“Sivens, 6 mars 2015 : rien.” La paraphrase interloquera ou indignera. Elle dit pourtant tout. Il ne s’est rien passé dans le Tarn le vendredi 6 mars 2015. Il ne s’est rien passé “en droit”, et c’est ce qui nous intéresse. Pour le reste, un storytelling épuisé, qui nous divise entre rire et larmes. Et comme il ne s’est rien passé, Lotta continua !
1. Le factuel, façon AFP
« Les gendarmes ont mis fin vendredi après-midi à l’occupation du site de Sivens (Tarn) par des zadistes, en s’emparant d’une trentaine de récalcitrants, a constaté une journaliste de l’AFP.
Douze personnes ont été interpellées et placées en garde à vue, et les forces de l’ordre n’avaient pas recensé de blessés à 14h45, a précisé une source proche du dossier.
Après avoir cerné de plus en plus près une trentaine d’occupants qui refusaient de partir, les gendarmes mobiles, en grand nombre, se sont saisis d’eux.
Malgré la résistance passive des zadistes qui tentaient de s’accrocher les uns aux autres, les forces de l’ordre ont réussi à les séparer, sur le lieu même où le jeune écologiste Rémi Fraisse était mort le 26 octobre dernier, tué par l’explosion d’une grenade offensive de la gendarmerie.
Tandis que plusieurs des interpellés étaient menottés, le gros de la troupe était escorté vers la sortie de la zone par les gendarmes, a constaté l’AFP.
Trois derniers zadistes restaient perchés à 12 mètres de haut sur un échafaudage, et une équipe spécialisée de la gendarmerie devait se charger de les faire descendre.
Une source préfectorale s’est félicitée de cette "intervention rapide et sans violence".
Il s’est passé environ deux heures entre l’entrée sur le site des gendarmes et la prise de contrôle de la zone par les gendarmes mobiles qui étaient plus de 300 mobilisés cette semaine pour empêcher les heurts entre pro et antibarrages puis pour expulser les zadistes.
La justice avait ordonné leur expulsion fin février mais le gouvernement avait décidé d’attendre le choix du conseil général du Tarn sur une solution de remplacement au projet de barrage initial, écarté mi-janvier par la ministre de l’Ecologie Ségolène Royal, qui l’estimait surdimensionné.
L’assemblée départementale a voté massivement (43 voix sur 46) vendredi matin en faveur d’un projet réduit, donnant ainsi le feu vert à l’évacuation, immédiatement ordonnée par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve. »
2. Le storytelling ministériel
« Le Conseil général du Tarn a délibéré, ce vendredi 6 mars 2015, sur le devenir du projet de barrage de Sivens.
A cette occasion, le Conseil général a décidé de s’orienter vers une des options alternatives préconisées dans le rapport d’expertise rendu à la Ministre en charge de l’écologie le 16 janvier 2015. Le Conseil général a ainsi fait le choix de privilégier la solution technique visant à engager la réalisation d’un réservoir dans l’emprise initiale, plus réduit et à l’amont du projet initial.
Ségolène ROYAL et Stéphane LE FOLL saluent cette décision, qui, tout en respectant l’ensemble des critères de protection environnementale, sécurisera les apports en eau nécessaire pour des productions agricoles à forte valeur ajoutée et génératrices d’emploi local, le renforcement des circuits de proximité, et le maintien d’exploitations de taille familiale.
L’Etat accompagnera le Maitre d’ouvrage, financièrement et techniquement, dans la réalisation de ce projet alternatif.
Le Gouvernement appelle l’ensemble des acteurs à respecter la décision du maitre d’ouvrage, les invitant à l’apaisement et à la responsabilité. »
Ici on s’adresse aux medias, à l’opinion publique, aux gens “responsables”, à qui l’on raconte littéralement n’importe quoi, comme la suite va le démontrer.
“Baseline”, comme ils disent : “options alternatives », « plus réduit et à l’amont du projet initial », « protection environnementale », « productions génératrices d’emploi », « circuits de proximité », « exploitations de taille familiale »… Soit pas moins de six énormes mensonges en dix neuf lignes, ce qui témoigne de très sérieux progrès des départements de la propagande du Minagri et du Medd-T.
Bien noter que le « message » subliminal vise exclusivement les gogos vaguement écolos, Mme Michu, le journaleux lambda, les gentils qui donnent de l’argent aux ONG pour défendre la planète, tout çà… Enfin celles et ceux qui pourraient se demander, tout à fait légitimement, « c’est quoi cette sortie de crise ? »…
3. Les arrières cuisines de l’Elysée
Après le drame de Sivens une délégation (très restreinte) des instances dirigeantes d’un réseau national qui fédère des milliers d’associations de défense de l’environnement rencontrait à l’Elysée le 7 novembre 2014 M. François Hollande et Mme Ségolène Royal. On comprendra vite à la lecture de l’éclairant billet de Bernard Viguié, ancien avocat toulousain, impliqué depuis le début dans l’affaire de Sivens, billet publié le 6 mars sur son blog de Mediapart, pourquoi la quarantaine de valeureux zadistes qui étaient assiégés depuis début janvier par les milices de la FNSEA, ont été lâchés en rase campagne par toute la mouvance “responsable” des défenseurs de l’environnement, des droits de l’homme et de toutes ces sortes de choses…
Il était donc question depuis des semaines, tandis que “la tension montait à Sivens”, c’est-à-dire qu’une horde de centaines de “petits hommes verts”, fàçon Donbass, harcelaient en toute impunité une quarantaine de zadistes épuisés, abandonnés de presque tous, pour les raisons que nous venons de voir, il n’était donc question que de la fameuse “réunion du Conseil général” qui allait voter “l’alternative Royal” pour “l’agriculture familiale” et les “circuits de proximité”…
Et bien on a vu, et c’est un grand moment journalistique. Un peu Raymond Cartier (“La Corrèze, pas le Zambèze”), racontant pour Paris-Match la séance solennelle de la célébration du dépassement des objectifs du plan quinquennal dans un kolkhoze ukrainien en 1954.
La délibération du Conseil général du Tarn, 6 mars 2015
En faisant observer au préalable que tout ceci (la délibération) n’a pas la moindre valeur, en droit, sur les affaires en cours, on prendra soin, nonobstant, de lire avec attention les considérants successifs de nos branquignols, qui carbonisent joyeusement les éléments de langage de Ségolène “Calamity” Royal, et annoncent bien évidemment qu’ils feront ce qu’ils veulent, comme ils veulent, quand ils le veulent, à savoir le barrage prévu, au même endroit, et le plus tôt sera le mieux. Et comment ne pas les comprendre quand on a compris, depuis le Salon de l’Agriculture, que Messieurs Valls et Hollande songent déjà, à l’évidence, à se reconvertir en exploitants agricoles après 2017…
Erreur de calcul
6. Vers une nouvelle guerre de tranchées
Comme le note tout-à-fait justement un autre juriste, aucunement impliqué dans l’affaire, en l’état celle-ci est devenue un bazar inextricable.
Nos branquignols ne mettront pas longtemps à mesurer qu’ils n’ont remporté qu’une victoire à la Pyrrhus.
Ni le CG 81, ni la CACG ne se sont “backés” sérieusement au plan juridique. Logique, puisqu’ils vivent dans leur kolhhoze en 1954. Le ministère de l’Ecologie (ce qu’il en reste), n’allait bien évidemment pas leur prêter main forte, puisqu’il ne s’agissait pour le gouvernement que de “tourner la page”, avant que de retourner aux grands travaux de la preparation de la caravane publicitaire de la COP 21.
En l’état, au terme de quelques heures de consultation, il apparaît sans équivoque que cette séquence de “sortie de crise” et les différents actes (et tout autant l’absence d’actes), qui l’ont accompagné, peuvent nourrir une foule de recours qui ont de fortes chances de prospérer, surtout après l’invraisemblable saga déjà en cours depuis des années.
A cet égard l’affaire de Sivens devient plus symbolique encore d’une autre réalité. Dans les dix ans qui viennent, l’enjeu pour les tenants d’un avenir soutenable va aussi, en grande partie, être celui de la réappropriation collective des outils du droit pour faire respecter le droit de l’environnement.