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Critique du rapport sur la remunicipalisation de l’eau dans le monde, par Thierry Uso (*)
29 novembre 2014
par
- eauxglacees.comLe récent rapport de PSIRU, TNI et l’Observatoire des multinationales faisant un état des lieux de la remunicipalisation de l’eau dans le monde donne une vision partielle et déformée de la privatisation et de la marchandisation de l’eau.
On observe depuis quelques années une prolifération de PPP de type « Built operate and transfer » (BOT), pour la construction de stations d’épuration des eaux usées (STEPs) et d’usines de dessalement d’eau de mer partout dans le monde. Ces PPP ne sont pas pris en compte dans le rapport puisqu’ils sont, hélas, le plus souvent signés par des collectivités locales ou des sociétés publiques comme la SONEDE et l’ONAS en Tunisie.
PSIRU et TNI continuent à considérer que la gestion de l’eau et l’assainissement est 100% publique en Tunisie, ce qui n’est plus le cas, voir l’OPA de Loïc Fauchon conduite allégrement depuis la révolution de jasmin…
En Italie, le gouvernement Renzi fait pression sur les communes pour que celles-ci vendent tout ou partie de leurs actions dans les sociétés publiques-privées qui y gèrent l’eau très majoritairement. Bon nombre de communes s’exécutent pour renflouer leur budget. Ce n’est pas non plus pris en compte dans le rapport puisque cela ne change pas le statut de ces sociétés qui gèrent l’eau pour les ATO (syndicat des eaux regroupant plusieurs communes).
Le rapport pose un vrai problème de fiabilité des données et de méthodologie.
Les données concernant la France sont fausses. Ce n’est pas 49, mais plus de 400 remunicipalisations qui ont eu lieu dans la période étudiée dans le rapport, comme l’indique France Eau Publique, association française des opérateurs publics de l’eau. Ce n’est pas beaucoup sachant qu’il existe environ 35 000 services d’eau et d’assainissement en France, et qu’il y a eu de nombreuses expirations de contrat de DSP durant les 10 dernières années.
Le nombre de remunicipalisations à un instant t n’est pas la bonne unité de mesure de la remunicipalisation. Par exemple, 17 DSP de l’agglomération de Montpellier viennent d’être remplacées par 1 régie publique pour l’eau et 3 DSP pour l’assainissement. Une moins mauvaise unité de mesure aurait été le nombre d’usagers desservis en gestion publique à un instant t. C’est cette unité que privilégie France Eau Publique.
Tout cela remet en question la conclusion du rapport.
Par ailleurs, ce rapport met sur le même plan la « remunicipalisation » de l’eau à Paris et à Berlin, ce qui relève du raccourci hasardeux. La société des eaux de Berlin "remunicipalisée" continue de s’appuyer sur des filiales qui fonctionnent comme des entreprises privées. Ne parlons même pas des conditions de rachat des actions de RWE et Veolia, qui obligent à maintenir un prix de l’eau très élevé à Berlin. Les syndicats présents dans le conseil d’administration de la société des eaux de Berlin (alors que les usagers en sont exclus)n soutiennent le statu quo de cette "vraie-fausse" remunicipalisation.
(On notera, pour l’anecdote, que l’affaire avait débuté par une admirable opération d’intoxication conduite par des « dos mouillés » de Veolia à Berlin, sous forme de « révélation du contrat secret » dans les colonnes de la Tag, ce qui nous plonge loin, très loin, dans le monde d’hier… Note EG).
PSIRU est le laboratoire de recherche de PSI, c’est-à-dire les syndicats européens des services publics. Ceci expliquant probablement cela.
En se focalisant sur la gestion publique/privée des services d’eau potable, le rapport passe complètement à côté de l’OPA massive des entreprises privées sur la gestion intégrée de l’eau, c’est à dire sur le « grand cycle » de l’eau.
En Espagne, ce sont des sociétés publiques/privées qui exploitent les transferts d’eau inter-bassin et contrôlent de facto la vente de droits de prélèvement d’eau brute, via les banques d’eau. AGBAR (filiale qui vient de monter au capital de Suez-Environnement avant son prochain spin-off de sa maison-mère, compliqué par l’antagonisme Kocher-Chaussade), est présent dans le capital de toutes ces sociétés.
En Angleterre, le ministère de l’environnement met en place un marché financier de l’eau et ce sera la dizaine d’entreprises privées de production et distribution d’eau potable créées par Thatcher qui vont contrôler ce marché et spéculer avec la bénédiction du gouvernement Cameron.
L’European Water Movement a demandé à PSIRU des informations sur ce futur marché de l’eau anglais (le laboratoire de PSIRU est en Angleterre) et bien ces brillants chercheurs ne sont au courant de rien et visiblement ils s’en désintéressent !
A l’identique pour le nexus eau-énergie, et les grandes manœuvres en cours avant la Corée et le COP21…
Effectivement, il y a une tendance depuis une dizaine d’années à la "remunicipalisation" des services d’eau et d’assainissement partout dans le monde. Mais cette tendance est moins forte que ne le laisse penser le rapport, et surtout rien ne dit que cela va continuer.
Lagos est en passe de privatiser son service d’eau et d’assainissement.
La société publique ABC Napoli est la seule remunicipalisation de l’eau en Italie qui a eu lieu après le fameux référendum qui a enchanté la planète alter. La ville de Naples est en quasi-faillite et son maire qui a mené la remunicipalisation de l’eau a peu de chance de gagner les prochaines élections municipales. Naples va intégrer l’ATO de Campanie, où toutes les communes ont une gestion privée de l’eau, ce qui est la mort quasi-certaine de ABC Napoli.
Il existe le même risque à Paris avec la métropolisation si c’est le SEDIF qui prend la main.
Ok pour célébrer nos victoires, surtout qu’il n’y en a pas tant que cela en ce moment. Mais un peu de lucidité ne fait pas de mal non plus.
(*) Thierry Uso est membre de l’European Water Movement.
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