement direct dans la Seine à Clichy , soit dans les champs d’épandages de Gennevilliers (via l’usine de Clichy) en aval de Paris.
L’épuration des eaux n’existait pas encore nulle part et l’usine de Clichy n’était équipée que de « dégrilleurs » et de pompes qui envoyait les eaux d’égouts vers Gennevilliers.
En 1899 à la mise en route de Colombes, l’usine de Clichy qui avait été modifiée avec l’installation d’un syphon pour passer sous la Seine, a dirigé les eaux d’égout vers cette nouvelle usine qui n’était toujours pas prévue pour l’épuration, mais était équipé de pompes surpuissantes qui relevaient les eaux d’égout de 40 mètres pour permettre, par un pont aqueduc, qu’elles arrivent par un émissaire vers la plainte d’Achères dans les champs d’épandages (décidé en 1895 en même temps que fut décidé de construire un « port maritime pour Paris » à Gennevilliers et des zones de stockage en lieu et place des champs d’épandages).
Entre 1900 et 1905 cet émissaire fut prolongé jusqu’à Triel-sur-Seine et les champs d’épandages des plaines de Méry-sur-Oise et Triel-sur-Seine sont devenus avec ceux d’Achères et les 1214 Km d’égouts, le dispositif d’assainissement du département de la Seine. (ces terrains bien que situés sur le département de la Seine et Oise, appartenaient au département de la Seine).
En 1905 une station pilote fut construite à Achères et en 1935 suite aux essais concluants du traitement biologique, il a été décidé de construire la station d’épuration d’Achères qui est entrée en service en 1940. Les plaines de Méry-sur-Oise et de Triel-sur-Seine ont continué à recevoir les eaux d’égouts, et à Achères ont été construits des champs d’épandage des boues sur 15-20% des champs d’épandages existant et le restant ont été irrigué par les eaux traitées. D’autres émissaires ayant été construits conduisant les eaux d’égout à Achères un canal de rejet des eaux traitées dans la Seine a été construit.
Les autres usines d’épuration par traitement biologique ont été construites par la suite (Colombes, Noisy-le-Grand, Valenton, Triel-sur-Seine…)
De 1964 à 1968, la loi de décentralisation a éclaté les départements de la Seine et de la Seine et Oise, et Paris est devenu un département, les 80 autres communes ont soit été intégrées comme arrondissements de Paris soit été intégrées avec des communes de la Seine et Oise dans les nouveaux départements créés, le 92, 93 et 94 pour la petite couronne et les 77, 78, 91 et 95 pour l’ancien département de la Seine et Oise. Le département de Paris est devenu propriétaire des installations.
En 1971 le SIAAP fut créé pour gérer les installations de l’ex-département de la Seine qui existaient et se retrouvaient suite à cette loi sur plusieurs départements et est devenu propriétaire des installations. Cependant les sols des champs d’épandages restés propriétés du département de Paris et sont devenus la propriété de la Ville de Paris en 1976 lorsqu’elle fut créée.
Donc entre 1905 et 1975, la plaine de Méry-sur-Oise a servi à la culture maraichère. Entre 1970 et 1975 des études menées sur les sols de cette plaine ont démontré que ces terres étaient pollués par des métaux lourds.
Depuis 1974 avec la mise en service de l’usine de traitement des boues à Achères l’épandage des boues a été arrêté (les champs existant servent à la culture de la lavande toujours aujourd’hui), le SIAAP a maintenu l’irrigation des eaux traitées sur la plaine d’Achères, a arrêté l’épandage dans la plaine de Triel-sur-Seine et depuis 1980 comme une culture devait être maintenue dans la plaine de Méry-sur-Oise pour que les polluants ne pénètrent pas plus profondément dans les sols au risque d’atteindre la nappe phréatique (dans laquelle Veolia pompe les eaux potable pour le SEDIF à Méry-sur-Oise), il n’y a plus eu d’épandage d’eau d’égout depuis l’émissaire et un « petit » tuyau dans le « grand » tuyau a été construit pour faire remonter l’eau traitée à Achères vers l’usine de Pierrelaye pour irriguer la plaine de Méry-sur-Oise. Un problème a persisté 2 ou 3 ans du fait que les eaux d’égouts du SIARE (Syndicat Intercommunal pour l’Assainissement de la Région d’Enghien-les-Bains) qui était raccordé à l’usine de Pierrelaye, mais pas à l’émissaire, le soit.
Comme je l’ai dénoncé à maintes reprises depuis que je milite à la CGT au SIAAP en 1987 (j’y travaille depuis 1981) l’assainissement a toujours été le « parent pauvre » de la politique de l’eau, ce qui explique le retard pris dans le traitement des eaux d’égouts. Ce n’est pas ceux qui œuvrent à ce traitement qui portent la responsabilité de ce retard mais ceux qui ont décidé des politiques publiques à mener.
Les pollutions aux métaux de la plaine de Méry-sur-Oise ont pour origine l’industrialisation qui s’était développée entre 1900 et jusqu’à la guerre de 39-45, industrialisation qui a fortement décliné par la suite. Ce n’est en tous les cas pas les populations et les ménages qui ont produit ces pollutions, mais bien les entreprises qui ont déversé ces polluants dans les égouts.
Le problème est que cela continue, dans le meilleur des cas les industries sont équipées de bassins de rétention et lorsque ces derniers sont pleins, les eaux polluées sont déversées directement dans les égouts.
Dans mes interventions lors du débat public sur la refonte du Site Seine Aval en 2007, j’ai rappelé que durant plusieurs décennies SANOFI-AVENTIS a déversé du benzène dans les réseaux du SIAAP au risque de provoquer des cancers pour les égoutiers et les agents des STEP.
En 2014, lorsque j’ai fait partie de la délégation qui a été présenter à la commission Européenne les résultats de l’ICE pour le droit à l’eau, j’ai dit au Vice-Président qui nous a reçus, que le grave accident qui a eu lieu en Hongrie de l’usine MAL (rupture d’un bassin de rétention qui a déversé des milliers de m3 de boues rouge qui a tué plusieurs personnes, blessés des centaines d’autres et a pollué le Danube et plusieurs pays) aurait pu être évité du fait qu’il existe un traitement pour les résidus de l’aluminium servant à la fabrication des produits de l’usine (ce qui aurait réduit de 95% le volume de pollution stockée dans ce bassin) Vague de boue toxique en Hongrie : vers une catastrophe écologique ? (notre-planete.info).
Alors qu’il est possible bien souvent d’éliminer à la source les pollutions, les industriels préfèrent mettre en place des bassins de rétentions bien souvent sous-dimensionnés, et ces pollutions finissent dans les STEP qui ne sont pas équipé es pour traiter ces pollutions spécifiques (les industriels se retranchent derrière les secrets de fabrication pour ne pas révéler les produits utilisés pour la fabrication).
Pour le benzène de SANOFI-AVENTIS, nous avons (quand je dis : nous, c’est la CGT de SANOFI-AVENTIS et la CGT du SIAAP) réussi à mettre nos employeurs autour de la table pour mettre en place un système de traitement du benzène, mais cela ne s’est pas fait tranquillement (Sanofi-Aventis épinglé pour pollution en Ile-de-France (lemonde.fr), SANOFI-AVENTIS ayant au départ menacé de fermer leur usine de Vitry et de licencier les 700 salariés qui y travaillaient.
Pour les problèmes que soulève Marc concernant l’utilisation des boues issues de l’épuration des eaux d’égouts après leur traitement par les agriculteurs n’est pas réellement lié à une pollution quelconque. Comme il le souligne, depuis 1980 les normes imposées (que je considère logiques) pour la destination des boues vers l’agriculture (quelque soit la forme que cela prend, boues sèches à épandre, granulats…), fait que cette « valorisation » enrichit beaucoup moins les sols que les engrais chimiques pour lesquels les normes sont moins strictes et qui sont beaucoup plus polluants.
Il y a donc beaucoup moins de rendement pour les agriculteurs avec les boues d’Achères (les autres usines utilisant des produits chimiques, « la valorisation » est axée vers d’autres domaines que l’agriculture, telle la valorisation énergétique…
Pour ce qui concerne les eaux de ruissellement urbain, le problème d’un réseau unitaire rend complexe l’épuration des eaux usées chargées d’hydrocarbures et autres pollutions que l’on ne retrouve pas dans les réseaux d’égouts « ménagers ».
Mais depuis les années 80 même si ces pollutions se sont accentuées, on sait traiter celles-ci.
Le problème concernant cette plaine de Méry-sur-Oise, ou plutôt les problèmes sont d’une part que ces pollutions ont eu lieu à une période où l’on ne savait pas les traiter, et cela partout en France. Et d’autre part la quantité en volume de polluants démontre qu’il s’agit bien de pollutions industrielles et pas seulement de ruissellement d’eau de pluies « chargées » et des égouts ménagers.
Pour ce qui concerne la plantation d’arbres dans cette plaine, la dépollution des sols n’est pas du tout au programme. Je ne sais même pas si les arbres auront le même pouvoir que la culture du maïs d’empêcher que les métaux lourds pénètrent plus profondément dans le sol, ni si cela permettra de protéger la nappe phréatique de ces pollutions.
Je pense qu’il est encore possible d’utiliser la phytoremédiation pour nettoyer ces sols. Peut-être pas dans le schéma que nous avions envisagé en 1997 avec les agriculteurs puisqu’ils sont partis, mais lorsque l’on veut, rien n’est dit-on impossible (certains disent même : impossible pas français) et de toute façon, c’est un système à envisager dans l’assainissement des eaux usées et le traitement de ses déchets. Plus on va améliorer l’épuration des eaux usées, plus on va générer des déchets qui vont se trouver concentrés.
De la même manière puisque Marc a abordé la compétition autour des « déchets verts », une donnée non négligeable porte sur l’économie circulaire et verte.
Pour reprendre l’exemple que j’ai évoqué sur la mise en service en 1899 de l’usine de Colombes équipée de pompes surpuissantes pour l’époque qui permettaient de relever les eaux d’égouts de 40 mètres pour qu’elles arrivent gravitairement sur Achères, s’il avait fallut pomper depuis Achères pour que les eaux d’égout entrent dans la station et la traverse en passant par tous les bassins de traitement, cela aurait nécessité beaucoup plus d’énergie.
Le traitement des boues apporte une autonomie non négligeable également.
Le biogaz récupéré par le traitement des boues sert à leur traitement en faisant fonctionner les chaudières pour le chauffage des bâtiments, le fonctionnement des fours servant à cuire ces boues, le fonctionnement de turbines pour produire de l’électricité pour alimenter les pompes nécessaires au fonctionnement des installations (aidant EDF aussi aux heures de pointe)…Je travaille avec un camarade CGT ingénieur hydrologue au SIAAP sur un process vecteur d’énergie axé sur le traitement des boues depuis les digesteurs qui aujourd’hui produisent le biogaz. Une 1ère présentation a été faite à l’occasion d’une journée d’étude sur l’hydrogène organisée par la Confédération CGT le 10 décembre dernier. Ce projet sera développé lors de la 2ème journée d’étude confédérale prévue fin mars début avril. »
(*) Didier DUMONT, ancien secrétaire général du syndicat SAIVP-SIAAP de 2005 à 2017.
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