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Directive cadre européenne sur l’eau : les défaillances du rapportage français à l’Europe

5 mars 2013

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Depuis sa transcription en droit français en 2004, la Directive-cadre- européenne sur l’eau (DCE), détermine l’orientation des politiques publiques dans le domaine de l’eau et de l’assainissement.
Elle engageait la France, sous peine de sanctions financières, à « recouvrer un bon état écologique et chimique de toutes les masses d’eau » à l’horizon 2015. Sa mise en œuvre mobilise des milliards d’euros, prélevés à hauteur de plus de 80% sur la facture d’eau de 67 millions de français. Mais les objectifs assignés par la DCE ne seront pas atteints en 2015, ils ont été repoussés à 2021, voire à 2027. Et ces reports vont devoir être justifiés. Or un Rapport publié le 14 novembre 2012 par la Commission européenne, qui analyse les plans de gestion et les programmes de mesures DCE mis en œuvre par la France met en lumière de graves carences, notamment pour ce qui relève des données censées rendre compte de ces programmes. Un nouvel éclairage qui ravive, après le scandale de l’Onema, l’engagement de la ministre de l’Ecologie d’engager un audit de l’ensemble du dispositif français de production de données publiques sur l’eau.



L’affaire est d’importance, eu égard aux polémiques récurrentes sur la fiabilité des données publiques sur l’eau, violemment ravivées, à juste titre, par le scandale de l’Onema.

Rappelons tout d’abord que l’argument selon lequel les « performances » françaises seraient à tout prendre équivalentes à celles des autres états-membres ne tient pas.

Car la France a joué, et continue à jouer, un rôle prééminent dans l’élaboration de l’architecture de la DCE, tant sur un plan scientifique qu’en matière de normes, de protocoles et d’architecture logicielle.

En 2004, ce sont en effet deux organismes français, l’Office international de l’eau (OIEau), et l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS), qui sont choisis pour apporter pendant trois ans (2005-2008) une assistance technique à l’unité Eau de la DG Environnement de l’Union européenne. Mission qui doit conduire à une révision de la liste des « substances prioritaires » de la Directive-Cadre sur l’eau (DCE). En 2007, l’OIEau a ainsi été chargé de collecter les données récentes sur les concentrations dans l’eau de toutes les substances chimiques potentiellement dangereuses, disponibles dans les 27 Etats-membres de l’Union européenne. Ces données permettent de sélectionner les substances qu’il est urgent d’inscrire sur une liste de substances à traiter en priorité pour assurer la protection des eaux et des usagers. Dans ce but l’OIEau a développé un outil électronique de collecte « garantissant la qualité de la donnée », qui a été fourni aux Etats-membres. Cette collecte « permettra d’appuyer la Commission européenne dans ses discussions avec le Parlement pour la deuxième lecture de la proposition de Directive fille « substances prioritaires. » Dans le courant de l’été 2008, l’OIEau et l’INERIS, verront renouveler pour une seconde période de 3 ans (2009-2011) cette mission d’assistance technique. L’OIEau a ainsi déjà réalisé une première collecte de données de suivi des substances dangereuses dans les milieux, en rassemblant près de 6 millions d’analyses officielles sur les substances chimiques, ou « potentiellement problématiques », trouvées dans l’eau des différents bassins européens entre 2000 et 2006. La base de données qui a été créée couvre 26 pays, dont 24 états-membres, et concerne près de 900 substances. Elle est conçue de manière à ce que chaque analyse puisse être localisée sur une carte par la position du point de mesure. La collecte doit se poursuivre dans les prochaines années pour « permettre d’adapter la liste aux évolutions constatées dans les milieux ». Cette base préfigure aussi ce qui sera inclus dans le système d’information européen WISE.

La France devrait donc être particulièrement performante en la matière.

Ceci d’autant plus qu’elle a aussi particulièrement veillé à ce que les « contraintes » imposées par la DCE, et si souvent évoquées pour justifier de financements colossaux… n’en sont pas vraiment.

En la matière on ne saurait parler de « trous dans la raquette », puisque la DCE s’avère être une véritable passoire !

Quand bien même certains de nos amis écologistes le répètent à l’envi, les réalités réglementaires, européennes et nationales (Arrêté du 25 janvier 2010) le révèlent impitoyablement.

Les « règles » de la DCE, et leur transcription en droit français, s’agissant du contrôle de la qualité des eaux, témoignent avant tout d’un laxisme confondant…

Ainsi n’existe-t-il pas, il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais 72 paramètres exigibles sur chacune des 11 000 masses d’eau françaises !

Car les décideurs européens et français à l’origine de la DCE, ô combien sensibles aux deux grands principes de réalité que sont les moyens financiers et les moyens techniques, par ailleurs intimement convaincus dans leur grande sagesse qu’il ne faut surtout pas désespérer… les industriels et les agriculteurs, se sont accordés sur le principe de la mise en place de réseaux de surveillance à minima…

Soit des réseaux de surveillance "à étages", sur la base de stations « représentatives » de l’état des eaux, sur le principe d’un « échantillonnage statistique » conçu selon des critères aussi variés que les « hydro-écorégions », les pressions de pollution, la taille et le débit des cours d’eau... et surtout une fréquence d’échantillonnage obligatoire qui n’excède pas UNE fois par cycle de la DCE, tous les 6 ans, et, cette année là...UNE fois tous les 2 mois… 


Pour les autres, la simulation à partir des pressions de pollution répertoriées pouvait suffire.

On imagine dès lors sans peine les malencontreux « biais statistiques » qui peuvent advenir quand la qualité d’une masse d’eau, soumise à une infinité de pollutions variables dans le temps, ne sera contrôlée… qu’une fois tous les deux mois, tous les six ans…

Situation regrettable, même le doublement des moyens financiers avec près de 50 millions d’euros consacrés à suivre des cours d’eau dont la qualité varie assez peu est insuffisant, il faudrait y consacrer plus de 150 millions d’euros pour le faire tous les mois, mais ce n’est pas le choix des décideurs européens ni des français et çà ne figure pas dans la loi…

On comprend dès lors pourquoi il est somme toute normal de ne pas retrouver des données sur chaque masse d’eau, cours d’eau, masse d’eau côtière, lac ou nappe souterraine...

Et cette situation ravive donc la question de la fiabilité des données existantes. Puisqu’il ne s’agit que d’un exercice statistique, à priori sophistiqué, et non d’un inventaire de la qualité de toutes les masses d’eau, l’usager est dès lors doublement en droit d’exiger que lui soient fournies des informations fiables sur l’ensemble du système de production de données publiques sur l’eau.

Or c’est exactement l’inverse qui prévaut : omerta et manque de transparence absolue ! Nul ne sait aujourd’hui, pas même les autorités de tutelle, et c’est là que gît le scandale, quelle est la cartographie précise de ce système.

Or les gabegies informatiques de l’Onema, en charge d’élaborer un nouveau Système d’information sur l’eau (SIEau), laissent à juste titre craindre le pire, à savoir que le SIEau n’est qu’un artefact illusoire, qui dissimule une perte de contrôle du système, aussi voulue que précipitée par un mouvement de gabegie systémique.

Le Rapport de la Commission qui pointe les insuffisances françaises

Or le Rapport publié le 14 novembre 2012 par la Commission européenne, qui analyse les plans de gestion et les programmes de mesures DCE, et rend compte de la situation française souligne nombre d’insuffisances :

 différences de traitement entre agences (protocoles de mesure) ;

 différences de seuils analytiques ;

 différences de choix et suivi des molécules...

et souligne des faiblesses majeures (extraits) :

(…)

 « L’élaboration des méthodes d’évaluation des éléments de qualité biologique dans le premier PGDH présente d’importantes lacunes. Les méthodes d’évaluation biologique pour les rivières sont nettement plus développées que celles relatives aux autres types de masses d’eau. En règle générale, les méthodes d’évaluation des éléments de qualité d’appui concernant les caractéristiques physico-chimiques et hydro-morphologiques ne sont que partiellement développées.

 Pour la majeure partie des DH français, l’évaluation de l’état chimique a été fondée sur l’annexe I de la directive 2008/105/CE établissant des normes de qualité environnementale (NQE), mais ce n’est pas le cas pour tous. Par ailleurs, différentes substances ont été utilisées dans différents plans (et pas la totalité des 41 substances de l’annexe I) pour l’évaluation de l’état chimique des masses d’eau. Pour ces raisons, les méthodes d’évaluation de l’état chimique sont floues et ne précisent pas quelles substances ont été utilisées ni les raisons pour lesquelles certaines substances spécifiques ont été choisies.

 Il existe un nombre relativement élevé d’exemptions en vertu de l’article 4, paragraphes 4 et 5, en raison de coûts disproportionnés, pour lesquels aucune justification claire n’a été fournie dans les PGDH.

 Les services liés à l’utilisation de l’eau ont été interprétés différemment dans les DH français. Certains DH appliquent une approche large, qui prend notamment en considération tous les captages, stockages, traitements, endiguements possibles. Dans d’autres DH, l’approche est plus restreinte et concerne le captage public et pour compte propre et le traitement des eaux usées pour tous les secteurs, ainsi que l’irrigation. Enfin, dans certains DH, l’approche est encore plus restrictive, et ne tient que compte que du captage et du traitement des eaux usées pour les ménages et l’industrie, ainsi que du captage à des fins agricoles.

(…)

Il existe toutefois des lacunes significatives dans l’élaboration de méthodes d’évaluation des éléments de qualité biologique dans ce premier PGDH, ce qui a des conséquences majeures au niveau des autres étapes du processus de planification, à savoir la définition d’objectifs pour les masses d’eau et la conception des mesures les plus appropriées. Toutes les catégories de masse d’eau ne sont pas couvertes de la même façon par les méthodes d’évaluation biologique. Actuellement, les connaissances sont sensiblement plus nombreuses pour les rivières que pour les autres catégories et, par conséquent, davantage de méthodes d’évaluation biologique ont été élaborées pour les rivières que pour les autres catégories. L’objectif est donc d’élaborer de nouvelles méthodes pour les éléments biologiques manquants, en particulier pour les lacs, les eaux de transition et les eaux côtières.
Les autorités françaises estiment que les méthodes élaborées jusqu’à présent sont aussi représentatives que possible de toutes les pressions importantes. Elles ont confirmé que les méthodes d’évaluation biologique étaient en cours d’approfondissement et d’amélioration, ce qui permettra de prendre en considération les résultats de l’exercice d’interétalonnage et de disposer de meilleures méthodes d’évaluation pour le prochain cycle.

De manière générale, l’évaluation des éléments de qualité d’appui concernant les caractéristiques physico-chimiques et hydromorphologiques n’a été que partiellement développée jusqu’ici.

Certains éléments physico-chimiques ont été évalués dans la plupart des DH français, comme la température de l’eau, le pH et la concentration en oxygène, ainsi que la transparence (uniquement pour les lacs). D’autres n’ont pas été pris en considération aux fins de l’évaluation, notamment la conductivité et la salinité. La concentration en nutriments a été évaluée dans la plupart des DH français.

Les éléments de qualité physico-chimique sont évalués sur la base de la méthode d’évaluation historique de la qualité de l’eau (Le Système d’évaluation de la qualité de l’eau (SEQ-Eau). Tous les seuils ont été définis pour les différents éléments influençant la biologie.

Pour ce qui est des éléments hydromorphologiques, la continuité fluviale, le régime hydrologique et les conditions morphologiques ne sont généralement pas évalués.

Dans les premiers PGDH, aucune norme n’a encore été établie pour les éléments de qualité hydromorphologiques et l’évaluation se base sur les informations disponibles sur les pressions hydromorphologiques.

Le principe du « one out all out » (paramètre déclassant) a été appliqué pour déduire l’état écologique global dans les PGDH français.

Tous les PGDH français indiquent le niveau de confiance afin d’exprimer l’incertitude concernant la classification de l’état écologique. Une évaluation de la confiance est fournie pour chaque catégorie de masse d’eau pour l’évaluation de l’état écologique, basée sur la disponibilité des données et leur cohérence avec les pressions importantes recensées. De nombreuses informations sont fournies sur la manière dont la confiance et la précision sont évaluées, et ces informations sont en règle générale données pour chaque EQB. Les PGDH indiquent aussi que les améliorations nécessaires pour réduire le niveau d’incertitude sont en cours.

(…)

Après l’adoption des PGDH, une méthode nationale pour évaluer la confiance dans la classification de l’état écologique et chimique a été introduite dans le droit applicable. Elle décrit trois niveaux de confiance : 3 (élevé), 2 (moyen), 1 (faible). Des détails sont fournis sur la manière dont les données dérivées du contrôle et de la modélisation en eau douce peuvent se voir attribuer un niveau de confiance particulier. En outre, deux méthodes décisionnelles sont expliquées, pour l’eau douce ainsi que pour les eaux de transition et côtières.

Il n’est pas possible de savoir clairement si les limites entre les classes nationales sont cohérentes avec les limites entre les classes interétalonnées de la phase 1 de l’exercice d’interétalonnage. D’après les informations transmises par les autorités françaises, les seuils établis dans l’arrêté de 2010 seraient cohérents avec ceux de la décision de la Commission sur l’interétalonnage.

Les PGDH ne contiennent aucune information sur la manière dont la variabilité spatiale a été prise en considération dans la classification de l’état écologique. Cette information est toutefois mentionnée dans l’arrêté de 2010 (article 13 et annexe 10).

(…)

Polluants spécifiques aux districts hydrographiques :

Pour ce premier PGDH, neuf substances ont été définies comme polluants spécifiques aux districts hydrographiques d’importance nationale et une substance d’importance locale (la chlordécone en Guadeloupe et en Martinique). La définition de ces substances a été déduite en dressant une hiérarchie des substances à surveiller conformément à la directive 76/464/CEE et des autres pesticides. D’après les informations fournies par les autorités françaises, la méthode utilisée pour la définition des réglementations sur la qualité environnementale pour ces polluants spécifiques est conforme à l’annexe V 1.2.6 de la DCE. Cette méthode ne figure toutefois pas dans les PGDH, car elle semble avoir été élaborée après leur adoption. Elle a été vérifiée par un groupe d’experts et soumise à une consultation publique entre le 4 et le 17 janvier 2010. DH Numéro CAS Substance Pourcentage de masses d’eau non conformes (%). »

Rapport sur la mise en oeuvre de la DCE - 14-11-2012.
Extraits manquements significatifs France.
Rapport France intégral

Un nouveau scénario tendanciel ?

En très provisoire conclusion, on se convaincra aisément que les choses ne vont pas s’arranger, à la lecture du Rapport intitulé "Retour d’expérience sur la construction du scénario tendanciel pour l’élaboration du Programme de mesures", signé par Mme Gabrielle Bouleau du Cemagref en 2011, dans le cadre d’une co-production avec l’Onema...

Retour sur le scénario tendanciel - Gabrielle Bouleau, Cemagref, 2011.

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Contrôles défaillants, parcelles agricoles inconnues, taille du cheptel non vérifiée… Chaque audit de la Commission européenne réserve son lot de surprises. La France n’est pas épargnée.

Euractiv, 28 février 2013

Marc Laimé - eauxglacees.com