La loi de finances rectificatives qui sera examinée à la fin de l’année 2009 devrait emporter la création d’un nouveau service public, dédié à la gestion des eaux pluviales urbaines, et surtout d’une nouvelle taxe qui en assurera le financement. Son principe avait été adopté par le législateur dans le cadre de la Loi sur l’eau du 30 décembre 2006 (LEMA). Mais le groupe de travail ministériel qui avait ensuite discrètement élaboré un projet de décret d’application durant 18 mois avait vu ce projet de décret sèchement retoqué par le Conseil d’Etat le 3 mars 2009. Le Conseil a en effet considéré que l’aspect déclaratif du recensement des surfaces imperméabilisées que contenait ce décret relevait de la loi, et non du décret… Du coup c’est donc un projet de loi modifiant les articles L. 2333-97 à L. 2333-100 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), que le ministère de l’Ecologie souhaite faire adopter lors de l’examen de la Loi de finances rectificatives avant la fin de l’année 2009. L’affaire va à n’en pas douter continuer à susciter des remous, tant le projet de loi proposé tient de l’usine à gaz, et risque toujours de se heurter aux réticences des collectivités, qui y regarderont à deux fois avant d’ajouter au montant d’une facture d’eau en expansion continue la charge d’une nouvelle taxe, toujours délicate à faire accepter, même si son principe devrait s’imposer, au vu du poids croissant de la gestion des eaux pluviales sur les finances des collectivités.
Sur le fond l’affaire ne devrait pas faire débat, tant le casse-tête de la gestion des eaux pluviales est devenu un souci majeur des collectivités.
On le comprend aisément, à la lecture de la déclaration d’intention du ministère de l’Ecologie, qui vient de soumettre ce projet de loi au groupe de travail qui planche sur la question depuis 18 mois :
« Lors de l’examen du projet de décret relatif à la taxe pour la collecte, le transport, le stockage et le traitement des eaux pluviales, le Conseil d’Etat a suggéré (le 3 mars 2009) au gouvernement d’inviter le législateur à modifier les dispositions en vigueur afin de limiter les risques de dévoiement de l’esprit du texte législatif par certaines collectivités et de multiplication des contentieux qui pourraient en découler.
Pour cela, la direction de l’eau et de la biodiversité propose d’utiliser le projet de loi de finances rectificatives (examen à la fin de l’année 2009), afin d’introduire les précisions et compléments nécessaires pour donner une assise plus sure à la taxe, et souhaite ainsi réengager une concertation sur un projet de modification de la loi (…)."
Toutefois, à y regarder de plus près, ledit projet de loi révèle les contours d’une véritable usine à gaz, dont le fonctionnement va susciter des problèmes multiples, que les collectivités locales vont avoir toutes les peines du monde à surmonter.
Déjà, on ratisse large. La nouvelle taxe sera due par « les propriétaires des terrains situés en zone urbanisée de la commune, ou le groupement qui déverse les eaux pluviales dans le milieu récepteur ». C’est dire l’impact du dispositif.
Ensuite, si « plusieurs communes ou groupements répondent à ces conditions, ils instituent la taxe et désignent par délibérations concordantes la commune ou le groupement chargé de l’assiette, de la liquidation et de l’émission des titres de recettes de cette taxe ». On imagine déjà le micmac au sein des différentes assemblées délibérantes…
Et ce n’est pas fini, loin s’en faut :
« Sauf délibération contraire, la commune, l’établissement public de coopération intercommunale ou le syndicat mixte exerçant partiellement ces missions mais ne bénéficiant pas du produit de la taxe bénéficie d’un reversement partiel de ce produit de la part de la commune ou du groupement instituant la taxe. La répartition de ce produit est réalisée, compte tenu de la répartition des dépenses du service public de gestion des eaux pluviales urbaines entre les différentes collectivités assurant conjointement ce service, en application des modalités arrêtées par délibérations concordantes des communes et groupements participant aux missions de gestion des eaux pluviales. A défaut de délibérations concordantes, le plafond dans la limite duquel le tarif de la taxe est défini est réduit de moitié. »
Va falloir embaucher des comptables !
Cadastre ou évaluation du maire ?
Mais avant cela, il faudra surtout identifier les surfaces « éligibles », et c’est là que l’affaire se corse :
« La taxe est assise sur la superficie cadastrale des terrains. Lorsque ces terrains ne sont pas répertoriés au cadastre, la superficie prise en compte est évaluée par la commune ou le groupement en charge de la collecte des eaux pluviales.
« L’assiette de la taxe est établie au vu des éléments fournis par le maire de la commune ou le président du groupement en charge de la collecte des eaux pluviales. Cette information porte notamment sur la liste des terrains, sur la superficie et sur l’identité du propriétaire des terrains imposables.
« Le tarif de la taxe est fixé par délibération de l’assemblée délibérante de la commune ou du groupement compétent pour instituer la taxe, dans la limite de 0,20Euros par mètre carré. Les délibérations instituant et fixant le tarif de la taxe sont adoptées dans les conditions prévues à l’article 1639 A bis du code général des impôts.
« Toutefois, la taxe n’est pas mise en recouvrement lorsque la superficie cadastrale ou évaluée des terrains assujettis est inférieure à une superficie minimale au plus égale à 600 mètres carrés. Lorsque le terrain assujetti à la taxe comporte une partie non imperméabilisée, la superficie de cette partie, déclarée par le propriétaire, est déduite de l’assiette de la taxe. »
Heureusement que notre projet de loi vise à « limiter les risques de dévoiement de l’esprit du texte législatif par certaines collectivités, et de multiplication des contentieux qui pourraient en découler », comme le rappelle le ministère de l’Ecologie.
On se hasarde en effet à augurer, hélas, que les contentieux seront flores.
Et nous ne sommes pas au bout de nos peines. Que se passe-t-il quand une partie de la surface à priori éligible, si tel est le bon plaisir de M. Le Maire, est imperméabilisée, mais qu’une autre ne l’est pas ?
Fastoche :
« Lorsque le terrain assujetti à la taxe comporte une partie non imperméabilisée, la superficie de cette partie, déclarée par le propriétaire, est déduite de l’assiette de la taxe.
« Article L2333-98. - La taxe est due par les propriétaires, au 1er janvier de l’année d’imposition, des terrains assujettis à la taxe. En cas de pluralité de propriétaires, la taxe est due par la copropriété ou la société immobilière de copropriété ou, à défaut, chacun des propriétaires indivis au prorata des droits qu’il détient. En cas de démembrement du droit de propriété, la taxe est due par l’usufruitier. En cas de terrain loué par bail emphytéotique, par bail à construction ou par bail à réhabilitation, la taxe est établie au nom de l’emphytéote ou du preneur du bail à construction ou à réhabilitation. »
Déjà que les assemblées de copropriétaires rejouent régulièrement le bourreau de Béthune contre le diable des Flandres, çà promet !
Réduction des rejets et abattements
Et nous n’en avons pas terminé, loin s’en faut :
« Les propriétaires qui ont réalisé des dispositifs évitant ou limitant le déversement des eaux pluviales hors de leur terrain bénéficient d’un abattement, compris entre 20 % et 90 % du montant de la taxe, et déterminé en fonction de l’importance de la réduction des rejets permise par ces dispositifs.
« Article L2333-98 bis. - La déduction pour surfaces non imperméabilisées et les éventuels taux d’abattement sont établis au vu des éléments déclarés par la personne redevable au titre des terrains assujettis.
« Le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale ou du syndicat mixte en charge de la collecte des eaux pluviales désigne des personnes qualifiées chargées de contrôler les déclarations des personnes redevables, l’état et le fonctionnement des dispositifs mentionnés à l’article L. 2333-98. Le bénéfice de l’abattement est subordonné à la possibilité d’accéder, pour les personnes précitées, aux propriétés privées afin de procéder à l’examen des dispositifs.
« Les personnes redevables effectuant des déclarations inexactes ou s’opposant au contrôle prévu à l’alinéa précédent ne bénéficient pas de la déduction prévue à l’article L. 23333-97 et/ou de l’abattement prévu par l’article L2333-98. Le bénéfice de l’abattement peut également être retiré si le contrôle effectué met en évidence un mauvais fonctionnement des dispositifs déclarés. »
Bon, on va donc là aussi créer de nouveaux emplois : contrôleurs de gouttières, agréés AFNOR, qui élaboreront de nouveaux indicateurs de performance pour l’Onema ? Je plaisante…
Quoique on imagine volontiers Messieurs Devedjian et Borloo s’esbaudir en annonçant la création de « dizaines de milliers » de nouveaux emplois sous les gouttières. La relance vous dis-je ! Y a plus qu’à commander un sondage à Opinion Way, et à attendre que Le Figaro et LCI annoncent triomphalement que « Les Français veulent bien payer un peu plus pour laver l’eau de pluie ».
Bon, on l’a déjà fait avec la « grande consultation nationale » sur les SDAGE. Pas grave, Monsieur Guéant dira si nécessaire que ça n’a rien à voir et que la polémique n’a pas lieu d’être.
Qu’est-ce qu’une zone urbanisée ?
En fait notre affaire serait caïman dans la poche, s’il ne restait à régler la délicate question de savoir qu’est-ce qu’est une « zone urbanisée », puisque c’est à l’intérieur des susdites que la taxe pourra être perçue.
Le projet de loi renvoie donc prudemment au Conseil d’Etat le soin de définir une « zone urbanisée » :
« Article L2333-100. - Un décret en Conseil d’Etat précise les modalités de mise en oeuvre de la présente section, notamment en ce qui concerne la définition des zones urbanisées à l’intérieur desquelles peut être instituée la taxe pour la gestion des eaux pluviales urbaines, du système de gestion des eaux pluviales, la procédure déclarative et les contrôles prévus à l’article L.2333-98 bis, ainsi que le calcul des abattements auxquels donnent droit ces dispositifs de limitation des déversements. »
Ca risque d’être croquignolet.
Histoire d’apporter notre pierre à ce grand œuvre, nous suggérons que les dites « zones urbanisées » soient identiques aux « zones touristiques » où l’on va désormais pouvoir « travailler le dimanche pour gagner plus ».
Nous ne vous l’avons pas dit, mais Veolia, et Suez, et la FP2E, leur syndicat patronal, participent (très) activement au groupe de travail piloté par le ministère de l’Ecologie, qui vient d’accoucher du monstre.
On se demande bien ce qu’ils fabriquent. Zone urbanisée = zone touristique = gagner plus = plus de taxes, c’est pourtant pas compliqué.
Le niveau baisse ! Enfin pas celui des eaux pluviales, ni celui de la taxe qui va vous tomber au coin du museau. Là vous l’avez déjà compris…
Le dossier des eaux pluviales :
LEMA (9) : la taxe « eaux pluviales » rétablie en CMP !
Les eaux glacées du calcul égoïste, 19 décembre 2006
Les eaux glacées du calcul égoïste, 16 août 2007
Gestion de l’eau (4) : la tentation autarcique
Les eaux glacées du calcul égoïste, 6 mai 2008
Taxe pluvial : l’addition va être salée
Les eaux glacées du calcul égoïste, 5 juillet 2008
Récupération des eaux pluviales : geste responsable ou nouveau business ?
Les eaux glacées du calcul égoïste, 3 septembre 2008
Récupération des eaux de pluie : le débat
Les eaux glacées du calcul égoïste, 9 septembre 2008
Le casse-tête de la gestion des eaux pluviales
Les eaux glacées du calcul égoïste, 10 septembre 2008
Vers la création d’un service public de gestion des eaux pluviales urbaines
Les eaux glacées du calcul égoïste, 21 juillet 2009
commentaires
Le problème est en fait que les frais de contrôle, puis de recouvrement, vont rendre le principe de ce financement peu réaliste...
A l’instar du service public d’assainissement non collectif, on pourra toujours créer un service public d’eaux pluviales financé par le prélèvement d’une redevance à l’usager.
@CAD : la gestion des eaux pluviales étant un service public administratif, elle ne peut être financée que par des taxes ou l’impôt.
A mon sens, l’institution d’une telle redevance courrait un risque quasi certain de se faire massacrer séance tenante au TA...
Exact, et c’est bien pour cela que personne ne réussit à s’en dépêtrer. Sauf à voir progressivement, et on y court à grand pas, tout ce qui ne relève pas strictement de l’AEP et de l’assainissement être financé par l’impôt ou la taxe. D’autant plus que la prochaine "réforme du mille-feuilles" va donner le coup de grâce aux départements, dont tout le monde feint d’oublier qu’ils financent les politiques publiques de l’eau à hauteur de 700 millions d’euros annuels...
Et sans parler des ouvrages mixtes sur les réseaux unitaires (ie, qui reçoivent eaux usées et eaux de pluie, pour les non spécialistes), dont l’entretien et les nécessaires rénovations font l’objet d’un flou artistique extrême...
A voir ce que donnera la proposition dans le grenelle II visant à unifier les services de l’assainissement "normal" et "pluvial". Là c’est clair, c’est le redevable assainissement qui va ramasser... ce qui posera la question du passage en SPIC du service pluvial, et alors là les amis on va bien se marrer !
Vous signalez à très juste titre le risque de création "d’inspecteur des gouttières".
Le problème est en fait que les frais de contrôle, puis de recouvrement, vont rendre le principe de ce financement peu réaliste... même si sa mise en œuvre procède d’un "bon sentiment" (d’une certaine cohérence avec la nécessité de déclaration du rejet des récupérations d’eau de pluie tout du moins : si le gars veut sa réduc sur la taxe, il doit déclarer).
Au final, je ne suis pas certain que tout cela soit très appliqué, en particulier dans les zones rurales ou rurbaines.
Le problème du financement de l’assainissement pluvial reste entier ^^