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Inondations : le naufrage de la GEMAPI
15 février 2014
par
- eauxglacees.comLes apprentis sorciers qui voulaient faire main basse sur des pans entiers du grand cycle de l’eau, après avoir convaincu à la hussarde le gouvernement de transférer au bloc communal, qui n’avait rien demandé, la « prévention des inondations » et la « gestion des milieux aquatiques », se retrouvent aujourd’hui dans la nasse, sur fond d’inondations dévastatrices et de submersions marines sans précédent, qui contraignent Philippe Martin à faire le tour de France en hélicoptère en 48 heures, histoire de mesurer l’ampleur des dégâts, de constater l’impuissance des services de l’Etat, et la colère des élus, submergés par la fureur de leurs administrés… Pour tout arranger, la FNSEA a mobilisé les agriculteurs sur les deux tiers du territoire français le vendredi 14 février, réclamant le droit "d’entretenir les fossés et les cours d’eau"... La prochaine réunion exceptionnelle du CNE le 27 février prochain s’annonce grandiose
Du coup panique à bord, annonces à la volée de l’activation du dispositif CAT-NAT, pillage en vue du Fonds Barnier, déjà en voie d’asec, activisme renouvelé du lobby des assurances qui s’agitaient en coulisses depuis les débuts de notre ténébreuse affaire, grande discrétion de Suez-Lyonnaise qui se voyait déjà rafler des milliards d’euros pour gérer le « grand cycle », revirement brutal d’associations d’élus qui comprennent enfin qu’ils se sont faits pigeonner depuis le début, baston renouvelé entre EPAGE et EPTB, les premiers ayant bel et bien fait obstacle avec succès au hold-up des seconds à la faveur d’un blietzkrieg parlementaire conduit avec une détermination digne d’éloges, et pour couronner le tout convocation extraordinaire du CNE le 27 février, aux fins d’y faire valider une Stratégie nationale dont chacun sait qu’elle est inapplicable, faute de moyens, techniques, humains et financiers, puisque les services de l’Etat, déjà massacrés par la RGPP vont poursuivre leur agonie avec la MAP. Ceci avant la rédaction des innombrables décrets, arrêtés et circulaires que la DEB va devoir pondre pour « harmoniser » la mise en œuvre de la Stratégie nationale, de la loi Collombat-Négre et de notre fameuse GEMAPI, mort née…
Un très brillant résultat dont on attend qu’il s’améliore encore après les premières annonces de création de « l’aquataxe », surtout sous l’angle de la pendaison aux réverbères, coiffés d’un bonnet rouge, tant qu’à faire, des imprudents qui s’amuseraient à annoncer, même pour rire, à leurs administrés qu’après avoir été totalement impuissants à les mettre à l’abri d’inondations catastrophiques, ils vont les taxer de 40 euros par an pour réparer les dégâts provoqués, non par le réchauffement climatique, mais l’accumulation d’un demi-siècle de conneries sans nom : d’abord des politiques agricoles démentes, ensuite un « aménagement du territoire » qui l’est tout autant : bétonnage à l’aveugle, urbanisme charognard, construction en zone inondable, "canalisation" des rivières, liquidation des zones humides et bradage des zones d’expansion des crues, etc, etc. Et il s’est donc trouvé de très brillants stratèges, les phoenix de la politique de l’eau française, pour convaincre l’Etat de s’en laver les mains et de refiler le bébé aux communes !
Juste au moment où le "gel des normes", la "simplification de la vie des entreprises" et autres hochets dont l’usage immodéré va achever de "kärcheriser" ce qui subsiste du droit de l’environnement, vont d’évidence nous projeter vers l’avenir radieux du développement durable, sous la houlette de M. Parisé, dont les titres éminents en la matière ont hélas échappé aux observateurs.
Etonnement, on n’a pas entendu l’actuelle maire de Morlaix, pas plus que le maire de Quimperlé évoquer, même à voix basse, notre admirable GEMAPI, qui allait les faire émerger des tourbillons furieux dans lesquels ils menacent se noyer trois fois par semaine, vous avez dit bizarre ?
Revue de détail.
La « Loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles », dont le projet avait été présenté par le gouvernement en avril 2013 et qui a subi un « long processus de modification de la part du législateur » (dixit « Eau dans la ville » que l’on sent un peu désolée de la contre-attaque victorieuse des EPAGE…), a été validée par le Conseil constitutionnel, qui l’a déclarée conforme à la Constitution. Le texte a été publié au journal officiel du 28 janvier 2014.
GEMAPI, EPAGE et EPTB…
L’article 56 de la loi modifie l’article L211-7 du Code de l’environnement qui sera opérationnel à partir du 1er janvier 2016, crée une nouvelle compétence – obligatoire ! - des communes en matière de « gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations » (notre GEMAPI... )
Cette compétence peut éventuellement être transférée à un établissement intercommunal à fiscalité propre (EPCI), soit une communauté de communes ou d’agglomération, qui assurera les missions qui y sont attachées au plus tard à partir du 1er janvier 2018.
Article L211-7 du Code de l’environnement :
« I.- Les collectivités territoriales et leurs groupements, tels qu’ils sont définis au deuxième alinéa de l’article L. 5111-1 du code général des collectivités territoriales, ainsi que les établissements publics territoriaux de bassin prévus à l’article L. 213-12 du présent code peuvent, sous réserve de la compétence attribuée aux communes par le I bis du présent article, mettre en œuvre les articles L. 151-36 à L. 151-40 du code rural et de la pêche maritime pour entreprendre l’étude, l’exécution et l’exploitation de tous travaux, actions, ouvrages ou installations présentant un caractère d’intérêt général ou d’urgence, dans le cadre du schéma d’aménagement et de gestion des eaux, s’il existe, et visant :
1° L’aménagement d’un bassin ou d’une fraction de bassin hydrographique ;
2° L’entretien et l’aménagement d’un cours d’eau, canal, lac ou plan d’eau, y compris les accès à ce cours d’eau, à ce canal, à ce lac ou à ce plan d’eau ;
3° L’approvisionnement en eau ;
4° La maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement ou la lutte contre l’érosion des sols ;
5° La défense contre les inondations et contre la mer ;
6° La lutte contre la pollution ;
7° La protection et la conservation des eaux superficielles et souterraines ;
8° La protection et la restauration des sites, des écosystèmes aquatiques et des zones humides ainsi que des formations boisées riveraines ;
(Là c’est pour Suez-Lyonnaise et les espoirs de développement du « génie écologique », nouveau levier de croissance développé grâce à force études financées par l’argent public de l’ONEMA (dans des conditions scandaleuses de totale violation du Code des marchés publics), avec le bienveillant soutien de l’ASTEE, de l’AGEIF, de l’Académie de l’eau, et la bénédiction officielle de leurs honorables correspondants de la Direction de l’eau du ministère de l’Ecologie, le tout avec l’espoir de créer un marché évalué à 3 milliards d’euros en 2020, merci le Boston Consulting Group, jamais très loin quand une quelconque « madofferie » se prépare).
9° Les aménagements hydrauliques concourant à la sécurité civile ;
10° L’exploitation, l’entretien et l’aménagement d’ouvrages hydrauliques existants ;
11° La mise en place et l’exploitation de dispositifs de surveillance de la ressource en eau et des milieux aquatiques ;
12° L’animation et la concertation dans le domaine de la gestion et de la protection de la ressource en eau et des milieux aquatiques dans un sous-bassin ou un groupement de sous-bassins, ou dans un système aquifère, correspondant à une unité hydrographique.
(…)
I bis.- Les communes sont compétentes en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations. Cette compétence comprend les missions définies aux 1°, 2°, 5° et 8° du I. A cet effet, elles peuvent recourir à la procédure prévue au même I. »
(…)L’Aquataxe
Comme il n’était pas possible de puiser dans les poches profondes des Agences de l’eau au delà du raisonnable, sachant que la côte d’alerte est déjà dépassée, que l’idée initiale de taxer « au mètre linéaire » tous les riverains d’un fleuve ou d’une rivière, voire d’un ruisseau, propriétaires d’une quelconque parcelle avait fait grimper aux rideaux la FNSEA et nos amis des moulins, qui avaient déjà sorti les fourches, l’inventivité « taxophile » de nos amis étant aussi inépuisable que leur avidité, c’est évidemment vers la populace potentiellement victime d’inondation qu’allait ensuite se tourner leur sollicitude…
L’assiette de la taxe destinée à financer la « gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations » concerne dès lors toutes les personnes physiques ou morales assujetties aux taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties, à la taxe d’habitation et à la cotisation foncière des entreprises, proportionnellement aux recettes que chacune de ces taxes a procurées l’année précédente à la commune ou aux communes membres de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre. La taxe peut être instituée et perçue par un EPCI ayant reçu transfert de compétence au titre de le ladite compétence.
Cette nouvelle taxe est plafonnée à un montant de 40 € par habitant et par an.
Art. L. 211-7-2 du Code de l’environnement :
« Les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre substitués à leurs communes membres pour l’exercice de la compétence en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations prévue au I bis de l’article L. 211-7 du présent code peuvent instituer, en vue du financement d’une ou plusieurs des missions mentionnées au I du même article, à l’exception des missions mentionnées aux 3° et 6° du même I et dans les conditions prévues à l’article 1379 du code général des impôts, la taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations.
« L’objet de cette taxe est le financement des travaux de toute nature permettant de réduire les risques d’inondation et les dommages causés aux personnes et aux biens.
« Dans les conditions prévues à l’article L. 113-4 du code des assurances, le montant des primes d’assurances contre le risque inondation et celui des franchises tiennent compte, à due proportion, de la réduction des risques qui résulte des actions de prévention. »
EPAGE vs EPTB
Toute l’affaire (géniale comme on le voit), a initialement été montée par le gang des EPTB (vivement encouragés par nos amis des assurances - via l’OCDE -, et de Suez-Lyonnaise), avant qu’il ne se fasse dépouiller par surprise en deuxième lecture au Sénat, au profit des EPAGE, vainqueurs par KO, qui n’entendaient pas se faire manger la laine sur le dos…
L’article L213-12 du Code de l’environnement donne désormais une définition juridique des établissements publics territoriaux de bassins (EPTB) et des établissements publics d’aménagement et de gestion de l’eau (EPAGE).
« Un établissement public territorial de bassin est un groupement de collectivités territoriales constitué en vue de faciliter, à l’échelle d’un bassin ou d’un groupement de sous-bassins hydrographiques, la prévention des inondations et la défense contre la mer, la gestion équilibrée de la ressource en eau, ainsi que la préservation et la gestion des zones humides et de contribuer, s’il y a lieu, à l’élaboration et au suivi du schéma d’aménagement et de gestion des eaux. Il assure la cohérence de l’activité de maîtrise d’ouvrage des établissements publics d’aménagement et de gestion de l’eau. Son action s’inscrit dans les principes de solidarité territoriale, notamment envers les zones d’expansion des crues, qui fondent la gestion des risques d’inondation.
Un établissement public d’aménagement et de gestion de l’eau est un groupement de collectivités territoriales à l’échelle d’un bassin versant d’un fleuve côtier sujet à des inondations récurrentes ou d’un sous-bassin hydrographique d’un grand fleuve en vue d’assurer, à ce niveau, la prévention des inondations et des submersions ainsi que la gestion des cours d’eau non domaniaux. Cet établissement comprend notamment les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre compétents en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations en application du I bis de l’article L. 211-7 du présent code. Son action s’inscrit dans les principes de solidarité territoriale, notamment envers les zones d’expansion des crues, qui fondent la gestion des risques d’inondation. »
La GEMAPI en état de coma dépassé
En matière de « clarification », on a rarement fait pire !
Comme le souligne très justement « Eau dans la ville » : « L’usage associé des termes de « gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations » ne doit toutefois pas tromper le lecteur puisqu’il ne s’agit pas de se substituer à l’obligation d’entretien des cours d’eau qui reste de la responsabilité des riverains. »
Si lesdits riverains, futurs assujettis à l’Aquataxe, doivent par ailleurs continuer à entretenir les cours d’eau, à quoi sert tout ce bordel ?
Ensuite, les communes se voient certes coller, sans avoir rien demandé, la nouvelle compétence obligatoire GEMAPI…
Comme elles sont contraintes de transférer ladite compétence aux EPCI, qui créeraient eux-mêmes des EPAGE, qui seraient « supervisés » par des EPTB, il est évident que la plaisanterie va s’arrêter là.
Et qu’aucune commune ne va accepter de voir l’EPCI auquel elle appartient créer la moindre « Aquataxe », de peur de voir ses administrés venir incendier la mairie, ce qui les réchaufferait entre deux inondations…
Quant à la « création d’un fonds pour la réparation des dommages » causés aux biens des collectivités territoriales et de leurs groupements par les calamités publiques qui, quoique d’un objet très large, devrait permettre d’apporter une aide supplémentaire aux communes les plus vulnérables ou les plus touchées, la perspective a tout… d’un puits sans fond.
En effet, ce fonds vise à la réparation des dommages causés à « certains biens des collectivités et de leurs groupements par des événements climatiques ou géologiques de très grande intensité affectant un grand nombre de communes ou d’une intensité très élevée lorsque le montant de ces dommages est supérieur à six millions d’euros hors taxes. »
Comme le texte ne précise pas comment est alimenté ce fonds, on suivra avec intérêt les efforts des rédacteurs du décret qui va créer un fonds dont on ne sait pas comment il va être alimenté.
Last but nos least, notre loi prévoit aussi que, dans dix ans, l’Etat transmettra les ouvrages dont il a aujourd’hui la responsabilité... aux communes !
50 000 kilomètres de digues en piteux état. Un chantier pharaonique.
Jacques Pélissard faisait justement remarquer à l’occasion des débats parlementaires sur la GEMAPI que le gap entre les fonds aujourd’hui mobilisables, évalués à 3 milliards d’euros, et les besoins évalués par le CETRI (dix milliards), nous conduisait droit à la catastrophe.
L’Etat continuera pour sa part, lorsqu’il gérait des digues à la date d’entrée en vigueur de la loi, d’assurer cette gestion pour le compte de la commune ou de l’EPCI compétent pendant une durée de dix ans.
La compétence Gemapi, en particulier le transfert des ouvrages de prévention des inondations et submersion, inquiète les élus par les responsabilités et les coûts qu’elle induit.
Les quatre associations départementales de maires de Bretagne (Finistère, Côtes d’Armor, Ille-et-Vilaine et Morbihan) ont tiré "la sonnette d’alarme sur l’absence de chiffrage de cette mesure", demandant dès à présent "une étude d’impact financier de la compétence Gemapi".
La capacité donnée aux collectivités d’instituer une taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (plafonnée à 40 euros par habitant et par an) ne peut être présentée pour l’AdCF comme une ressource nouvelle. Au moment où sont réduits de 210 millions d’euros les budgets des agences de l’eau et où les services d’eau et d’assainissement se voient assujettis à la majoration à 10% du taux de TVA, l’AdCF appelle à une véritable remise à plat de la gouvernance et du financement de la politique de l’eau dans toutes ses composantes.
La FNSEA s’en mêle
Et comme si ça ne suffisait pas, vendredi 14 mars 2013, les agriculteurs de la FNSEA se sont mobilisés dans les deux tiers des départements français pour réclamer le droit d’entretenir les fossés et les cours d’eau, meilleurs remparts, selon eux, pour éviter les inondations à répétition.
Près de 65 actions étaient programmées vendredi, pour la plupart dans l’Ouest, victime depuis près de trois mois de tempêtes et de pluies intenses. La mobilisation a revêtu plusieurs formes, dont un rendez-vous avec le Préfet. « On dénonce le fait que l’agriculteur a perdu ! la compétence de curer les cours d’eau, dénonce ainsi Damien Greffin, président de la FNSEA Ile-de-France. Aujourd’hui, nous continuons à le faire pour éviter que les champs soient inondés, mais on systématiquement pénalisés pour cela. »
Ce faisant il s’agit ici, on l’aura compris, mais cela va encore mieux en le disant, d’achever de carboniser la funeste "Aquataxe"...
"Jusqu’ici tout va mal..."
C’est aux brillants stratèges, VRP multi-casquettes, qui ont fomenté ce désastre qu’est impartie la gestion de l’eau en France.
Le changement, c’est quand ?
Lire aussi :
- Eau : le gouvernement crée une nouvelle taxe de 600 millions d’euros
Les eaux glacées du calcul égoïste, 13 novembre 2013
- eauxglacees.com