Le géant français de l’eau et des services à l’environnement s’est attiré de vives critiques de la part d’élus européens qui attendaient depuis des mois les résultats de l’enquête initiée en 2010 par la Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, enquête motivée par des soupçons d’entente sur le prix de l’eau entre les trois géants français du secteur (Veolia, Suez et Saur) et la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau (FP2E), instance qu’ils ont créé pour défendre leurs intérêts. C’est en effet un communiqué de Veolia qui a annoncé le 23 avril le classement sans suite de cette enquête, décision qui n’avait toujours pas été officialisée par la DG Environnement une semaine plus tard. Cette entorse délibérée aux bonnes manières ne doit rien au hasard : elle tombe à point nommé avant que Veolia n’annonce le 3 mai prochain une réorganisation radicale du groupe de services. Deux annonces destinées à rassurer les investisseurs qui continuent à douter de la capacité du groupe dirigé par Antoine Frérot à réduire son endettement colossal, hérité de Jean-Marie Messier et d’Henri Proglio, comme à élaborer une nouvelle stratégie.
Les eurodéputés ont appris par un communiqué lapidaire du géant français de l’eau en date du 23 avril dernier que la DG de la Concurrence de la Commission européenne avait classé sans suite l’enquête sur des soupçons de cartel en France.
Questionné à ce sujet le 11 avril dernier, le commissaire européen Joaquin Almunia avait répondu : "La Commission finalise actuellement son enquête approfondie, et entend se prononcer au premier semestre 2013 sur la nécessité ou non d’envoyer aux entreprises soumises à l’enquête une communication des griefs sur la base des éléments de preuve récoltés."
Mais lors même que la Commission européenne n’a toujours pas rendu publique cette décision à la date du 30 avril, Veolia Environnement publiait donc un communiqué annonçant que la Direction de la Concurrence classait sans suite l’enquête ouverte le 18 janvier 2012 - suite à des inspections surprise conduites en France en avril 2010 - sur des soupçons de cartel et d’abus de position dominante dans le secteur de la distribution d’eau dans l’Hexagone.
Il s’agissait de faire la lumière sur les pratiques commerciales de Veolia, Suez Environnement et Saur et de leur syndicat professionnel, la FP2E, qui aurait été le lieu de discussions d’un partage concerté du marché français de l’eau et de ses prix.
L’annonce officielle de l’enquête avait fait perdre aux deux principaux acteurs du secteur, Veolia et Suez Environnement, respectivement 247 et 125 millions d’euros de valorisation boursière.
Le montant attendu,
selon les calculs des analystes du secteur, de l’amende
que ces deux entreprises risquaient de se voir infliger.
Il n’en serait donc
finalement rien et les géants de l’eau pourraient donc à nouveau contracter
tranquillement.
Une décision qui a notamment fait bondir Karim Zeribi, député EELV au Parlement européen, qui vient par ailleurs d’annoncer sa candidature aux élections municipales de 2014 à Marseille : "C’est un scandale sous-jacent ! Que ce soit une des entreprises privées concernées par une enquête qui annonce son classement jette un véritable discrédit sur le fonctionnement de la direction générale de la concurrence ! » déclarait-il au mensuel Challenges, le 24 avril.
Il avait lui-même questionné le commissaire Joaquin Almunia, le 1er mars, sur l’avancée de l’enquête. Lequel lui avait répondu, le 11 avril : "La Commission finalise actuellement son enquête approfondie et entend se prononcer au premier semestre 2013 sur la nécessité ou non d’envoyer aux entreprises soumises à l’enquête une communication des griefs sur la base des éléments de preuve récoltés."
Quelques jours après cette réponse sibylline, l’information fuitait déjà. Et seulement dix jours plus tard, c’est donc Veolia qui officialisait la "bonne" nouvelle ! Explication gênée de la Commission à l’eurodéputé Zeribi : "Il y a eu une fuite." Une fuite bienvenue pour un géant de l’eau censé les prévenir…
Big-Bang pour Veolia
Un géant de l’eau qui se prépare à une autre annonce historique. Son P-DG, Antoine Frérot, annoncera le 3 mai la fin de l’organisation historique du groupe par métiers (eau, propreté, énergie, transport).
A l’avenir, l’entreprise sera structurée par grandes zones géographiques. Une façon de « casser » les baronnies qui ont toujours entravé la direction du groupe. C’est l’oeuvre, cinq mois après sa prise de fonctions, du nouveau directeur général adjoint en charge des opérations, François Bertreau.
Cette restructuration sera dévoilée en même temps que les résultats trimestriels. Autre annonce attendue le 3 mai : la nomination de Jean-Michel Herrewyn, actuel patron de Veolia Eau, comme adjoint de François Bertreau. Un désaveu qui sanctionne la perte des contrats de Rennes et de Nice.
Cette annonce va raviver les tensions sociales au sein d’une entreprise déjà soumise depuis deux ans à une réorganisation drastique, qui n’était donc que le prélude au « big-bang » qui sera annoncé le 3 mai.
La restructuration par grandes zones géographiques va en effet permettre de casser les comités d’entreprise et réseaux syndicaux qui existaient dans chaque filière.
Avec une suite de l’histoire aisément prévisible : la filialisation, à terme, des « nouvelles » directions régionales, ce qui permettra, outre d’ingénieuses cabrioles facilités par les ressources infinies de l’ingénierie financière, de soustraire ces futures filiales aux conséquences d’éventuelles condamnations pour ententes ou autres.
Last but not least, l’affaire doit aussi permettre à Veolia de se remettre en ordre de bataille, d’accélérer le délestage des "actifs non stratégiques", conformément aux objectifs de recentrage sur des activités d’avenir à forte valeur ajoutée (les services aux industriels, le nucléaire, les gaz de schiste...), et d’espérer en démontrer à Suez en France, depuis que l’aggiornamento qui a vu ce dernier supplanter Veolia dans les faveurs du nouveau pouvoir n’en finit plus de pénaliser l’ex-Générale des eaux.
Du grand art.
Reste toutefois à réussir à monter dans l’avion de la "nouvelle diplomatie économique", avec Mestrallet, au Quai, et sur le tarmac.
Pas gagné.