C’est à un véritable coup de force de la Conférence des Présidents de Comités de bassin que l’on a finalement du de voir l’examen de la LEMA réinscrit in extremis au programme de travail de l’Assemblée nationale les 11, 12 et 13 décembre 2006. Alors que Mme Nelly Olin n’était pas parvenue à obtenir l’inscription du texte avant la fin de la session parlementaire, la menace de démission des Présidents des Comités de bassin aura finalement emporté la décision de Matignon… Le tout pour des résultats problématiques.
Tant l’atmosphère crépusculaire des débats, la crispation du rapporteur et de la Ministre qu’une précipitation due à l’exigence de « boucler » l’affaire en trois courtes demi-journées auront conféré à l’adoption « à la hussarde » de la LEMA le caractère d’un spectacle affligeant.
Il a fallu près de 20 mois au Parlement pour venir à bout du projet, dont le Sénat avait eu la primeur dès le printemps 2005. Comportant 30 articles au départ, la LEMA en compte aujourd’hui une centaine. Il vise, officiellement, outre la mise en conformité avec la directive européenne de 2000, à mettre en oeuvre le principe pollueur-payeur, inscrit dans la Charte de l’Environnement adossée depuis 2005 à la Constitution.
Les navettes successives ont donné lieu à plusieurs bras de fer entre les deux chambres, avec des dispositions introduites par les sénateurs puis supprimées par les députés, avant d’être réintroduites par le Sénat et annulées à nouveau par l’Assemblée…
Ce fut notamment le cas pour la création d’un Fonds départemental pour l’eau et l’assainissement, l’intauration d’une taxe pour la gestion des eaux pluviales, tous deux optionnels, le plafonnement de la "part fixe" de la facture d’eau, tous supprimés par les députés, pour la seconde fois.
Qui ont en revanche rétabli, contre l’avis du Sénat, celui du Gouvernement et de tous les acteurs de l’eau, le montant plafond du 9ème PPI à 14 milliards d’euros pour la période 2007-2012.
Eclairante application du principe des vases communicants. Alors que tant le plafonnement de la « part fixe », la création optionnelle de Fonds départementaux et de la taxe « pluvial » auraient permis aux collectivités d’adapter leurs besoins de financement aux situations locales, l’Assemblée a reporté la charge des mobilisations financières du 9ème programme sur la facture qu’acquittera l’usager. Charge ensuite aux Agences d’arbitrer entre les demandes multiples qu’elles vont recevoir. Une mission impossible…
Comme en première lecture, le projet défendu par Mme Nelly Olin a été approuvé avec les seules voix de l’UMP, PS et PCF votant contre et l’UDF déclarant "réserver son vote pour la CMP" (Commission mixte paritaire, 7 députés, 7 sénateurs).
Le texte va en effet maintenant passer devant une Commission Mixte Paritaire (CMP) le 19 décembre, chargée de trouver une rédaction commune afin que la LEMA puisse être définitivement adopté par le biais d’une lecture finale devant les deux assemblées avant la fin de l’année.
Rejet de l’exception d’irrecevabilité
L’Assemblée a tout d’abord rejeté une exception d’irrecevabilité, présentée par M. Alain Bocquet et des membres du groupe des députés communistes et républicains, visant à faire reconnaître que le texte proposé est contraire à la Constitution, à la Charte de l’environnement et à la directive-cadre, s’agissant notamment, du fameux principe pollueur-payeur.
André Chassaigne (PC) a notamment dénoncé le fait que 80 % du marché de l’eau appartiennent aux deux opérateurs privées : Véolia et Suez qui font payer des prix élevés aux consommateurs en répercutant des coûts injustifiés (amortissement des matériels en 10 ans, changement de ceux-ci tous les 25 ans, surfacturation...).
"Les opérateurs bénéficient d’une marge de près de 60 % en Ile-de-France et de 30 % ou plus dans les autres villes" a-t-il déclaré.
Si les collectivités acceptent souvent cette délégation alors même qu’elles partagent le constat précédent c’est en raison de la complexité et de la technicité des tâches et en l’absence de soutien financier. C’est pourquoi le député propose de confier à une structure nationale le soutien à la gestion publique de l’eau, la gestion restant décentralisée au plus près des habitants. Il propose également d’autres pistes : confier à l’ONEMA (office national de l’eau et des milieux aquatiques) la compétence pour s’orienter vers une péréquation des tarifs. Il invite à ce qu’un débat citoyen est lieu dans toutes les communes alors que les deux tiers des délégations de service public vont arriver à échéance en 2009. Enfin, André Chassaigne est intervenu sur le principe pollueur-payeur et la TGAP.
Les députés n’ont pas davantage adopté la question préalable présentée par M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste.
Enfin, ils ont rejeté une motion de renvoi en commission, également présentée par le groupe socialiste, concernant trois points : la redevance excédent d’azote déclarative, la garantie de l’équilibre des contrats de gestion des services d’eau et d’assainissement pour les petites communes et la participation des citoyens à travers les commissions consultatives des services publics locaux.
Droit à l’eau
Un amendement à l’article 1er A vient préciser que le droit d’accès à l’eau potable doit s’exercer dans des " conditions économiquement acceptables pour tous ", usagers et collectivités.
En revanche, les députés ont rejeté, un amendement précisant que le service public de l’eau est géré dans le respect des principes d’égalité, de continuité et d’adaptabilité et organisé, chacun dans son domaine propre, par l’Etat et les communes ou leurs établissements publics de coopération.
La ministre a considéré que l’article 1er de la loi reconnaissait déjà clairement et simplement le droit à l’eau. En outre, cet amendement aurait impliqué une desserte généralisée qui pourrait se révéler très coûteuse pour certaines collectivités rurales ou de montagne.
La ministre a ajouté que les collectivités disposent des outils nécessaires pour mettre en oeuvre concrètement le droit à l’eau, renvoyant aux dispositions de l’article L.115-3 du Code de l’action sociale instituant une aide aux plus démunis et interdisant les coupures d’eau en période hivernale.
Protection des milieux
Les députés ont ensuite adopté les dispositions de renforcement et de simplification des pouvoirs de la police de l’eau et sanctionnant les ouvrages hydroélectriques exploités sans titre de concession.
Ils ont voté l’article punissant de 20.000 euros d’amende la destruction sans autorisation des frayères et des zones de croissance et d’alimentation de la faune piscicole, et ont rétabli un article supprimé par le Sénat instaurant l’information des fédérations de pêche des travaux ou ouvrages susceptibles d’affecter la faune piscicole.
L’Assemblée a également adopté une disposition permettant aux maires d’exécuter d’office les opérations d’entretien des cours d’eau aux frais des propriétaires en cas de défaillance.
Dans le même registre, la sécurisation des torrents est désormais inscrite parmi les opérations d’entretien des cours d’eau.
Un amendement réaffirme ensuite le principe de l’information des fédérations de pêche des travaux susceptibles de présenter des risques pour la faune piscicole.
Prévention des inondations
Un autre amendement réaffirme clairement l’objectif de prévention des inondations, de façon à ce qu’il soit bien pris en compte dans le cadre de la révision des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) et de l’élaboration des schémas d’aménagement et de gestion des eaux (Sage).
Aménagement des ouvrages pour la circulation des engins nautiques non-motorisés
Un décret en Conseil d’Etat déterminera les conditions d’établissement et d’actualisation de la liste des ouvrages nécessitant un aménagement adapté pour permettre la circulation des engins nautiques non-motorisés.
Contrôle eaux de source en montagne et en milieu rural
Mme Olin a également indiqué qu’en coordination avec le ministre de la Santé et le ministre de l’Intérieur, une mission d’inspection doit travailler à définir les modalités du contrôle des eaux de source en milieu rural ou de montagne. Faisant ainsi partiellement droit aux demandes du député André Chassaigne qui revendiquait que les sources utilisées depuis des générations puissent continuer à l’être sans subir le coût prohibitif des contrôles de qualité qui pèsent lourdement sur les petites communes rurales.
Dispositifs d’assainissement pour les péniches
Les députés ont également décidé que les péniches devront s’équiper en toilettes ou dispositifs de récupération des eaux usées. Toutes les péniches ou navires fixes devront se conformer à cette obligation à compter du 1er janvier 2010. Un dispositif semblable pour les bateaux de plaisance construits après janvier 2008 et qui devront être équipés d’un système de traitement des eaux usées, pourrait être adopté ultérieurement.
Gouvernance et tarification
Les députés ont accordé un délai supplémentaire (2008) aux communes pour se mettre en conformité avec le principe selon lequel toute fourniture d’eau fait l’objet d’une facturation au tarif applicable à la catégorie d’usagers correspondante.
Le plafonnement de la partie fixe des redevances d’eau et d’assainissement est en revanche supprimé.
Un amendement permet également d’inclure les frais de gestion pris en charge par la commune dans les frais remboursables par le propriétaire et l’échelonnement du remboursement de la dette contractée par les propriétaires.
Le thème de la « gouvernance » aura aussi été l’occasion pour M. Henri Emmanuelli et les représentants du PS et du PC d’affronter le rapporteur et la ministre à propos de l’amendement « scélérat » déposé par un sénateur du Cantal, qui vise à interdire les bonifications de subvention qu’accorde en l’espèce depuis 1995 le Conseil général des Landes aux collectivités qui optent pour la gestion directe de l’eau et de l’assainissement. En dépit des mises en garde répétées de M. Henri Emmanuelli affirmant que ce projet de loi serait entâché par cette disposition « scélérate », un amendement proposant sa suppression a été rejeté en scrutin public.
Enfin, un amendement présenté par le rapporteur André Flajolet complète l’article 49 du projet de loi en prévoyant une validation législative de certains contrats de délégation de service public d’eau et d’assainissement susceptibles d’être annulés pour une irrégularité mineure - lorsqu’une collectivité a immédiatement appliqué une décision au lieu d’attendre un retour de la sous-préfecture à laquelle l’acte a été transmis. (Veolia, Suez et la Saur trouvent là une nouvelle raison de se féliciter de la « sagesse » de l’Assemblée…)
Eaux usées non domestiques
Une sanction pénale de 10.000 euros d’amende est créée en cas de déversement d’eaux usées non autorisé dans le réseau public de collecte.
Fonds de garantie boues d’épuration
Les députés ont par ailleurs suivi le Sénat en acceptant de diminuer de moitié la taxe sur les boues d’épuration, créée pour alimenter un fonds de garantie des risques liés à leur épandage. Le dispositif permet d’indemniser les agriculteurs dont les terres auraient été polluées par un épandage mal contrôlé et les sénateurs avaient décidé de plafonner la taxe à un niveau qui ne pèse pas trop sur le prix de l’eau.
Compétences des départements
Un amendement « de compromis » vise à circonscrire les domaines d’intervention des services d’assistance technique et d’étude aux stations d’épuration (Satese), en recentrant leurs interventions sur l’assainissement et la protection de la ressource, « dans un souci d’efficacité ». Ce qui ne règle pas sur le fond la question du domaine d’intervention des Satese, mais leur interdit de facto de s’ouvrir à de nouvelles missions, qui vont être dévolues au secteur privé.
Assainissement non collectif
Un dispositif stipulant que les communes devront avoir fait contrôler toutes les fosses septiques d’ici fin 2012 pour vérifier qu’elles ne sont pas polluantes a également été adopté. Le texte renforce ainsi les compétences des communes en matière d’assainissement non collectif (non raccordé aux égouts). Le propriétaire d’une fosse septique doit assurer son entretien régulier et en cas de non conformité à l’issue du contrôle il devra procéder aux travaux prescrits dans un délai de quatre ans.
Les députés ont par ailleurs rétabli le principe d’un crédit d’impôt pour les familles effectuant des travaux d’assainissement individuel, que le Sénat avait supprimé. Il s’agit d’un crédit d’impôt de 25%, compte tenu des dispositions rendant plus contraignant l’assainissement individuel.
En effet, un amendement proposé par le rapporteur, affirme, davantage que ne l’a fait le Sénat, la compétence des communes en matière d’assainissement non-collectif (ANC). Le délai dans lequel le propriétaire doit faire procéder aux travaux prescrits par le document établi à l’issue du contrôle est porté à quatre ans.
Le rapporteur a notamment souhaité que la commune ne puisse renoncer à l’exercice de cette responsabilité, même si elle garde la faculté de déléguer la gestion du service à un opérateur privé.
L’exercice des missions de contrôle des communes en matière d’ANC est également « clarifié ». Un contrôle de ces installations sera effectué tous les six ans au plus tard.
Gestion des eaux pluviales
Tout en rappelant l’attachement des sénateurs à la taxe sur les eaux pluviales dont l’objectif est de soulager le budget général des communes pour tout ce qui a trait au financement de la matrice des eaux pluviales, la ministre avait déclaré comprendre le souci de ne pas créer une nouvelle taxe, et s’en remettre sur ce sujet à la sagesse de l’Assemblée.
S’agissant du crédit d’impôts pour la récupération des eaux pluviales, la ministre de l’Ecologie déclarait par ailleurs ne pas être opposée à une légère augmentation du taux d’abattement adopté au Sénat, afin de rendre ce crédit plus incitatif.
Un amendement, présenté par le rapporteur André Flajolet (UMP), a en fait supprimé la taxe pour la collecte, le transport, le stockage et le traitement des eaux pluviales. En effet, bien que le Sénat ait choisi une assiette différente de celle retenue en première lecture, la solution adoptée paraissait complexe à mettre en oeuvre.
Les députés ont aussi relevé à 25% (avec un plafond de 8.000 euros) le taux du crédit d’impôt en faveur de l’installation par les particuliers de systèmes de collecte, de traitement et de distribution des eaux pluviales. Initialement prévu à hauteur de 40% par l’Assemblée en première lecture, ce taux avait été baissé à 15% par le Sénat.
Fonds départemental
Les députés ont également supprimé le fonds départemental pour l’alimentation en eau et l’assainissement, considérant qu’il risquait de faire double emploi avec les fonds déjà affectés aux agences de l’eau pour l’alimentation en eau potable et de faire monter la facture d’eau, tout en rendant plus complexe la gouvernance de l’eau…
Participation des usagers
Le 13 décembre, l’Assemblée nationale a également supprimé un autre article du texte qui faisait obligation aux maires des communes de plus de 10.000 habitants et aux présidents des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de plus de 20.000 habitants de mettre en place une "commission consultative des services publics locaux".
Un autre amendement rend désormais facultative la constitution d’une commission consultative des services publics locaux dans les EPCI dont la population est comprise entre 20.000 et 50.000 habitants.
Alors que tous les « acteurs » de l’eau, jusqu’au Cercle Français de l’Eau, revendiquaient l’extension rapide des CCSPL, cette décision éclaire d’un jour cru la réalité des engagements de porter la participation des usagers au cœur de la « gouvernance de l’eau »…
Montant 9ème PPI
Enfin, un amendement présenté notamment par M. André Flajolet et le groupe socialiste prévoit de porter de 12 à 14 milliards d’euros le plafond des dépenses des agences de l’eau pour les années 2007 à 2012. Selon les auteurs de l’amendement, il s’agit de "mettre en cohérence les moyens dont disposent les agences de l’eau avec les objectifs à atteindre en 2015, en application de la directive-cadre sur l’eau".
Redevances et principe « pollueur-payeur »
L’un des moments forts des travaux a été le débat sur le principe "pollueur-payeur", que certains souhaitent voir appliquer de façon plus sévère aux agriculteurs pour l’utilisation des nitrates et des pesticides.
Partisans et adversaires d’un alourdissement des "éco-taxes" pour les agriculteurs se sont affrontés dans les deux assemblées, sur cette question dont UFC-Que Choisir et France Nature Environnement ont fait leur cheval de bataille.
Deux dispositifs majeurs, modifiés au fil des lectures, ont été adoptés sur ce point : une nouvelle assiette de la redevance de pollution sur les élevages, basée sur "le nombre d’unités de gros bétail", et une autre relative à la redevance pour "pollutions diffuses" (pesticides et nitrates) basée sur le degré de dangerosité et toxicité des produits.
L’article 37 réformant les redevances perçues par les agences de l’eau a donc été très discuté, en raison notamment de l’alourdissement des écotaxes pour les agriculteurs.
Ainsi, le projet définit une nouvelle assiette de la redevance de pollution sur les élevages fondée sur le nombre d’unités de gros bétail (UGB) et sur un chargement supérieur à 1,4 UGB par hectare de surface agricole utilisée, le seuil de perception étant fixé à 90 UGB.
Quant à la redevance pour "pollutions diffuses" (pesticides et nitrates), elle sera basée sur le degré de dangerosité et de toxicité des produits.
Les démarches collectives visant à réduire ces pollutions sont encouragées : si la majorité des agriculteurs d’un bassin versant ont contractualisé une mesure agro-environnementale avec une agence de l’eau, la limite de la prime versée par l’agence de l’eau à l’utilisateur final passe de 30% à 50% de la redevance acquittée.
Toujours dans l’article 37, un amendement rend possible une évaluation forfaitaire de la redevance pour pollution de l’eau, si la mesure de cette pollution s’avère trop complexe techniquement.
Il est également prévu que les rejets de chaleur en rivière pendant les mois d’hiver soient exonérés de redevance, au motif qu’ils sont moins susceptibles de porter préjudice à la faune aquatique.
Organisation de la pêche en eau douce
Concernant l’organisation de la pêche en eau douce, l’article 43, marquant la création d’une Fédération nationale de la pêche et des milieux aquatiques et définissant ses attributions, a été complété.
La Fédération de la pêche, qui disposera de recettes provenant des cotisations obligatoires des fédérations adhérentes, proportionnellement au nombre de pêcheurs qu’elles regroupent, devra, à l’instar de la Fédération des chasseurs, assurer une péréquation financière entre fédérations pour les aider à mener à bien leurs missions.