Mesure fortement controversée, la nouvelle loi crée avec l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA), une « septième Agence » dont les missions à la fois ambitieuses et floues vont sensiblement modifier la gouvernance de l’eau.
Les missions imparties par la loi à l’ONEMA, précédemment assurées par le CSP (Conseil supérieur de la pêche), mais aussi par la Direction de l’eau du MEDD, voire par d’autres structures (IFEN, OIEAU, RIOB...) seront désormais, peu ou prou, "externalisées" sous son égide, si l’on considère que leur financement reposera sur un prélèvement annuel de 108 millions d’euros sur la redevance.
Mme Nelly Olin, ministre de l’Ecologie, évoquait, dans un courrier adressé en décembre 2005 aux Présidents des Comités de bassin, les orientations majeures du 9ème Programme, en les situant "dans le cadre d’un partenariat associant l’action régalienne des services de l’Etat et l’outil incitatif dont disposent les agences de l’eau."
M. Bernard Barraqué, spécialiste de l’économie de l’eau (LATTS-CNRS), estimait, à l’occasion d’un colloque dédié au financement des politiques publiques de l’eau organisé à Bobigny le 21 juin 2006, que les dispositions de la LEMA conduisent à ce que "l’on va faire payer la police de l’eau par l’usager".
D’après M. Pascal Berteaud, Directeur de l’eau au MEDD, la création de l’ONEMA se justifie "par le besoin pour la Direction de l’eau de se doter d’un organisme technique suffisamment pointu au niveau national pour pouvoir disposer d’une expertise technique forte pour mettre en place un Systême d’information sur l’eau (SIEau), qui permettra d’évaluer les effets de notre politique sur les milieux aquatiques, dans le contexte de la mise en oeuvre de la DCE".
L’intégration du corps de fonctionnaires du Conseil supérieur de la Pêche (CSP) au sein de l’ONEMA, fonctionnaires qui assuraient pour partie la police de l’eau, répond aussi à la nécessité de proroger l’action du CSP, Etablissement public de l’Etat en quasi faillite, une situation en partie liée à ce qui est généralement présenté comme un "phénomène générationnel" : la baisse drastique de l’encours des cotisations liées à la délivrance des permis de pêche.
L’examen des missions imparties à l’ONEMA, définies par la loi et financées par une enveloppe annuelle de 108 millions d’euros, prélevée sur la redevance, permet de constater qu’elles englobent :
– les études générales, les recherches et les connaissances pour permettre l’évaluation ;
– la surveillance des milieux aquatiques (intégration du CSP) ;
– l’information et la sensibilisation au niveau national (Article 14 de la DCE : participation des usagers, consultation pour révision SDAGE en 2007...) ;
– l’évaluation par la publication d’indicateurs de performance des services d’eau et d’assainissement (voir infra) ;
– la solidarité inter-bassins : l’ONEMA prendra notamment en charge la nécessaire solidarité avec l’Outre-Mer assurée précédemment par la Direction de l’eau et les anciennes missions assurées par l’Etat au titre du FNDAE.
Sous l’appellation anodine de "surveillance des milieux aquatiques", l’article 41 du projet de loi précise que l’ONEMA "contribue à la prévention des inondations". Nombre d’observateurs soulignent le risque de voir ces missions s’étendre à la gestion des crues, sans recettes associées. A cet égard la seule région du Sud-Est va devoir mobiliser des investissements considérables dans les prochaines années. Mme Nelly Olin annoncait à ce titre le 11 juillet 2006 un renforcement de la politique de prévention des risques liés aux inondations, avec un renforcement des programmes de prévention des risques d’inondations par bassins versants et la généralisation des plans d’actions pour les grands fleuves. Précisant que 110 millions d’euros seraient engagés à cet effet d’ici à 2007, s’appuyant "notamment" sur une meilleure utilisation du fonds "Barnier". (Voir Annexes).
Par ailleurs la solidarité avec l’Outre-Mer va demander des mobilisations financières tout aussi considérables. Les milieux aquatiques de l’ensemble des DOM-TOM sont dans une situation catastrophique, souffrent de pollutions qui menacent à brève échéance d’affecter la santé humaine, comme l’a récemment souligné un rapport parlementaire très alarmiste.
Le croisement des missions de l’ONEMA avec les orientations du 9ème PPI dessine des priorités d’intervention et de financement, qui apparaissent pouvoir ré-orienter la politique de subvention des Agences.
Le nombre de missions nouvelles devant être financées par la redevance, au titre de la "préservation des milieux aquatiques" au sens large, dans l’esprit de la DCE (régulation des crues, contrats de baie, contrats de nappes, contrats de rivières, phytosanitaires, protection des captages, zones humides, Directive baignade, à quoi il faut ajouter la création de nouvelles capacités d’approvisionnement pour l’eau agricole et les actions d’information et d’association des usagers aux politiques publiques...), va à l’évidence restreindre les interventions financières "classiques" des Agences au bénéfice des collectivités, qui font pourtant face, et à l’entrée dans une période de renouvellement intensif de leurs infrastructures et réseaux, et à l’exigence de se conformer à des normes plus restrictives que par le passé, notamment en matière d’assainissement, avec la remise à niveau par rapport aux obligations de la DERU 91. Ou dans la région parisienne le classement en zone sensible, acté par les décrets adoptés par les préfets concernés en décembre 2005.
Noter aussi les très nettes divergences d’appréciation qui se sont fait jour entre l’Assemblée et le Sénat quant aux nouvelles dispositions autorisant un financement spécifique de la gestion des eaux pluviales, et le projet de création, optionnelle, d’un nouveau Fonds départemental pour l’eau et l’assainissement, qui conforterait, au plan financier, les missions de l’ex-FNDAE, désormais financées par la redevance, et pilotées par les Agences.
Avant même l’adoption de la loi ce sont donc ces orientations qui ont été validées par les Comités de bassin fin juin-début juillet 2006.
L’article 36 de la LEMA formalise clairement ces nouvelles orientations :
I. Les orientations prioritaires des PPI des agences de l’eau pour les années 2007 à 2012 sont les suivantes :
1. Contribuer à la réalisation des objectifs du schéma mantionné à l’article L. 212-1 du code de l’environnement, en application de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau :
2. Contribuer à la réalisation des objectifs du schéma mentionné à l’article L. 212-3 du même code ;
3. Contribuer à l’épuration des eaux usées, au traitement des boues, à la réduction des rejets industriels, à l’élimination des rejets de substances dangereuses et à la maîtrise des pollutions des eaux de toutes origines ;
4. Contribuer à la sécurité de la distribution de l’eau et à la qualité de l’eau distribuée, en privilégiant les actions préventives en amont des points de captage de l’eau destinée à la consommation humaine ;
4 bis. Contribuer à la solidarité avec les communes rurales en attribuant des subventions en capital aux collectivités territoriales et à leurs groupements pour l’exécution de travaux d’alimentation en eau potable et d’assainissement ;
5. Créer les conditions d’un développement durable des activités économiques utilisatrices d’eau en favorisant notamment la lutte contre les fuites et les économies d’eau y compris par une action programmée sur les réseaux et les recyclages, ainsi que l’utilisation de ressources respectant un équilibre entre volumes consommés et ressources disponibles ou la mobilisation de ressources nouvelles dans la mesure où l’impact global au regard des intérêts mentionnés à l’article L. 211-1 du code de l’environnement est positif à l’échelle du bassin versant ;
6. Mener et favoriser des actions de préservation des écosystêmes aquatiques et des zones humides, d’amélioration de la gestion, de la restauration et de l’entretien des milieux aquatiques et des zones humides, et de leurs usages professionnels, sportifs et de loisirs ;
7. Contribuer à la régulation des crues par l’accroissement de la capacité de rétention des zones naturelles d’expansion des crues, un meilleur entretien des rivières et la restauration de leur lit ;
8. Mener et soutenir au niveau du bassin des actions d’information, de communication, d’information et de sensibilisation du public dans le domaine de l’eau, de la protection des milieux aquatiques et de l’assainissement ; favoriser la sensibilisation dans les établissements scolaires aux problématiques locales, nationales et mondiales de l’eau et de santé, ainsi que leur engagement dans ce domaine ;
9. Participer à l’élaboration et au financement des contrats de rivière, de baie ou de nappe ;
10. (nouveau) Mener et soutenir des actions de coopération internationale en vue de faciliter l’atteinte des objectifs du sommet mondial du développement durable d’aout-septembre 2002 et de favoriser la coopération entre organismes de gestion de bassins hydrographiques. (Loi Oudin-Santini).
Les délibérations des agences de l’eau doivent être compatibles avec les orientations ci-dessus.
II. - Le montant des dépenses des agences de l’eau pour les années 2007 à 2012 ne peut excéder 14 milliards d’euros, hors primes mentionnées au I de l’article L. 213-9-2 du code de l’environnement et contribution à l’Onema. Le montant des dépenses spécifiques versées par les agences de l’eau au titre de la solidarité avec les communes rurales en application du VI du même titre ne peut pas être inférieur à 1 milliard d’euros entre 2007 et 2012. Pour l’application du V du même article, le total des contributions des agences de l’eau aux ressources financières de l’Onema ne peut excéder 108 millions d’euros par an."
(Le Sénat a réduit en septembre 2006 l’enveloppe globale des redevances à un plafond de 12 milliards d’euros, en échange du rétablissement de la création d’une nouvelle taxe "pluvial", et de la création d’un Fonds départemental, deux innovations qui avaient été supprimées par l’Assemblée nationale en mai 2006).
La constitutionnalité des redevances.
Le nouvel encadrement par le Parlement des politiques publiques de l’eau, légitimé par le problème de la non-constitutionnalité des redevances fait apparaître qu’une nouvelle "gouvernance" se substitue à la large autonomie dont bénéficiait jusqu’à présent le dispositif Agences-Comités de bassin.
– Chaque année le Parlement, qui définira désormais les orientations prioritaires du PPI, fixe le plafond global des dépenses des Agences et le montant des contributions allouées à l’ONEMA.
– Le Conseil d’administration des Agences, dont le Directeur reste nommé par décret, adopte des délibérations relatives au PPI et au taux des redevances, sur avis conforme du Comité de bassin, en respectant les dispositions qui encadrent le montant pluriannuel global, par grand domaine d’intervention, qui font l’objet d’un arrêté conjoint MEDD-Bercy, après avis du Comité National de l’Eau.
– Enfin, l’exécution du PPI (recettes-dépenses) fait chaque année l’objet d’un rapport annexé au projet de Loi de Finances.
Note : l’ensemble de ce processus apparaît en ligne avec la loi LOLF, qui confère d’importants pouvoirs d’intervention au Parlement, au regard de l’appréciation qu’il est porté à formuler sur l’utilisation des finances publiques.