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Le « droit à l’eau » pour les nuls

9 mars 2014

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Relayant un message de propagande parfaitement mensonger, une dépêche de l’AFP datée du 5 mars 2014 annonçait que le gouvernement lance une expérimentation visant à "favoriser l’accès à l’eau et à mettre en œuvre une tarification sociale de l’eau". Aboutissement de dix années d’offensive du cartel de l’eau, qui prétend dissoudre la question de l’eau dans un droit qui n’existe pas et imposer une tarification prétendument « sociale » qui ne fait qu’accroître les inégalités préexistantes. Il importe donc de rappeler quelques faits, et de dénoncer plus que jamais la participation à cette vaste opération de diversion de nombre d’associations prétendument « militantes », à qui cette collaboration permet de renouveler les subventions qui font vivre leurs dirigeants.



« Quatre ministres ont signé le 5 mars 2014 une instruction du gouvernement fixant la procédure à suivre pour les collectivités locales candidates volontaires à cette expérimentation prévue par la "loi Brottes" du 15 avril 2013 mettant notamment en place les tarifs sociaux de l’énergie, débute l’AFP.



« L’expérimentation propose aux collectivités d’agir sur les tarifs de l’eau et/ou de l’assainissement afin de permettre à tous d’accéder à l’eau, notamment par la mise en place d’une tarification sociale. »

Confusion délibérée et savamment orchestrée entre :

 l’accès au service, qui est un droit « créance » garanti à toute personne occupant un logement, puisque toute collectivité est dans l’obligation de la faire bénéficier du service public de l’eau potable, et donc très concrètement de la raccorder aux infrastructures de distribution d’eau,

 la tarification de ce service, qui est une prérogative de la collectivité, qui fera son affaire d’éventuels défauts de paiement,

 et l’hypothèse de conférer une dimension « sociale » à cette tarification, ce qui, pour le coup, est une vue de l’esprit dans le cadre actuel de la réglementation, et ne vise qu’à conférer un alibi social aux pratiques prédatrices des multinationales françaises de l’eau, qui pilotent depuis dix ans cette gigantesque opération d’enfumage, avec le soutien intéressé d’élus qui pensent se refaire une virginité après avoir tout cédé depuis un demi-siècle au Cartel de l’eau, et de représentants auto-proclamés d’associations prétendument issus de la société civile, qui n’ont d’autres fonctions que de permettre à leurs dirigeants de vivre des subventions qui leur sont allouées à proportion de leur servilité, considérable.

« Les volontaires devront déposer leur candidature auprès du préfet de leur département avant le 31 décembre 2014. "Cette expérimentation pourrait permettre de réduire de 20% environ le coût de l’eau essentielle pour les foyers" indiquent les ministres. L’expérience s’étalera sur une période de cinq ans à l’issue de laquelle les retours d’expérience seront communiqués au Comité national de l’eau. Les solutions les "plus pertinentes, cohérentes et efficaces, pourront, en opportunité, être généralisées à l’ensemble du territoire" poursuit le gouvernement. » 



« L’eau essentielle ! » Foutage de gueule caractérisé. Pendant des lustres le cartel nous a abusé en prétendant produire des statistiques sur le prix de l’eau, manipulées en abusant jusqu’à plus soif d’une prétendue consommation standard annuelle par foyer de 120 m3, qui était parfaitement fausse.

Là ça recommence avec une prétendue « eau essentielle », chiffrée à 75m3 par foyer et par an, qui ne représente rien non plus, mais qui constitue un seuil qui va pénaliser financièrement les familles nombreuses grosses consommatrices. C’est beau le « social essentiel » !

Les retours d’expérience communiqués au Comité national de l’eau, là on peut déjà prédire la suite, en rappelant pour commencer que ledit CNE est présidé depuis la fin 2012 par le député (PS) du Lot Jean Launay, qui préside dans le même temps, pas gêné, le Cercle français de l’eau, l’officine de lobbying de Veolia et Suez, ce qui est constitutif d’une situation de trafic d’influence. Même la droite n’avait jamais osé, Jean Launay l’a fait, et persiste.

Dans une séance « historique » le 18 décembre 2013 les lobbies qui dirigent le Comité national de l’eau ont voté des délibérations piétinant toutes les attentes, réelles, de la société civile, dont sa participation élargie aux instances de la gestion de l’eau.

Jean-Luc Touly, Conseiller régional d’Ile-de-France, a déposé le 17 février un recours en annulation de cette délibération devant le Tribunal administratif de Paris.

Alors imaginer voir le CNE promouvoir une quelconque politique sociale, autant confier à la Manif pour tous la défense de la laïcité !

« Le budget consacré à l’eau représente environ 1% du revenu des ménages. Cependant, pour certains ménages en situation de précarité, cette dépense peut représenter 3% du revenu ou plus, et accentuer les difficultés économiques. Ces disparités s’expliquent par des inégalités de revenus, mais également par des différences de situations d’exploitation des services. La qualité des ressources en eau et des infrastructures de traitement n’est pas la même sur l’ensemble du territoire. »

Et voilà l’explication ultime du camouflage : prétendre que les pratiques prédatrices de la délégation de service public renvoient à des inégalités « naturelles » : genre la noblesse et le tiers état, catégories éminemment naturelles avant 1789…

« Ce projet vise donc à lutter contre la précarité extrême, et peut ainsi être rapproché de l’initiative citoyenne européenne "Right2Water" visant à faire reconnaître le droit à l’eau au niveau européen, afin de garantir à tous l’accès aux ressources vitales. »

Là j’adore, et vlan dans les dents des neuneus qui nous les cassent depuis des années avec leurs « initiatives citoyennes » à la con, dont on voit ici sans équivoque aucune qu’elles complètent admirablement les menées anti- sociales de l’ennemi. Et quant à ceux qui imaginent qu’une audience à Bruxelles, accordée par les ennemis du genre humain, va faire progresser d’un centimètre le social dans l’Union, là, la seule issue c’est le cabanon !

Aussi nous réjouissons-nous fortement de l’analyse voisine de notre camarade Jean-Louis Linossier, de l’ACER et de la CACE, pas plus dupe que nous de l’arnaque :

« Tel que présenté dans cette dépêche, cette expérimentation « d’un tarif social de l’eau » ne ressemble à rien. A rien, puisque rien n’est proposé aux collectivités volontaires, quant à ce qu’elles devront expérimenter comme procédure. Se référer au tarif de l’énergie de la loi Bottes est déjà une absurdité puisque plus de la moitié des usagers du service public de l’eau ne reçoivent pas de facture d’eau individuelle parce qu’ils sont, soit propriétaires ou locataires en logements collectifs, alors que pour l’énergie tous les usagers reçoivent une facture individuelle et peuvent donc être identifiés quelle que soit leur mode de logement et, pour certains, bénéficier d’un tarif adapté, ce qui n’est pas le cas pour les usagers de l’eau.

Rappelons aussi que moins de 0.5 % des factures d’eau font l’objet d’une procédure en recouvrement et que pour la majorité d’entre elles, elles ne concernent pas des précaires mais de mauvais payeurs.

Rappelons également que des aides sont déjà en place via les Fonds départementaux de Fonds de solidarité eau associés ou non à des fonds de solidarité logement qui permettent de sélectionner les vrais précaires via les service sociaux habilités.

Autre question fondamentale : pourquoi faire peser la solidarité eau, associée à la précarité de certains usagers, sur tous les usagers de l’eau, alors que c’est une mission régalienne de l’état ?

Le « tarif social » est donc une absurdité puisque inapplicable en tant que tel, notamment aux usagers des immeubles collectifs non SRU pour l’individualisation des contrats associés aux compteurs.

Pour que tout puisse éventuellement entrer dans le champ du possible, il faudrait au minimum supprimer les abonnements des tarifications puisqu’ils induisent mathématiquement une dégressivité qui fait payer la facture des gros consommateurs par les petits qui économisent, dont pas mal de précaires. Ces malheureux ne se rendant pas compte qu’au plus ils économisent, au plus ils paient cher leur m3 consommé. La tarification sociale est donc une foutaise si le social est bâti sur le tarif et la facture. »

Les données sur les pratiques actuelles en cas d’impayés : coupures et « lentillages » figurent dans la plupart des rapports annuels sur le prix et la qualité du service (Barnier) et dans les rapports techniques et financiers des délégataires.

Y figurent aussi les données sur les abandons de créances des collectivités en nombre et en valeur via des conventions « solidarité eau » ainsi que les conditions de prise en compte de la facture des gens en situation difficile et le maintien de leur alimentation en eau.

Ces conventions sont :

• Nationale du 28 avril 2000 entre la FNCCR, l’AMF, et le Syndicat professionnel des entreprises d’eau et d’assainissement.

• Départementales entre l’Etat, le Département, les distributeurs d’eau délégataires des service d’eau potable et d’assainissement.

Ces conventions prévoient :

• l’examen par la commission du Fonds de Solidarité Logement des demandes pour lesquelles pourra être décidé une prise en charge partielle ou totale de la facture

• l’information par le distributeur en direction des usagers sur leurs droits

• pour instruire leur demande d’aide
• le maintien de la fourniture d’eau jusqu’à la notification de la décision de la commission

• les contributions de chacun des signataires à l’alimentation des Fonds.

Les aides issues de ces conventions n’étant pas accrochées à la facture et donc au tarif permettent de toucher tous les usagers en pavillon ou en collectif, qu’ils soient propriétaires ou locataires, alors que les « tarifs sociaux » liés à la facture par définition ne touchent que les abonnés directs

Le Grand Lyon s’est associé au Fonds Départemental sur la base des contributions suivantes :

• VEOLIA 261 913 €

• Lyonnaise Suez 28 380 €

• SAUR 5 941 €

• COURLY assainissement 35 000 €

• Département 48 159 €

• Total 379 393 €

Ce Fonds départemental a traité 2127 dossiers en 2012 pour un montant de 374 870 €.

Malgré cela, au Grand Lyon, en 2012 ont été pratiqués 750 coupures franches et plus de 2000 lentillages pour 260 000 abonnés et 1.3 millions d’habitants. 1/3 des abonnés payent sous 48 heures et la moitié sous 8 jours.

D’après le Grand Lyon les coupures « sont des actions ciblées, toujours accompagnées de procédures judiciaires au terme d’un processus de recouvrement n’ayant pas permis de trouver une solution amiable ». Ces données peuvent donc être obtenues. Il faut en exiger communication lorsque ce n’est pas le cas. Ne confondons pas les « mauvais payeurs » avec les précaires à aider puisque les coupures d’eau interviennent, pour eux, après une décision de justice et que la facture est alors réglée sous huitaine dans 50 % des cas. Squatters et ROM relèvent de l’Etat régalien. De l’eau potable est disponible dans les cimetières et souvent aux bornes d’incendie, même si c’est interdit, c’est largement toléré."

Ajouter aussi, ce qui est depuis le début au fondement de la manœuvre, que si par malheur des milliers de collectivités se précipitent dans la brèche et « expérimentent » leurs tarifs prétendument « sociaux » et « progressifs », chacune bricolant dans son coin sa propre grille tarifaire, avec force « litres gratuits » et autres colifichets démagogiques, il sera devenu absolument impossible de comparer le prix de l’eau de Trifouillis les Oies au prix de l’eau à Trifouillis les Caves, au plus grand profit de Veolia, Suez et Saur.

Bravo les adorateurs du « droit à l’eau » et du « tarif social » ! Jamais le prétendu « mouvement citoyen » n’aura aussi servilement relayé les intérêts du cartel de l’eau.

Lire aussi :

Tarif social de l’eau et municipales

Gérard Borvon, S-EAU-S, 26 février 2014.

Marc Laimé - eauxglacees.com