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COVID-19 : l’assainissement en première ligne
21 mars 2020
par
- eauxglacees.comL’aggravation de la pandémie du Covid-19 place en première ligne les opérateurs de l’assainissement, régies publqiues et entreprises privées, comme les très nombreuses entreprises sous-traitantes qui concourent à l’exercice d’un service public plus que jamais essentiel en cette période critique.
La France compte 21 000 stations d’épuration (STEP), mais rien de commun entre les gigantesques installations des grandes métropoles, dimensionnées pour traiter les eaux usées (et pluviales), de plusieurs centaines de milliers d’équivalent-habitants (EH), avant de les rejeter, après abattement partiel des divers polluants et virus pathogènes qu’elles contiennent, dans le milieu naturel (rivières et fleuves), et l’immense majorité de petites stations implantées en milieu rural et semi-urbain.
Ces dernières ne disposent pas d’un traitement de désinfection extrêmement poussé avant rejet dans le milieu naturel (UV, filtration membranaire…), mais de procédés plus rustiques, à l’efficacité parfois aléatoire, surtout si les infrastructures sont très anciennes, et que leur entretien est parfois sommaire.
Situation qui s’est par ailleurs dégradée depuis la liquidation d’une majorité des Services d’assistance technique aux stations d’épuration (SATESE), engagée au début des années 2000, au prétexte de la concurrence « libre et non faussée », que nous n’avons cessé de combattre et de dénoncer.
Ajouter aussi que l’auto-contrôle réglementaire, comme la validation des indicateurs de performance des systèmes épuratoires par les services déconcentrés de l’Etat ont tout autant souffert de la RGPP puis de la MAP, ces posologies ultra-libérales, initiées sous le gouvernement Sarkozy (« en même temps » que le Grenelle de l’environnement…), puis poursuivies sous celui de François Hollande…
Il faut aussi rappeler une donnée technique élémentaire. Aucune STEP, aussi sophistiquée soit-elle, n’élimine jamais l’intégralité des polluants et virus pathogènes contenues dans les eaux usées, mais en « abat » un pourcentage très variable.
Soulignons ensuite que le « risque coronavirus » ne sera pas de même ampleur si ce sont 3, ou 30 millions de Français, même « porteurs asymptomatiues », parfois qualifiés de porteurs sains, qui sont contaminés…
Avec le passage au stade 3, les services d’eau et d’assainissement qui disposaient de plans de continuité d’activité (PCA), les ont activés.
Aujourd’hui, avec le coronavirus, comme avec tous les autres polluants présents dans les eaux usées, on va parier que le facteur de dilution de ce rejet, après épuration, dans le milieu naturel – les rivières et les fleuves -, va diminuer le risque.
Mais, comme la découverte du Covid-19 est toute récente, on manque évidemment de données fiables et consolidées sur ce virus.
Des études de toute nature sont bien diligentées dans le monde entier, et publiées au fur et à mesure, mais de nombreuses questions demeurent encore aujourd’hui sans réponse.
En l’état, avec le coronavirus, la grande inconnue c’est sa durée de vie selon les milieux.
Dans l’air, elle serait de trois heures. Sur certains métaux, elle
serait de 4 à 5 heures, tandis que sur du carton, du plastique ou de
l’acier, on parle de durées de vie de 2 à 3 jours, voire de 9 jours
sur métal, verre, ou du plastique.Pour estimer cette durée de vie, les chercheurs s’appuient sur des comparaisons avec les coronavirus déjà connus, comme le SRAS et le MERS, dont la persistance a été évaluée sur différentes surfaces, dans différents milieux, et à différentes températures.
Il en découle que le nouveau coronavirus survivrait, comme ses prédécesseurs, en moyenne entre 4 et 5 jours.
À des températures dépassant 30 °C, la résistance diminue considérablement, n’exédant pas quelques heures.
En revanche, des températures plus basses, en dessous de 20°C, favorisent la persistance des coronavirus humains qui survivent jusqu’à neuf jours.
En matière d’assainissement nous avons donc ici un premier facteur d’incertitude, puisque l’on sait que sous terre, tout au long de leur transfert pour traitement vers les STEP, les eaux usées dégagent de la chaleur, que l’on tente d’ailleurs de récupérer, par les biais de différents procédés, depuis plusieurs années.
Principe de précaution pour les travailleurs de l’assainissement
La Déclaration des droits de l’homme de 1789 est citée explicitement dans le préambule de notre Constitution, notamment dans son article premier : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. »
Le risque de contamination de la population lié à la présence de coronavirus dans les eaux usées rejetées dans le milieu naturel après traitement, semble pour l’heure, en l’état des connaissances disponibles, pouvoir être écarté.
Un second point de vigilance tout de même, s’agissant des rejets d’eaux usées en aval des grands établissement hospitaliers. Les résidus médicamenteux rejetés par les établissements de soin sont en effet un sujet bien identifié depuis une vingtaine d’années. Pour information, la France compte 3000 hôpitaux.
En l’état ce sont bien davantage les risques qu’encourent les travailleurs de l’assainissement, plusieurs dizaines de milliers d’agents, tous statuts confondus (salariés des régies et des opérateurs privés, fonctionnaires et contractuels des collectivités locales, personnels des entreprises sous-traitantes), qui mobilisent l’attention des opérateurs et des pouvoirs publics.
Car ce risque se concentre dans les aérosols, c’est-à-dire les mises en suspension dans l’air de particules liquides ou sèches,
Selon un récent rapport de l’Institut national de la recherche et de la sécurité (INRS), spécialisé dans la prévention des accidents du travail, ces aérosols « peuvent être mis en suspension dans l’air par les systèmes d’aération (dans les bassins biologiques, par utilisation d’air comprimé, soufflettes, …) ou par déplacement de matières (convoyage, pelletage des boues) ou encore lors de chutes d’eau et d’utilisation d’eau (filtres à bande, filtre-presse, rétrolavage des grilles et toiles des procédés de traitement des boues, tables d’égouttage…).
Ceci même si l’avis de l’ANSES, mobilisée en 2009 lors de l’épidémie H1N1 pour évaluer les risques pour les travailleurs liés à la présence du virus Influenza pandémique dans les eaux usées, avait estimé comme peu probable, voire négligeable, le risque de transmission du [H1N1] aux travailleurs de l’assainissement, par le biais d’eaux usées, en comparaison au risque de contamination interhumaine classique (toux, éternuements, etc…). confirmant ainsi une précédente expertise de 2006 qui concernait le H5N1.
Quoiqu’il en soit, compte tenu des incertitudes liées au nouveau coronavirus, il apparaît indispensable de protéger les agents potentiellement exposés avec des équipements de protection (masque FP2, lunettes et gants…). Et c’est là, comme on le sait que le bât blesse, en raison de l’actuelle pénurie de masques.
La FP2E et France Eau Publique ont engagé des discussions, notamment avec Bercy, pour obtenir ces équipements, considérant les besoins à 500 000 masques par semaine.
Quand on sait que les opérateurs de l’eau et de l’assainissement sont officiellement considérés comme des « Opérateurs d’importance vitale » (OIV), s’agissant de leurs personnels et entreprises sous-traitantes qui exercent des métiers méconnus, déconsidérés, pour des salaires notoirement insuffisants, la revendication apparaît pleinement légitime.
Ceci d’autant plus que si les discours officiels se veulent rassurants, la réalité de terrain est tout autre, comme l’atteste ce témoignage que nous avons recueilli aujourd’hui en région parisienne :
"Comme le SRAS en 2003 et le H1N1 en 2009, le Covid-19 se propage par les réseaux d’assainissement.
D’une part, les personnes confinées et plus encore les malades toussent et, du fait de la maladie pour ces derniers, crachent dans les WC, se lavent les dents et crachent dans leur lavabos, ce qui aboutit inévitablement dans les réseaux d’assainissement.
D’autre part, comme parmi les symptômes de la maladie il y a aussi la diarrhée, des analyses ont démontré là aussi que le virus se retrouvait logiquement dans les selles.
La CGT SAIVP-SIAAP a demandé lors du CHSCT exceptionnel du 12 mars dernier sur le Coronavirus que des analyses soient réalisées dans les réseaux d’égouts et dans les Step, ce qui permettrait non seulement de vérifier sa présence et sa durée de vie dans ce milieu, mais également de voir si les réseaux et les eaux usées ne sont pas pour lui un "terrain de jeux" qui lui permette de proliférer, voire de muter (nous ne savions pas encore lors de ce CHSCT que le virus pouvait se trouver dans les selles).
Mais à ce jour aucune nouvelle des responsables du SIAAP..."
Reports de travaux et assouplissements réglementaires
Par ailleurs, dans ce contexte d’urgence sanitaire et de recentrage sur les missions prioritaires, un certain nombre de travaux vont être reportés.
"Les interventions extérieures qui peuvent être différées le sont déjà : ce n’est pas le moment par exemple de faire de la relève de compteurs", rapportait le 17 mars dernier Localtis, citant Veolia Eau.
"Les grosses fuites seront réparées, pas les petites qui ne risquent pas de priver d’eau un quartier", résumait Régis Taisne. responsable du pôle Eau de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR).
Priorité au pilotage des stations, moins au contrôle des conduites
d’évacuation. Les agents effectuant habituellement des missions
d’entretien ou de diagnostic devraient donc rester chez eux ou
contribuer à l’effort de roulement et de polyvalence pour faire face
dans la durée à l’absentéisme.Dans une note complète mise en ligne sur ce sujet, la FNCCR
n’oubliait pas de mentionner le maintien de la capacité des laboratoires
d’analyses à contrôler les eaux. Qu’il s’agisse des eaux potables comme des
eaux usées, et notamment le respect des normes de rejets.Et vient de mettre en place un fil d’information spécifique :
http://www.fnccr.asso.fr/article/situation-covid-19/
Reste à savoir si les restrictions de circulation vont impacter le transport sous contrainte des échantillons prélevés pour les contrôles en laboratoire ?
Les analyses habituelles vont-elles être moins « regardantes » et, là aussi, se concentrer sur l’essentiel, en l’espèce le coronavirus ?
"Sur d’autres sujets comme le risque de refus d’intervention de la
part des agents ou l’approvisionnement des stations en réactif
(chlore, etc.), qui fait partie des besoins prioritaires en matière de
transport de marchandises qui doivent être planifiés par les services
de l’État, nos adhérents ne rencontrent pour l’heure aucun problème",
rassurait toutefois Régis Taisne.Note : Ironiquement, les 5 millions de foyers, soit 12 millions de Français, qui ne sont pas reliés à l’assainissement collectif, mais possèdent une installation d’ANC, fosse toutes eaux, lit planté, micro-step, éternels réprouvés, ne sont pas concernés...
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