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GEMAPI : tentative d’accouchement aux forceps
4 août 2014
par
- eauxglacees.comL’affaire étant depuis le début fort mal engagée, comme nous l’avons déjà longuement relaté, le ministère de l’Ecologie aggrave son cas en publiant en pleine pause estivale une rafale de textes qui visent à arbitrer entre EPTB et EPAGE (mission impossible) en mettant en consultation (trois semaines en plein été !) les projets de textes relatifs à la délimitation de leurs périmètres d’intervention respectifs, et en définissant la constitution et les prérogatives des « missions d’appui » qui vont devoir tenter, du 1er janvier 2016 au 1er janvier 2018, sous la férule des préfets coordonnateurs de bassin, de sortir de la nasse notre fameuse compétence GEMAPI. Un vœu pieux et un scandale démocratique. Aucune composante de la société civile n’est associée de près ou de loin, et sous quelque forme que ce soit à cette mascarade qui éclaire d’un jour cru la « gouvernance » délétère de la politique de l’eau en France.
La compétence de "gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations" a été créée par la loi Maptam (modernisation de l’action publique et des métropoles) du 27 janvier 2014. Elle concerne les communes, ou les EPCI (établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre) substitués à leurs communes membres, qui pourront désormais "instituer la taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations". L’objet de cette taxe est "le financement des travaux de toute nature permettant de réduire les risques d’inondation et les dommages causés aux personnes et aux biens". Son produit sera arrêté "avant le 1er octobre de chaque année pour application l’année suivante" par la commune ou, le cas échéant, l’EPCI, "dans la limite d’un plafond fixé à 40 euros par habitant".
Il s’agit "de pallier la carence des propriétaires riverains à entretenir la partie des cours d’eau qui leur incombe ainsi que des propriétaires des digues à entretenir ces ouvrages, et prévenir de ce fait les conséquences dommageables, tant aux personnes qu’aux biens des inondations et des submersions marines", précise le ministère de l’Ecologie, s’éloignant ce faisant sans vergogne du fond du débat tel qu’il s’est tenu à l’Assemblée et au Sénat, mais nous ne sommes plus à ça près.
Les communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre sont en fait incités à déléguer cette nouvelle compétence. Comment ? En adhérant à un établissement public d’aménagement et de gestion de l’eau (EPAGE), nouvelle structure opérationnelle compétente à l’échelon d’un sous bassin hydrographique, constituée sous forme de syndicat mixte, qui pourra elle même confier une partie de ces compétences à un établissement public territorial de bassin (EPTB), s’agissant des questions devant être appréhendées à l’échelle du bassin hydrographique.
Rappelons que les EPTB existent depuis très longtemps, sont à l’origine, même s’ils s’en défendent parfois, de la création de la nouvelle compétence GEMAPI, étaient notoirement bridés dans leur activité par des financements insuffisants, et l’impossibilité juridique dans laquelle ils se trouvaient de coordonner réellement les actions complexes à conduire pour prévenir les inondations, à raison, et d’un vide juridique, et de la kyrielle de dispositifs qui se sont accumulés au fil des ans (PAPI, PPRI, plans submersions, etc.). Une situation embrouillée à l’envi et qui, de notre point de vue, n’est pas près de s’améliorer !
En effet nous avons déjà longuement évoqué comment l’appétit féroce du gang des EPTB s’est successivement fracassé, et sur l’appétit des tenants des EPAGE qui ont bridé leurs visées impérialistes en seconde lecture au Sénat, puis surtout sur la définition même de l’exercice de la compétence GEMAPI, impartie au « bloc communal », en fait non pas aux communes puisqu’elles doivent s’en dessaisir automatiquement au profit des EPCI à fiscalité propre, acteurs incontournables de la nouvelle phase de la décentralisation, à qui serait de surcroît dévolue, tout à fait logiquement, la délicate fonction de battre monnaie pour financer notre fameuse GEMAPI, sous forme d’une nouvelle taxe, « l’aquataxe », optionnelle, puisqu’il est vite apparu qu’il était politiquement inenvisageable de la rendre obligatoire…
On mesure déjà le sérieux de l’affaire à simplement noter que cette compétence, extravagante à bien des égards, n’est pas financée…
Dès lors, enferré dans cette histoire de fous, l’Etat, qui ne vise qu’à se débarrasser dans dix ans, comme l’a prévu la loi, de 50 000 kilomètres de digues en fort piteux état, dont on va refourguer la gestion aux collectivités locales, qui n’ont évidemment rien demandé, se retrouve face à des difficultés multiples. Comment arbitrer entre EPTB et EPAGE ? Comment espérer financer le système ? Comment enfin tout cela va-t-il pouvoir se mettre en place, alors que dans le même temps la relance à marches forcées d’une « Acte IV » de la décentralisation est réputé faire disparaître nombre de syndicats mixtes intervenant dans le domaine de l’eau, tout en favorisant la « rationalisation », et donc le regroupement des EPCI existants ?
Le nouvel Acte IV de la décentralisation…
On a, et un problème de fond, et un problème de rythme : comment arbitrer définitivement entre EPTB et EPAGE dans un délai contraint, alors que dans le même temps les communes et EPCI qui sont censées leur transférer la nouvelle compétence GEMAPI dont elles viennent d’hériter - et qui n’est pas financée, on ne le répétera jamais assez – vont se retrouver prises dans le même laps de temps dans un mouvement brownien de rationalisation par « suppression-fusion-absorption… », et que toujours dans le même temps les structures qui existaient déjà sur le terrain, syndicats de rivières, de nappes, de baies… sont elles aussi en proie à des incertitudes croissantes et ne savent littéralement pas de quoi demain sera fait, comme en Rhône Alpes où la Région vient brutalement de mettre un terme au programme qui permettait aux contrats de rivières de voir le jour…
Ajoutons pour ne rien oublier la mise en œuvre sous tension des Xèmes Programmes des Agences de l’eau, avec l’accent mis sur le « grand cycle », qui rend furax les collectivités abonnées au « tout béton », comme la diminution drastique des dotations de l’Etat aux collectivités locales, fermement annoncée par le gouvernement, et l’on mesurera la partie de plaisir qui attend les protagonistes de notre ténébreuse affaire.
Le risque à l’arrivée ? Des bricolages hautement fantaisistes où l’on va voir des DGS faire leur tambouille dans leur coin, et mélanger allégrement une aile de l’Agence technique départementale, un pilon de reste de Satese survivant, un bréchet de Satanc, une pincée d’ANC, une cuisse de GEMAPI avec le contrat de rivière mixé avec le PAPI, et roule ma poule, on parie ?
Et bien pire encore quand on sait aussi que la GEMAPI a également été impartie aux métropoles, et que la région Bretagne a demandé au premier Ministre de lui attribuer cette compétence…
On comprend dès lors pourquoi le ministère de l’Ecologie choisit la période estivale pour pousser les feux en publiant en rafale plusieurs textes, et en ouvrant une consultation sur l’un d’entre eux (du 28 juillet au 20 août, faut le faire, là on va battre les records de non réponse !), histoire d’en rajouter dans des pratiques de république bananière, dont le seul résultat prévisible sera de faire grimper aux rideaux des élus locaux qui ont bien d’autres chats à fouetter dans la période…
EPTB vs EPAGE
Pour la DEB, la mise en œuvre « partenariale » de la politique de l’eau nécessite la « structuration de la maîtrise d’ouvrage sur le territoire », en particulier à travers la création ou la modification de périmètre des EPTB et Epage.
Il appartiendra dès lors au préfet coordonnateur de bassin de s’assurer du respect des critères de délimitation de leurs périmètres respectifs imposés par les dispositions de l’article R.213-49 du Code de l’environnement ainsi réécrit.
Un projet d’arrêté - modifiant l’arrêté de 2005 y afférent - détaille donc la procédure à suivre, qu’il s’agisse d’une demande de délimitation du périmètre d’intervention émanant des collectivités ou, faute d’une telle demande, d’une initiative prise par le préfet coordonnateur de bassin lui-même.
Le texte énonce également les modalités de création du nouvel établissement public par arrêté préfectoral ou interpréfectoral, après accord des organes délibérants des collectivités censées le composer.
Procédure simplifiée
Le projet de décret décrit par ailleurs la procédure de saisine par les Epage situés dans le périmètre d’un EPTB "afin de recueillir son avis s’agissant de travaux dont le coût est supérieur à 1 900 000 euros".
Le texte précise en outre les cas de délégation de compétences susceptibles d’être consenties par une commune ou un EPCI à fiscalité propre au profit d’un EPTB ou d’un Epage.
Enfin, une procédure simplifiée de transformation d’un syndicat mixte de droit commun en EPTB ou en Epage est prévue "pour autant que la transformation statutaire ne modifie ni le périmètre, ni la composition du groupement et qu’elle soit adoptée à l’unanimité de ses membres", précise le ministère.
Lorsqu’un EPTB, déjà constitué sous la forme d’une institution ou d’un organisme interdépartemental, est dissous et que l’intégralité de ses membres adhèrent à un syndicat mixte ouvert, ce syndicat pourra, le cas échant, bénéficier de cette procédure simplifiée tout en conservant la qualité d’EPTB.
(Ici il s’agit de remettre en selle EPTB Canal historique, dont la dizaine "d’ententes interdépartementales" avaient été sauvagement dézinguées par un amendement de l’honorable sénateur Collombat qui leur faisait obligation de se dissoudre avant que de se reconstituer en syndicat mixte, au plus grand profit des EPAGE...)
- Le projet de décret en consultation jusqu’au 20 août 2014.
- Le projet d’arrêté en consultation.
Missions d’appui technique de bassin
Un autre décret, publié au Journal officiel du 30 juillet, fixe la "composition, les missions et le fonctionnement des missions d’appui technique de bassin".
Ces nouvelles structures seront constituées dans chaque bassin "par le préfet coordonnateur de bassin" afin d’aider les communes qui, "à compter du 1er janvier 2016", "seront compétentes en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations".
Les missions poursuivront leur action "jusqu’au 1er janvier 2018" et rendront "compte annuellement de [leurs] travaux au comité de bassin". "Six mois avant la fin de son mandat", chaque mission présentera au comité de bassin un rapport d’évaluation et de recommandations, est-il encore indiqué.
Dès sa création, chaque mission émettra "des recommandations quant aux outils utiles à l’exercice de la compétence", établira "un état des lieux des linéaires des cours d’eau ainsi qu’un état des lieux technique, administratif et économique des ouvrages et des installations nécessaires à l’exercice de la compétence".
L’état des lieux technique des installations se fera "prioritairement pour les territoires à risque important d’inondation". Les missions établiront ces deux états des lieux "en s’appuyant sur l’état des lieux des Sdage (schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux) et sur les plans de gestion des risques d’inondation".
Concrètement, chaque mission d’appui technique, présidée par le préfet coordonnateur de bassin, comprendra :
• le directeur de l’agence de l’eau ou son représentant ;
• le directeur de la Dreal de bassin ou son représentant ;
• six représentants du collège de l’État du comité de bassin ;
• huit représentants élus par et parmi le collège des élus du comité de bassin, dont : un représentant des conseils régionaux, un représentant des conseils généraux, quatre représentants des communes et des EPCI, un président de syndicat de communes ou de syndicat mixte exerçant des missions de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations et un président de commission locale de l’eau d’un Sage situé sur le bassin.
Le préfet coordonnateur de bassin complète, "en tant que de besoin", la composition de cette mission, "en désignant des représentants de collectivités ou de leurs groupements, qui ne sont pas membres des comités de bassin, et dont les compétences sont utiles à l’accomplissement des tâches qui lui incombent", précise en outre le décret.
Etat des lieux
Chaque mission émettra des recommandations sur l’identification et la définition d’outils utiles à l’exercice de la compétence "Gemapi".
Elle réalisera "un état des lieux technique, administratif et économique" des ouvrages et des installations nécessaires à l’exercice de cette compétence et ce "prioritairement pour les territoires à risque important d’inondation", ainsi qu’un état des lieux des linéaires des cours d’eau.
La mission s’appuiera pour ce faire sur l’état des lieux établi dans le cadre des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et sur les plans de gestion des risques d’inondation (PGRI).
Attentat démocratique
Perpétuant les pratiques de république bananière qui sont sa marque de fabrique, le lobby de l’eau français témoigne ici de son mépris abyssal de la démocratie.
Aucune association de défense de l’environnement, aucune association de consommateurs, aucune instance pouvant faire figure de représentante de la société civile n’est associée de quelque manière à cette mascarade, qui échappe de la même façon à tout contrôle parlementaire.
Aucune étude d’impact n’a été effectuée en amont de ce coup de force qui signe un abandon retentissant de l’Etat de sa mission régalienne principielle : protéger ses administrés des risques naturels majeurs, ici les inondations dont nous savons qu’elles peuvent être mortelles, et le seront à l’évidence encore à cette aune.
Aucune ONG de défense de l’environnement n’a manifesté le moindre intérêt pour ce scandale.
Aucun média ne l’évoquera.
La prévention des inondations a été évaluée à plusieurs milliards d’euros par an par des experts du monde de l’assurance.
La GEMAPI ne rapportera bien évidemment rien.
C’est ainsi que la nave va.
- eauxglacees.com