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Les nouveaux contrats de concession : un piège redoutable pour les collectivités locales

18 janvier 2018

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Entrés en vigueur depuis le 1er avril 2016, par transcription d’une directive communautaire du 26 février 2014, les nouveaux “contrats de concession” modifient, voire bouleversent de fond en comble, des pans entiers de la commande publique, connus jusqu’alors sous l’appellation de DSP, d’affermage…, comme les instruments réglementaires de leur mise en oeuvre, et notamment la loi “Sapin” du 29 janvier 1993. S’agissant de l’eau et de l’assainissement, mais aussi des autres “utilities”, les collectivités locales, bousculées par la loi NOTRe, et les contraintes budgétaires imposées par l’état qui pénalisent leur activité, sont encore très loin d’avoir mesuré les nouveaux périls qui les guettent, faute d’expertise honnête sur ce que recouvrent vraiment ces nouveaux contrats de concession. Quelques exemples.



Sachant que TOUS les contrats signés depuis le 1er avril 2016 entre une collectivité et une entreprise en matière de délégation de service public, hormis le cas particulier des SPL et surtout des SemOp, qui bénéficient de l’exception "in house", sont désormais des contrats de concession, il faut donc savoir que :

 Alors que cela leur était formellement interdit auparavant, au risque d’encourir une annulation par la justice administrative de tout ou partie de la procédure de choix d’un mode de gestion par la collectivité, celle-ci pourra faire intervenir le bureau d’études qui la conseille lors de l’examen en Commission d’appel d’offres (CAO)… des offres déposées par les entreprises candidates à la concession. On imagine sans peine ce qui va en résulter !

 La négociation entre la collectivité et les entreprises candidates est facultative, mais recommandée. La directive, pas plus que l’ordonnance de transcription et son décret d’application n’ont prévu le moindre encadrement des modalités de négociation.

 Une entreprise aura interdiction de soumissionner si elle a été condamnée pour corruption dans l’espace européen, mais l’entreprise pourra solliciter une dispense… Disposition particulièrement savoureuse eu égard aux pratiques identifiées de longue date dans le domaine de l’eau et de l’assainissement.

 La collectivité concédante pourra décider d’un nombre minimum et maximum de candidatures. Par exemple entre une ou deux, histoire de se simplifier la vie ?

 La seule avancée (apparente), résidait dans l’obligation désormais imposée à l’entreprise, au-dessus d’un seuil de chiffre d’affaires de 5 225 000 € HT (pour la durée du contrat), de justifier de l’amortissement de ses investissements. D’où la définition de la notion d’investissement pour calculer la durée d’amortissement, et donc la durée du contrat. Sauf que l’entreprise pourra désormais justifier de ses investissements en se rapportant à une liste à la Prévert, comportant des items absolument impossibles à contrôler, comme la formation de son personnel, le dépôt de brevets et autres joyeusetés tout aussi insondables que les fameux “frais de siège” du monde d’avant…

 La durée du contrat sera “modulable” en fonction d’options mises en place dans le cadre de la consultation.

 Vous pensez signer un contrat de concession de 7 ans ? Sa durée pourra être prolongée, via des clauses de réexamen ou des options prévues ab initio au contrat. A l’identique pour motif d’intérêt général...

Ou dans la perspective d’un investissement prévisible, mais pas encore réalisable lors de la signature du contrat, par exemple dans l’attente d’une nouvelle loi ou réglementation, que nos amies les Trois Soeurs feront porter sur les fonts baptismaux, comme à l’accoutumée, via la FP2E, l’ASTEE, le CFE, les clusters, rebaptisés "France Water Team", ça fait plus riche, etc… Exemple, au hasard, la méthanisation de boues de STEP pour récupérer la chaleur.

On peut aussi prolonger sans option préalable. Il suffira de spécifier la nature et le montant de la prestation ou de l’investissement, en “garantissant le maintien de l’équilibre économique d’origine”, et sans “étendre considérablement le champ du contrat”.

 Insidieusement, la directive réhabilite aussi les “droits d’entrée”, en instituant une mécanique complexe, qui pourra trouver à s’appliquer, par exemple, via une reprise d’emprunt, ceci lors même que le procédé demeure (en principe) toujours interdit pour l’eau et l’assainissement.

 La directive crée des "droits réels" sur les ouvrages que réalise le concessionnaire, ce qui pourrait permettre la constitution de servitudes !

 En matière de communication et de réutilisation des données du service, feu sur les lois Lemaire et Valter (qui avaient au demeurant déjà été amendées à l’initiative de nos amis lors de leur examen parlementaire). Et donc on anticipe la future directive européenne restreignant la communication pour protéger le "secret industriel et commercial", afin… de ne pas nuire à la concurrence… Ainsi l’autorité concédante pourra-t-elle exonérer le concessionnaire de tout ou partie de ses obligations déjà amodiées par les deux lois précitées, de communication des données du service...

 Bon prince, le texte prévoit aussi l’ndemnisation des “dépenses utiles” du concessionnaire suite à une résiliation n’étant pas de son fait, ou de celui de l’autorité concédante, par exemple une décision de justice suite à un recours d’un tiers. Le champ des "dépenses utiles" recouvrira dès lors tous les frais, notamment financiers, que l’entreprise aura engagé pour obtenir le contrat…

 Des clauses de réexamen ou des options permettent donc de modifier le contrat en cours d’exécution, y compris le périmètre de la concession, en autorisant son extension géographique…

 Le rapport annuel du concessionnaire, défini aux articles 52 de l’ordonnance et 33 du décret lui permettra sans peine de se soustraire au minimum minimorum indispensable à une réelle transparence.

 Et pour ne pas s’arrêter en si bon chemin, les frais de contrôle du concédant ne doivent pas diminuer la rémunération de l’entreprise…

La transcription en droit français de la directive par voie d’ordonnance (évitant tout débat au Parlement), étroitement pilotée par Bercy, a été effectuée alors que M. Emmanuel Macron était ministre de l’Economie du gouvernement Valls, durant le quinquennat de François Hollande.

Si l’on y ajoute le scandale des SEMoP, nous voilà revenus aux temps bénis des Fermiers Généraux d’avant 1789.

Lire aussi :

L’étude remarquable de Thierry Uso, d’Eau Secours 34, publiée dans le n° 15 (Hiver 2017), de la revue « Les possibles » d’ATTAC :

« La transposition de la directive sur l’attribution de contrats de concession : quel impact sur les services publics de l’eau et de l’assainissement ? »

https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-15-automne-2017/debats/article/la-transposition-de-la-directive-sur-l-attribution-de-contrats-de-concession

Marc Laimé - eauxglacees.com