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Veolia (sociétés dédiées) versus Suez (SEMOPs)

13 septembre 2016

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Le leader français des services aux collectivités affronte une passe difficile sur les marchés de l’eau en France, dans le contexte de la mise en œuvre de la loi NOTRe. On découvre dans sa dernière lettre interne datée des mois de juillet-août, que le nouveau modèle économique passerait par un ancrage local de l’Eau France, avec des sociétés locales « qui pourront affranchir la collectivité de la complexité réglementaire liée à la gestion de l’eau »… Chez le concurrent SUEZ, avec les SEMOPs, on réinvente la concession XXXL pour mieux gruger les collectivités.



Nous voilà prévenus. Chez le grand concurrent SUEZ-Lyonnaise, qui ne cesse de tailler des croupières à Veolia depuis trois ans, la recette est beaucoup plus simple.

SUEZ-Lyonnaise s’appuie sur des bureaux d’études aux ordres qui « vendent » aux collectivités qui, n’y comprenant rien, signent les yeux fermés, sa dernière invention-miracle (pour elle, SUEZ-Lyonnaise !), les SEMOPs.

Les sociétés d’économie mixte à opération unique. Soit une société de droit privé dont SUEZ-Lyonnaise détient 60% du capital et la collectivité 40%. L’affaire est présentée comme permettant aux élus de « mieux contrôler le contrat en étant directement associés à la gouvernance de la SEMOP ». Le président de la collectivité est donc président de droit de la SEMOP, dirigée par un SUEZ boy, le même SUEZ étant bien sur majoritaire au CA de la SEMOP.

Cerise sur le gâteau, à l’arrivée, soit à la fin du contrat de concession de 10 ou 12 ans, la collectivité récupère les infrastructures ! Et on nous présente ça comme un miracle, il ne manquerait plus en effet que SUEZ emplâtre au passage lesdites infrastructures ! Et ce n’est pas fini, comme avec l’admirable SEMOP, SUEZ (ça on s’en serait douté) va faire des bénéfices, on les « partagera avec la collectivité » !

C’est beau comme du Madoff ! C’est du Madoff.

En réalité il s’agit d’une véritable escroquerie intellectuelle. Vous avez déjà vu, une seule fois, un actionnaire minoritaire imposer sa volonté à son actionnaire majoritaire ? Jamais, nulle part, même pas en rêve.

En réalité le montage, certes astucieux, si l’on sait que la SEMOP a de plus été votée à l’unanimité par des parlementaires chloroformés par SUEZ, vise à faire accroîre aux élus, primo, que l’on va faire glisser en douce les budgets de l’eau et de l’assainissement en « hors bilan », secundo qu’ils vont devenir des « experts »…

Ce que SUEZ se garde bien en revanche de clamer sur les toits, c’est que la SEMOP étant une filiale du groupe, celui-ci déploie des trésors d’ingéniosité en matière d’ingénierie financière et fiscale, de sorte que l’activité de ses filiales SEMOP va lui apporter de confortables plus-values après consolidation dans les comptes de la holding, ce dont les apprentis experts élus, grugés à l’insu de leur plein gré, n’ont bien sur aucune idée, sachant à peine que pareils instruments d’optimisation existent…

Au passage, on notera aussi que dans l’indifférence générale, le mythe de l’Autorité Organisatrice qui « contrôle son délégataire » vole purement et simplement en éclats, sous les ricanements de SUEZ.

Elle fait comment la collectivité « Autorité Organisatrice », actionnaire minoritaire de la SEMOP, filiale de SUEZ, qui détient 60% de son capital, pour « contrôler », non plus son délégataire, mais son « Associé ».

Vous avez dit « service public » ? Vous avez trois trains de retard mon pauvre ami, ici on est entre gens sérieux, entre « actionnaires » du service public de l’eau et de l’assainissement !

On attend avec impatience les premiers « Rapports d’activité » et autres RPQS des SEMOP, en attendant, qui sait, de les placer en bourse, ça viendra, pas d’impatience.

Veolia pour sa part n’est pas favorable aux SEMOP, et leur préfère les « sociétés dédiées ».

Avec l’entrée en vigueur de la Directive concessions, SEMOP et sociétés dédiées n’ont malheureusement pas fini de faire des ravages.

« À l’aube des nouveaux périmètres géographiques définis par la loi NOTRe, L’Eau France considère cette évolution administrative comme une opportunité pour réinvestir les territoires. En effet, la commande publique sur l’eau et l’assainissement se concentrera sur environ 2 200 interlocuteurs et nous obligeant ainsi à en identifier de nouveaux.

Comme le souhaite une grande majorité de nos clients collectivités, Eau France a construit un projet d’entreprise centré sur une transformation de son modèle économique, un plan ancrage local pour se positionner comme un acteur incontournable du développement durable des territoires.

Investir le territoire signifie faire partie intégrante de son paysage et contribuer au développement de son tissu socio-économique.

Notre solution : créer des sociétés locales avec une identité propre pour répondre aux demandes de nos clients, qui pourront affranchir la collectivité de la complexité réglementaire liée à la gestion de l’eau, préserver l’emploi local et grandir de manière autonome.

Les atouts : renforcer l’attractivité des territoires en favorisant l’intelligence collective dans une logique gagnant-gagnant. »

BACKSTAGE

Veolia en est à son troisième “Plan de départs volontaires” en quatre ans au sein de sa filiale rebaptisée Eau France, désormais dirigée (à la hache) par l’ex-gestionnaire d’un restaurant de luxe des Champs Elysées. 4000 “collaborateurs” remerciés, externalisés, ou mis au placard en attendant qu’ils craquent, pendant que M. Franchi (c’est lui), met les bouchées doubles sur ses “capsules”, rebaptisées “sociétés de spécialités” (ou “d’expertise”, ça dépend des jours). Après avoir subi cinq années de restructurations, devenues permanentes, les personnels témoignent unanimement n’être plus en mesure d’assurer leurs tâches au quotidien, ce qui devrait inquiéter leurs “clientes” collectivités locales…

"Vous mettez en danger les exploitants en amenuisant les équipes au strict minimum pour assurer les astreintes parfois complexes et trop fréquentes, réduisant à peau de chagrin les services supports qui pouvaient encore leur apporter un soutien technique externe et une analyse de certaines offres", dénonce ainsi la CFDT de Veolia Eau France, dans son bulletin L’Inf’Eau du mardi, n° 436, du 13 juin 2016.

Qu’importe, Antoine Frérot poursuit son cap, le désendettement, le développement à l’international et l’économie circulaire. L’endettement vient de décroître de 700 millions d’euros en un an. Le boulet Transdev vient in extremis d’être enfin refilé à la Caisse des Dépôts, autant dire que l’Ebitda va grimper en flèche. Jusqu’ici tout va bien.

Suez serait au demeurant bien inspiré d’arrêter un peu de rouler les mécaniques. Sur fond de guerre au couteau Mestrallet-Köcher (comme quoi, pas plus que de mondialisation, il n’existe de transition “heureuse”), le groupe a accumulé des pertes colossales dans le gaz.

Du coup, après avoir usé de “méthodes de voyou” (Veolia dixit), pour lui piquer des contrats d’eau et d’assainissement en France depuis trois ans, et comme le confirmait La Lettre A le 23 juin dernier, SUEZ accélère depuis cet été la reprise en main de ses filiales et prévoit de couper dans les effectifs des fonctions supports
du groupe (comptabilité, ressources humaines…), qui vont devoir se serrer la ceinture.

Sur 80 000 salariés dans le monde, 10 000 sont affectés à ces activités transversales, dont les commerciaux.

Alors que jusqu’à l’été le groupe espérait encore pouvoir sabrer les effectifs en s’appuyant sur un accord de mobilité, là aussi c’est bel et bien un PDV qui se profile.

Les directeurs de business units du groupe ont finalisé l’inventaire de leurs troupes, pour permettre aux RH de fixer les détails du plan de départs, avec des centaines de salariés qui devraient être concernés.



La réorganisation traduit aussi la reprise en main opérée par la maison- mère sur ses filiales, à l’instar de la Lyonnaise des eaux et de ses 12 500 salariés.

Ainsi SUEZ ENVIRONNEMENT (et Jean-Louis Chaussade qui se serait très bien vu se débrouiller tout seul, depuis le temps qu’il attendait çà), a perdu son « Environnement » pour redevenir SUEZ tout court.

Ce qui permet à la maison-mère de facturer à ses sociétés "filles" l’usage du nom Suez, au prorata de leur chiffre d’affaires…

Tiens, ça ils ont oublié de le dire aux SEMOPs de Dôle, de Sète, de la CA de Montargis, et bientôt à celles du SIAAP, de la CA de Béziers, et peut-être d’Avignon…

Ca serait pourtant utile aux élus qui vont « piloter » lesdites SEMOPs, parceque ça fera déjà moins de « bénéfices à partager »…

Marc Laimé - eauxglacees.com