Retour au format normal
L’agonie de la Loue, victime de la DCE, par Jean-François Bonvallot
18 mars 2013
par
- eauxglacees.comAprès la publication d’une première alerte sur la dégradation accélérée d’une rivière jurassienne, son auteur revient sur les motifs de ce désastre, qui trouve pour partie sa source dans une instrumentalisation délibérée de la fameuse « Directive cadre européenne sur l’eau », et se poursuit dans l’indifférence générale.
« Depuis une grand-messe dénommée "Assises de la Loue", organisée le 11 octobre 2012 à Ornans, et rassemblant un aréopage de « sachants », ne sachant pas trop quoi faire, la rivière se dégrade exponentiellement.
Malgré une période pluvieuse génératrice de hautes eaux continues, les truites s’accumulent sur les grilles des moulins -, à raison d’une par jour en moyenne et d’une dizaine de moulins...-, moribondes ou mortes.
On peut taxer les gouvernants successifs d’impéritie sans aucune espèce de précaution.
Depuis la fin de la seconde Guerre mondiale, la population du bassin de la rivière a été multipliée par deux et la consommation de chaque habitant par trois.
Les sociétés fermières et les maîtres d’ouvrage, soucieux de se faire bien voir des impérialistes du traitement de l’Eau ont aussi, il fut un temps, contraint les éleveurs de bovins à supprimer les citernes et à se raccorder aux réseaux publics de distribution.
Ainsi les besoins en eau depuis les années 50 ont-ils été multipliés par 7 à 8 !
Il faut bien prendre l’eau quelque part et des décisionnaires se sont orientés vers une ressource semblant inépuisable et de qualité supérieure : la Loue.
Il est vrai qu’à cette époque, cette rivière était la référence internationale pour la pêche à la mouche sèche.
Il y a même des Suisses, si, si !, qui sont venus habiter en France pour pouvoir exercer l’Art halieutique sur cette rivière.
Ces quantités d’eaux prélevées dans la rivière ou ses nappes adjacentes, peu puissantes dans ces terrains calcaires où les alluvions sont rares, représentent très peu d’eau si on considère la moyenne annuelle des volumes écoulés et prélevés. Mais aux étiages, spectaculaires en zones karstiques, il n’en est pas de même.
Bien entendu une grande partie de l’eau prélevée propre sur la rivière ou ses nappes, y retourne après avoir été "u-tili-sée".
Des stations d’épuration ont été installées par les grands groupes traiteurs d’eau, affichant des performances qui n’ont pas évolué depuis les années 60.
L’Arrêté de juin 2007, pris en application de la Directive cadre européenne sur l’Eau, permet aux communes de rejeter des eaux quasiment non traitées en toute légalité : aucun traitement de l’azote n’est exigé, aucun traitement du phosphore non plus, un traitement du carbone très laxiste : 60% de rendement exigé et un traitement des particules assez ridicule (c’est très facile à faire) de 50%.
Il est avéré que l’Etat français a promulgué ce texte pour se placer en limite très basse de la réglementation européenne, et pour se mettre à l’abri de la vindicte bruxelloise, mais sous entendu : "J’ai fait ce que tu demandes, maintenant fiche-moi la paix ! ".
L’esprit européen dans cette affaire visait à protéger les rivières, l’application en droit français les détruit !
Cet arrêté de 2007 s’applique avec des contraintes identiques pour une petite commune en bord de Seine (à l’aval de Paris) que pour une commune de la haute vallée de la Loue !
Dans cette optique, les stations dites d’épuration par lits de sable plantés de roseaux s’avèrent une catastrophe pour les rivières.
L’absence de station est moins nocive pour les rivières à truites que ces ouvrages dont les performances exigées sont moindres que celles consistant à déverser ses eaux usées dans son jardin , et en permanence.
Cependant, ce type d’ouvrage est promu par le Cemagref (aujourd’hui Irstea, note EG), comme d’ailleurs ce même établissement, plus ou moins public, avait promu un type de stations de traitement de lisiers de porcs, avec les résultats qu’on peut voir aujourd’hui sur les plages bretonnes et des milliers d’euros de dépenses imposés aux éleveurs.
La quantité de stations d’épuration édifiées pour respecter une loi qui les détruit a fait qu’aujourd’hui, la rivière a un, voire deux genoux à terre.
La quantité d’eaux d’épuration dans la rivière dépasse 10% aux étiages en hiver : gel, et en été : sécheresse.
Les normes de rejet étant laxistes et la qualité de ceux-ci très peu contrôlées, de plus par un SATESE en difficulté, dépendant du Conseil général qui subventionne lesdits ouvrages (comment peut -on financer et contrôler ensuite ce qu’on a financé : juge et partie !) la rivière est touchée :
– par un excès d’éléments nutritifs : azote phosphore, potassium ;
– par une diminution des volumes d’eau ;
– par une pollution notoire par des micropolluants organiques (médicaments, pesticides, autres ....) qui traversent les stations actuelles, y compris les plus performantes installées à ce jour sans traitement dédié.
Ainsi, dans les zones supérieures des rivières peuplées d’espèces d’invertébrés assez, voire très, « polluo-sensibles », cette pollution insidieuse, qui s’accentue d’année en année, a fait disparaître la plupart des individus.
De ce fait, les poissons qui résistent un peu mieux certes, n’ont plus de proies à consommer, du moins doivent-ils se rabattre sur celles qui restent, plus solides, moins sensibles : les ubiquistes ; mais en consommant ces proies, les poissons s’empoisonnent et la quantité de nourriture disponible est, de toutes façons, drastiquement réduite. Phénomène typique d’empoisonnement de la chaîne trophique.
Au printemps, à la sortie de l’étiage d’hiver, les poissons qui ont survécu sont atteints de toutes les maladies possibles des poissons, en particulier la saproleignose (mousse) qui décime toutes les espèces. Ainsi, l’abaissement de la productivité pisciaire de la rivière est notable : elle a été divisée par 50 en 50 ans.
A ce phénomène, on pourra ajouter les oestrogènes déversés par les stations d’épuration et les lisiers et purins de bovins.
Une vache laitière rejette une quantité d’oestrogènes très supérieure à un être humain. Ces perturbateurs endocriniens s’ajoutent à un cocktail de molécules médicamenteuses ( + de 30 000 molécules déterminées par nos voisins suisses) aux actions souvent antagonistes : insuffisance cardiaque et tachycardie, colique et constipation, etc., bref, en plus de ne rien avoir à manger de correct, les poissons ne se reproduisent plus.
Ce n’est pas très grave, car dans une vingtaine d’années il n’y aura plus d’eau dans cette rivière, autre que de l’eau rejetée par des stations de traitement ineptes, imposées par un Etat dont les préoccupations environnementales sont le cadet des soucis.
Lire aussi :
Un enterrement à Ornans : celui de la Loue
Gérard Borvon, S-Eau-S, 26 juin 2010.
Contact :
Jean François Bonvallot
bonvallot25@wanadoo.fr
- eauxglacees.com