Bruno Ducluzaux est hydrogéologue et vit près de Villefranche-sur-Saône, en plein cœur du Beaujolais. Il a progressivement mis à jour depuis plusieurs années l’invraisemblable cumul de pollutions d’origine industrielle et agricole qui menacent, tant les champs de captages proches du fleuve, que le fleuve lui-même, qui assurent à égalité l’alimentation en eau potable d’une agglomération de plus de 60 000 personnes. Des ressources gravement polluées, notamment par des métaux lourds, des solvants chlorés et des pesticides.
En quelques heures de marche, en suivant sur une dizaine de kilomètres le sous-bassin versant du lit du Nizerand, une rivière qui rejoint la Saône en amont de Villefranche, on découvre par étapes successives une situation dantesque.
Plusieurs vallées, en amont de Villefranche, étaient chacune dotées dans le passé de petites stations d’épuration, qui ont été détruites pour faire place à une grosse STEP, construite par Veolia, qui concentre désormais toute la pollution amont de plusieurs vallées, et rejette ses effluents dans le seul Nizerand.
Le 5 mars 2009, le Tribunal administratif a annulé, sur la base d’une requête introduite par notre hydrogéologue, l’autorisation accordée à cette STEP par les autorités, installation qui continue donc à fonctionner sans autorisation…
Ce n’est qu’un début, le pire est à venir.
Quelques kilomètres de route vers l’aval et voici la zone industrielle qui a vu le jour à l’orée des années 70 sur le territoire de la petite commune d’Arnas, en amont de Villefranche.
La commune est administrée depuis 1972 par sa maire, giscardienne bon teint, qui, en 37 ans de mandats successifs, a développé à Arnas une zone industrielle qui accueille un grand nombre d’usines, dont les rejets fortement polluants ont littéralement massacré le Nizerand.
Ainsi que l’ancien site de l’entreprise Regemat, devenu en 2002 l’un des lieux de stockage d’une entreprise d’élimination de déchets, qui fera faillite 4 ans plus tard. De gigantesques hangars délabrés y accueillent aujourd’hui encore des quantités colossales de déchets de bois qui y ont été acheminés de toute la région lyonnaise, ainsi que d’autres déchets fortement chargés de peintures, vernis, colorants. A proximité, les rives du Nizerand attestent que des déchets d’une autre entreprise de recyclage ont régulièrement été brûlés sur place, avant que les débris de ces feux sauvages ne soient rejetés dans la rivière.
Alentour, des dizaines d’autres sites industriels, dont les rejets aqueux fortement pollués ont eux aussi des années durant été rejetés dans la rivière, comme l’attestent les analyses réalisées par notre hydrogéologue.
Toujours en se rapprochant des champs de captage qui assurent l’alimentation en eau potable de la ville, situés à quelques dizaines de mètres de la Saône, à quelques kilomètres de la zone industrielle d’Arnas, on découvre cette fois, près du diffuseur autoroutier en provenance de Macon, au lieu dit « l’Ave Maria », la déchetterie de la Communauté d’agglomération de Villefranche (CAVIL).
Cette déchetterie est située en zone rouge inondable, sur la nappe alluviale, et constitue un champ éloigné de la zone de captage de Beauregard-Le Garet, qui alimente Villefranche en eau potable.
De 1984 à 1992 y ont été enfouis, sans autorisation préfectorale, mais avec l’accord de la mairie d’Arnas et de la CAVIL, qui était à l’époque un district, 4000 tonnes de déchets ultimes, des cendres d’incinération et des mâchefers provenant de l’usine d’incinération de Villefranche-Béligny. dont la toxicité réelle demeure toujours inconnue aujourd’hui. Une bombe à retardement.
D’autant plus que cette décharge a été inondée par la Saône, qui a totalement recouvert le site à plusieurs reprises, la dernière crue remontant à 2001.
L’affaire des déchets ultimes - cendres et mâchefers d’incinération hautement toxiques - déposés illégalement à l’Ave Maria sur la commune d’Arnas-Rhône a été dénoncée et suivie jusqu’à présent par un autre lanceur d’alerte, Jean-Pierre Andry, militant indépendant de la défense de l’environnement – dossier et preuves à l’appui disponibles depuis 1999. Les associations écologiques GEB et FRAPNA et autres partis et mouvements politisés d’obédience nationale ou internationale ont malheureusement toujours brillé par leur mutisme sur ce sujet sensible.
Et force est de constater qu’aucune action de dépollution sérieuse n’a été engagée depuis par les autorités.
Ainsi un simple film de protection, installé après une injonction préfectorale en 1992 n’a-t-il jamais été remplacé depuis lors. Et les contrôles exercés par les pouvoirs publics sont fortement sujets à caution : ainsi le diamètre des piézomètres implantés sur la zone changent-ils par exemple d’une année à l’autre…
Les 4000 tonnes de déchets de l’Ave Maria diffusent donc leurs poisons dans les eaux souterraines qui rejoignent les champs de captage rapprochés et immédiats de Villefranche, déjà pollués par des effluents industriels, et nous allons le voir des pesticides…
Retour vers le proche rivage de la Saône, après l’autoroute A4 qui traverse Villefranche en longeant le fleuve. Cette fois ce sont des maraîchers qui ont développé ici depuis une quinzaine d’années des cultures intensives, à grand renfort de produits phytosanitaires.
Et c’est en suivant ainsi le fil du Nizerand que l’on atteint enfin les champs de captage et l’usine de production d’eau, exploités depuis 126 ans par Veolia à Villefranche-sur-Saône.
En dépit de ce contexte singulier, les autorités locales et les services de l’Etat affirment sans sourciller depuis des années que l’eau potable distribuée aux habitants de Villefranche-sur-Saône est conforme aux normes réglementaires.
Heureusement. Villefranche-sur-Saône abrite le siège historique de Blédina, aujourd’hui propriété de Danone. Une entreprise centenaire, qui distribue dans 80 pays des aliments pour bébés. L’usine de Villefranche, l’une des trois du groupe en France, y produit les céréales « bio » fabriquées par Blédina, et utilise pour ce faire l’eau potable produite et distribuée à Villefranche-sur-Saône par Veolia.
D’après le service consommateur de Blédina, l’eau du robinet, sans aucun traitement, est bien utilisée comme ingrédient pour la fabrication des aliments. D’après leur fournisseur (Veolia), l’eau est certifiée bonne. Des analyses supplémentaires sont réalisées dans l’usine : tout est conforme aux normes.
Dans la recette de la Blédine, il y a 10 à 12 % d’eau du robinet d’après le service consommateur de l’entreprise (60 % d’eau et 40 % de céréales d’après le dossier en préfecture). La production annuelle varie de 7500 à 10 000 tonnes, soit de quoi remplir 500 millions de biberons par an. Depuis 35 ans (début de la pollution de l’eau de Villefranche), 40 millions d’enfants ont été nourris à la Blédine (en comptant 3 mois de biberons à la Blédine par personne). Villefranche est le seul lieu de fabrication mondial de la marque Blédine...
Mais qu’on se rassure, tout est donc conforme aux normes réglementaires.
Comme le soutient sans sourciller Mme le maire d’Arnas, qui préside aux destinées de sa commune depuis 37 ans, préside la Commission environnement de la Communauté d’agglomération de Villefranche-sur-Saône, le Syndicat des eaux de la ville, et jusqu’à la commission des usagers dudit Syndicat…
Autant d’arguments d’autorité assénés depuis des années qui ont fini par susciter en réaction la création d’un collectif qui entend bien en finir avec pareil déni de la réalité, et appelle les habitants de Villefranche, et au-delà de la région, à se mobiliser pour reconquérir une bonne qualité de l’eau.
Voir le blog de Bruno Ducluzaux « Qualité de l’eau dans le Rhône »
Lire aussi :
Villefranche-sur-Saône (1) : trente ans de pollution du Nizerand
Les eaux glacées du calcul égoïste, 9 août 2007.
Villefranche-sur-Saône (2) : eau « potable » et risques sanitaires
Les eaux glacées du calcul égoïste, 12 septembre 2007.
Villefranche-sur-Saône (3) : quelle gestion durable de l’eau ?
Les eaux glacées du calcul égoïste, 21 janvier 2008.
Qualité de l’eau : le veilleur de Villefranche-sur-Saône (4)
Les eaux glacées du calcul égoïste, 22 juillet 2008
Les eaux glacées du calcul égoïste, 3 juin 2009
Lettre ouverte à Raymond Depardon
Les eaux glacées du calcul égoïste, 4 juin 2009
Villefranche-sur-Saône : 35 ans de pollution industrielle impunie
Les eaux glacées du calcul égoïste, 9 décembre 2009