La Chambre régionale des comptes de PACA avait sévèrement critiqué en juin 2000 les nombreuses insuffisances de la gestion par la ville de Marseille du contrat de « concession » - en fait un affermage concessif -, signé en 1960 avec la SEM, et qui allait s’achever le 31 décembre 2013. De nombreux éléments vont encore aggraver la situation dans le courant des années 2000.
En réponse à plusieurs collectivités françaises concernées par l’arrêt dit « Commune d’Olivet », la Direction générale des finances publiques (DGFIP) du ministère des Finances, a soulevé les difficultés d’appréciation qui peuvent résulter de l’existence de très anciens contrats de DSP, notamment concessifs, quand ils ont fait l’objet d’avenants très nombreux, comme dans le cas du contrat liant la ville de Marseille, et son « périmètre » à la SEM.
« (…) Des contrats très évolutifs, faisant l’objet d’une vingtaine d’avenants (conclus sur une période de 50 ans), conduisent à une superposition d’actes décalés dans le temps (qui) rendent plus difficiles la lisibilité du contrat. Ceux-ci (les avenants) peuvent comporter des contradictions dans les termes du contrat, sources de difficultés d’application car leurs clauses (sont) peu claires, obsolètes, voire simplement redondantes. »
Ainsi, dans nombre de cas similaires, la DGFIP a pu constater que la patrimoine du service étant géré par le concessionnaire, « aucun bilan actif/passif du service individualisé n’est disponible… »
Pour simplifier, à très grands traits, une matière excessivement complexe, et l’appliquer au cas d’espèce du fameux contrat de 1960 signé entre la ville de Marseille et la SEM, il faut savoir que, d’un point de vue comptable et fiscal, le concessionnaire jouit d’un droit exclusif qui peut être assimilé à un droit de propriété économique, qui entraîne notamment que « les biens mis dans la concession soient inscrits à l’actif du bilan de l’entité concessionnaire. »
A contrario, l’article L. 2224-2 du CGCT précise qu’il est interdit aux communes de prendre en charge dans leur budget propre des dépenses au titre des services publics à caractère industriel ou commercial concédés.
L’instruction budgétaire et comptable M49 qui leur est applicable prévoit d’ailleurs que les opérations relatives à un service d’eau sont retracées dans une comptabilité plus ou moins individualisée, selon le degré d’autonomie du service (régie à simple autonomie financière ou régie à personnalité morale et autonomie financière).
Or, dans le cas d’un service en DSP exploité sous forme de concession, il n’y a pas lieu d’individualiser budgétairement les opérations qui ne retracent que les relations comptables avec le concessionnaire dans un budget annexe. Elles figurent alors dans le budget principal.
(On comprend pourquoi tant la SEM que la ville de Marseille soutiennent depuis des lustres que la convention de 1960 est une « concession », alors qu’il s’agit d’un « affermage concessif », ce qui n’est pas la même chose : dans un cas budget principal, dans l’autre budget annexe…).
Car, dans l’hypothèse d’une concession, la commune, autorité délégante de la concession, ne dispose donc dans sa comptabilité patrimoniale d’aucun élément susceptible de l’éclairer sur les immobilisations relatives au service public de l’eau potable, les seules informations qui pourront l’éclairer seront celles produites dans le rapport annuel d’activités du délégataire, ou concessionnaire, prévu par la loi « Mazeaud » du 8 février 1995 et son décret d’application du 14 mars 2005, obligation de compte-rendu dont on sait parfaitement par ailleurs qu’elle ne permet aucunement de retracer la réalité de l’équilibre économique du contrat.
A ce point on comprendra aisément les difficultés qu’allait nécessairement éprouver Marseille (avant MPM, nous y reviendrons), à connaître les immobilisations relatives au service public de l’eau.
Conséquence directe, un grand flou artistique sur les amortissements, les provisions pour renouvellement, difficulté qui devait dès lors, mécaniquement, perdurer jusqu’à l’expiration du contrat le 31 décembre 2013…
Et ceci d’autant plus qu’entre ensuite en jeu la notion dite « d’amortissement de caducité ».
Simplifions à nouveau à grands traits. A partir du moment où les parties constatent que l’amortissement industriel complet est impossible, le concessionnaire est autorisé à pratiquer un double amortissement. Le premier est technique, et lié aux dépréciations affectant les biens, le second est financier et fiscal, et lui permet de provisionner les sommes nécessaires en vue de renouveler les actifs dont la valeur comptable est nulle au cours de la convention.
Or ce fonctionnement contrevient au motif même qui justifie le recours et la mise en oeuvre de l’amortissement de caducité, à savoir compléter l’amortissement technique pour éviter que le concessionnaire ne répercute sur les tarifs une perte comptable.
Cette pratique de l’amortissement de caducité devrait donc être circonscrite à la valeur non amortie (techniquement) du patrimoine, telle qu’est elle estimée par les parties avant la mise en service des biens financés par le concessionnaire. Elle ne doit en aucun cas porter sur la totalité des investissements et sur toute la durée contractuelle car, pour la part du patrimoine totalement amortie avant le terme de la convention, le cocontractant bénéficie d’un double gain : le premier est financier et résulte de sa rémunération perçue en contrepartie de ses investissements. Le second est fiscal et lié au système de déduction de l’impôt sur les sociétés des sommes ainsi provisionnées. Il est en sus envisageable de rajouter un troisième gain lié à des placements financiers à risque limité de ces provisions…
L’impact potentiel de ces différents mécanismes, ici brossés à grands traits, devenait dès lors dévastateur, s’appliquant à la « fin de contrat » du fameux contrat de concession de 1960.
Ajouter que l’avenant n° 12 du 27 octobre 2000 au Contrat de concession du 29 juin 1960, dit « Contrat de concession du service d’adduction et de distribution d’eau dit du Canal de Marseille » a, entre autres dispositions, établi un distinguo, crucial, entre les investissements à caractère « local », supposés ressortir d’une obligation de la collectivité, ici Marseille et les 17 villes du « périmètre », et les investissements structurants, imputés au concessionnaire.
Toutes les conditions étaient dès lors réunies, dans un contexte de dramatique absence de contrôle de la « concession », par Marseille, puis MPM, pour conférer à la SEM un véritable statut d’intouchable puisque les collectivités pour le compte desquelles elle intervient sont en totale incapacité de vérifier que la SEM remplit bien ses engagements contractuels.
L’affaire était déjà mal engagée. Elle va encore s’aggraver quand MPM prend la compétence « Eau » et se substitue peu ou prou à Marseille dans la gestion du contrat.
Et l’embrouillaminis va devenir totalement ingérable du fait, quelques années plus tard, du « décroisement » de la filiale commune SEM, qui était jusqu ‘alors filiale commune de Veolia et Suez…
Dans la perspective de l’établissement d’un protocole de fin de contrat, qui doit intervenir dans le courant de l’année 2012, qui est la personne publique compétente ? MPM ? Pas sur. Marseille pas davantage.
Dès lors rien d’étonnant à ce qu ‘à la fin, « c’est toujours Veolia qui gagne »…
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