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Sémantique du cours d’eau, par Alain-Claude Galtié
22 septembre 2015
par
- eauxglacees.comLa formule "cours d’eau" réduit la problématique écologique à une simple question de dynamique des fluides. Elle favorise la restriction des interprétations et les solutions simplistes, et par conséquent destructrices…
Voici tantôt un mois, dans la circulaire "Une reconnaissance ça peut tromper énormément", cette phrase : "Toute autre considération n’est pas essentielle à la définition d’un cours d’eau, notamment la richesse du milieu (...)", était citée comme faisant partie de l’Arrêt EARL Cintra du Conseil d’Etat qui a force de loi et permet de faire reconnaître les ruisseaux oubliés.
En fait, dans le feu de l’action, je l’ai empruntée à l’excellent commentaire de Carl Enckell sur ce même Arrêt EARL Cintra : Définition d’un « cours d’eau » : la réponse du Conseil d’État vaut-elle pour le domaine public ?
http://www.carlenckell.com/archive/2011/11/03/definition-d-un-cours-d-eau-la-reponse-du-conseil-d-etat-vau.htmlL’appréciation de Carl Enckell a été particulièrement inspirée par cette analyse livrée par le Conseil d’Etat : "Constitue un cours d’eau un écoulement d’eaux courantes dans un lit naturel à l’origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l’année. 2) Si la richesse biologique du milieu peut constituer un indice à l’appui de la qualification de cours d’eau, l’absence d’une vie piscicole ne fait pas, par elle-même, obstacle à cette qualification."
La critique présentée dans "Une reconnaissance ça peut tromper énormément" reste, donc, parfaitement valable et doit même être approfondie.
Parce qu’elle ne dit rien de ce qu’est un ruisseau, rien de l’écosystème et de son environnement, et rien de son devenir, on devine déjà que la meilleure intention peut être retournée.
L’emploi de la formule "cours d’eau" - littéralement : mouvement d’eau, flux d’eau, constitue le premier problème.
"Cours d’eau" appartient au langage de l’hydrologue, pas au langage de celui qui s’intéresse aussi à la vie : l’écologiste. Si l’on avait voulu rendre compte de la vie qui accompagne l’eau, à "cours d’eau", on aurait préféré ruisseau qui, au moins depuis Elisée Reclus (1830-1905) parle de l’écosystème en son entier. Au contraire, "cours d’eau" fait d’un réseau dense d’interrelations - l’écosystème aquatique - un objet simple, trop simple...
"La monstrueuse pathologie atomiste que l’on rencontre aux niveaux individuel, familial, national et international - la pathologie du mode de pensée erroné dans lequel nous vivons tous - ne pourra être corrigée, en fin de compte, que par l’extraordinaire découverte des relations qui font la beauté de la nature." in "Vers une écologie de l’esprit", Gregory Bateson 1972.
La formule "cours d’eau" réduit la problématique écologique à une simple question de dynamique des fluides. Elle favorise la restriction des interprétations et les solutions simplistes ; par conséquent : destructrices.
Certes, l’Arrêt EARL Cintra évoque une "vie piscicole", mais rien n’est dit des autres formes de vie indissociables qui, avec l’élément physique eau, constituent un ruisseau. Et, là encore, "piscicole" semble restreindre la vie qui accompagne ce "cours d’eau" aux poissons "utiles", ceux qui sont élevés ou entretenus pour notre consommation.
Certes, "la présence d’une végétation hydrophile et d’invertébrés d’eau douce" est aussi évoquée, mais pour souligner que celle-ci n’est pas nécessaire pour identifier, non pas un ruisseau, mais son fantôme - ce qui pourrait paraître logique ponctuellement pour préserver afin de restaurer. Malheureusement, la description reste figée dans le temps de la dégradation, et on en revient au simple "cours d’eau"...
Insuffisance de la description et silence sur les obligations qui résultent de la reconnaissance... En définitive, même le meilleur de la législation française semble dire que, là où s’épanouissait la vie du ruisseau, un flux d’eau résiduel, quel que soit son état, même s’il coule dans un égout, suffit, et que peu importe le devenir de l’ex-ruisseau !
Et, c’est ainsi, du choix d’un vocabulaire inapproprié au glissement de sens et à la réduction du sujet, que le ruisseau, la vie, l’écologie peuvent être escamotés à vue par les mal intentionnés.
Devant ce que, pudiquement, on peut appeler un déficit de connaissance en matière d’écologie et une faiblesse culturelle et législative, une question vient naturellement à l’esprit :
– la carence de l’identification du bien commun, ici un ruisseau, et de son contexte, cette carence qui permet tous les tours d’escamotage exécutés par les promoteurs et l’administration, ne serait-elle pas intentionnelle ?
En prenant de la hauteur et du recul pour embrasser l’ensemble de l’opération réductionniste, "La monstrueuse pathologie atomiste" dénoncée par Bateson, on peut dire que la vision utilitariste a rétréci le droit de l’environnement en lui cachant la vie (surtout quand elle n’est pas "piscicole"), toute la vie qui accompagne le "cours d’eau", dans l’eau et alentour.
La définition claire du bien commun, en tous lieux et en soulignant la relation avec le bien commun des biens communs : la biosphère, devrait être le premier souci de qui dit s’occuper, en particulier, de l’objectif de "bon état écologique" et du changement climatique. Devrait...
(1) http://www.eaufrance.fr/observer-et-evaluer/etat-des-milieux/rivieres-et-lacs/etat-ecologique
http://www.onema.fr/IMG/pdf/continuite_ecologique_18questions.pdf
http://www.onema.fr/Seminaire-CC
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