Au détour d’un déplacement professionnel, nous avons en un jour et demi, à Saillans, capitale de la démocratie participative, croisé les fantômes de Robespierre et de Barnave, les grandes heures du surréalisme, le spectre de Guy Debord, et mesuré l’abîme qui sépare les inquiétudes citoyennes autour de la question de l’eau des certitudes roublardes des élus qui gèrent l’eau et l’assainissement en leur nom.
Se revendiquant d’une connaissance commune, et arguant de différents problèmes et scandales autour de l’eau, notre hôte nous avait sollicité pour une intervention dans la vallée de la Drôme, à Saillans, petite bourgade de 1500 habitants, devenue il y a quelques années l’épicentre d’un immense charivari, après la conquête de la mairie par une liste se revendiquant de la « démocratie participative ».
https://www.colibris-lemouvement.org/magazine/film-republique-saillans-en-exclusivite-pour-vous
Au retour d’un déplacement dans les Cévennes, nous nous arrêtons donc en soirée à Valence TGV, avant de rejoindre Saillans, oû nous allons le lendemain soir présenter une analyse de l’évolution de l’exercice de la compétence eau depuis… la Révolution, jusqu’à la loi NOTRe et ses récents avatars.
Le tout en une demi-heure, top chrono, comme nous le demande expressément notre hôte, lui même intarissable bavard, qui vit entre la Belgique et Saillans, dans une maison de famille de trois étages, ex-businessman spécialiste des revêtements pour pistes cyclables, poête surréaliste, artiste peintre et agitateur né, qui semble avoir réussi à se mettre à dos nombre de notabilités locales, dont les « ex-participationnistes » qui ont perdu les dernières municipales et végètent peu ou prou depuis lors en oeuvrant au sein d’une coopérative. Tout comme la nouvelle équipe de notables défenseurs des « intérêts locaux ».
Le lendemain matin, après trois heures d’approximatives descriptions de l’embrouillamini local de l’eau et de l’assainissement, le constat se fait jour : à rebours de la loi NOTRe, Saillans et la proche vallée ont totalement échappé au couperet de ladite loi : les cinq syndicats d’eau et les quatre dédiés à l’assainissement, qui auraient du être dissous et voir leurs compétences transférées à la communauté de communes de 15 000 habitants qui a vu le jour, sont toujours là, et bien là, à l’est du territoire.
A l’Ouest, à Crest, un peu plus de 9000 habitants, dont le maire n’est autre qu’Hervé Mariton, ancien ministre, aujourd’hui président du Medef des DROM, tout le service a été affermé à SUEZ, qui vient de surcroît de lancer une offensive pour approvisionner les viticulteurs du coin en eau du Rhône, « polluée par les nitrates et les PCB », martèle notre hôte.
De fil en aiguille, après que notre hôte nous ait régalé de coquilles Saint-jacques sur leur lit de poireaux, délicatement saisies sur la cuisinière au bois et charbon qui trône dans la cuisine depuis l’après-guerre, passablement inquiet du déroulé de la conférence du soir dûment annoncée à deux reprises dans le Daubé (Le Dauphine Libéré), il nous vient d’un coup L’IDEE qui pourrait nous sortir d’affaire : LA CARTE !
Après nous être assuré de la disponibilité d’un paper board, voici l’idée.
Un « SIG citoyen » sur lequel notre hôte va dessiner successivement en public, et en quatre couleurs différentes, les quatre « couches » qui vont symboliser l’embrouillamini des compétences eau et assainissement du territoire :
– les ressources réseaux, sources, captages, interconnexions… ;
– les territoires des syndicats d’eau avec les données essentielles pêchées sur internet ;
– le territoire de l’interco, qui englobe le tout, quand bien même, nous l’avons vu, elle n’exerce aucune compétence ;
– et enfin le territoire de l’assainissement.
Quatre heures plus tard, la démonstration est faite : c’est parfait pour appréhender les grands enjeux du territoire. L’outil idéal dont les collectifs, associations, groupements politiques, qui s’intéressent à l’eau n’ont jamais eu l’idée de se doter.
En fait, cela nous revient ; l’idée nous en était venue il y a trois ans quand nous avons dessiné pour un journaliste de l’Equipe, puis un réalisateur de FR3, une carte sommaire de l’Ile-de-France sur laquelle nous avions symbolisé les cinq obstacles techniques qui rendaient littéralement impossible, au regard de la réglementation, les « baignades en Seine » des JO de la bande à Hidalgo…
Du coup, c’est rasséréné que nous accompagnons notre hôte dans une visite de la capitale de la démocratie participative, au long de laquelle, toujours intarissable, il nous narre la grande histoire de la soie au XIXème siècle, la carrière mouvementée du grand homme local, Barnave, et ses démêlés avec Robespierrre, avant d’enchaîner sur l’un des scandales locaux, la décision du syndicat de faire désormais payer l’eau des deux fontaines publiques du lieu, avant de revenir sur l’influence délétère qu’exercerait la bourgeoisie protestante locale sur les destinées du lieu. Ou de conspuer la municipalité qui a accepté de prendre en charge le service de la poste pour 1200 euros par mois, et de nous conduire jusqu’à ladite poste pour y constater de visu les fissures qui vont inévitablement finir par faire s’écrouler l’antique bâtiment dans la rivière en contrebas.
On imaginera sans peine notre état au terme de la cavalcade.
Nonobstant, tout a fonctionné. La petite salle remise à neuf par la paroisse accueillait une quarantaine d’habitants, dont cinq notables, dont le président du plus important syndicat, bête noire de notre hôte.
Au terme de notre exposé d’une demi-heure (de la Révolution à la loi Notre), ledit président, ex-rugbyman et quintessence du potentat local, vient évidemment nous chercher des noises sur l’air classique « Moi je m’en moque de tout ce qui se fait à Paris, je suis un homme de terrain, et vous ne faites que critiquer et raconter n’importe quoi ». Nonobstant nous le renvoyons dans ses buts avant que l’affaire ne tourne au baston. Avant que d’ouïr l’émouvante tirade du fils du boss de l’entreprise locale de BTP nous assurant que ces responsables que nous attaquons sont « de bons pères de famille »… On ne voit pas le rapport, mais bon…
Reste que le coup de la carte les a un peu scotchés, ils nous ont même apporté des précisions, comme quoi çà marche.
Bon, quand notre hôte a pris le relais, il n’a malheureusement pu aller au bout des quatre couches, ne pouvant s’empêcher de s’embrouiller avec nos notables sur la mirifique réserve de la Gervanne qui pourrait arroser tout le canton, le chlore, la défense incendie, des travaux jugés inopportuns…
Reste qu’au final la CARTE a fait la preuve de son efficacité.
Le lendemain matin, même lieu pour un focus sur les enjeux locaux.
En un jour et demi nous avons beaucoup appris sur le territoire.
Une expérience à rééditer ailleurs.
Evidemment, tout à notre affaire, notre hôte est arrivé cinq minutes en retard à Valence TGV.
J’étais bon pour solliciter une hôtesse de la SNCF grâce à laquelle j’ai pu faire l’acquisition d’un nouveau billet, via une borne, puisque les guichets étaient vides pour cause de grève nationale interprofessionelle.
Parfois, on apprécie le retour a casa...
(*) La carte et le territoire, Michel Houellebec, Flammarion, 2010.
La polémique avec Wikipedia :
à la superposition des cartes , il faudra intégrer la localisation des ICPE et autres sites seveso avec leurs prérogatives environnementales ., plus les zones à urbaniser, les zones de prévention d’inondation, etc..etc.. et ensuite expliquer...... comment on fait pour faire tourner son entreprise a l’endroit indiqué, la transmettre comme c’est en principe ce qui doit se faire ...