Le marché de l’eau francilien est à feu et à sang. L’opposition UMP du Conseil de Paris vient d’attaquer le 23 janvier dernier devant le Tribunal administratif la décision de la majorité conduite par M. Delanoë de re-municipaliser la gestion de l’eau dans la capitale. La Coordination Eau Ile-de-France dépose le mercredi 4 février devant le même tribunal administratif un recours demandant l’annulation de la décision du Syndicat des eaux d’Ile-de-France (SEDIF), en date du 11 décembre 2008, de confier à un opérateur privé la gestion du plus important syndicat des eaux européen, à l’expiration de l’actuel contrat le 31 décembre 2010. Un contrat alloué à Veolia depuis 1923... Ce même mercredi 4 février, le SEDIF, sous la pression de Suez Environnement, invite les délégués de 144 communes de la banlieue parisienne à prendre connaissance des premières conclusions d’un groupe de travail créé dans l’urgence, qui a réfléchi à l’éventualité du découpage en trois « lots » du plus important « marché de l’eau » français.
Elus, partis, entreprises et lobbyistes sont sur le sentier de la guerre. Car la guerre est bel est bien déclarée. Les deux multinationales françaises mobilisent toutes leurs forces dans un combat sans merci dont l’issue apparaît encore incertaine.
Enjeu, la recomposition à l’horizon des 5 à 10 prochaines années du marché de l’eau en France.
Il y a ceux qui ne veulent rien changer, et ceux « qui veulent tout changer pour que rien ne change », même si Le Guépard n’est pas leur livre de chevet.
Gigantesque théâtre d’ombres. Manœuvres, annonces, faux-semblants. Un polar qui va nous occuper un bon moment.
Acte 1, et coup de tonnerre dans un ciel rien moins que serein, le 23 janvier dernier deux figures de l’UMP au Conseil de Paris, M. Jérôme Dubus, Vice-président du groupe UMP au Conseil de Paris et M. Jean-François Legaret, maire (UMP) du 1er arrondissement, déposent devant le Tribunal administratif de Paris un recours contre la décision prise le 24 novembre 2008 par la majorité du même Conseil de Paris d’engager la re-municipalisation de la distribution de l’eau dans la capitale, et de créer un opérateur public qui y contrôlera toute la chaîne de la gestion de l’eau.
Seul le journal gratuit de M. Bolloré, Direct Matin, nous aura, à ce jour, distillé cette information « capitale », sous l’angle d’un article produit par le quotidien Le Monde pour ledit journal gratuit... Comme il ne s’agissait pas du « pass Navigo », qui vient de susciter un nouveau coup de torchon entre M. Bolloré et Le Monde, l’article est paru. Mais qui lit « Direct Matin » ?
Fervents lecteurs d’Eaux glacées, au premier rang desquels nos amis de Veolia et Suez, vous voilà informés... Et nous profitons de l’occasion pour vous apprendre que quoique honorés de figurer, après-demain, dans le « TOP 10 des Blogs environnement, » comme nous en a gracieusement averti l’agrégateur Wikio, nous résistons vaillamment aux offres de sponsoring et de publicité qui viennent, comme c’est étrange, de nous parvenir.
Mais revenons à nos moutons (noirs) et saluons l’impeccable chute de notre confrère Eric Nunes, qui galège ouvertement dans Direct-Matin : « Quel est l’intérêt pour la droite qui va apparaître dans cette opération comme étant au service des intérêts des grandes entreprises ? »
Cher Eric, en toute confraternité, écrire dans les colonnes de « Direct-Matin » que la droite pourrait avoir un autre projet existentiel que se mettre au service des intérêts des grandes entreprises vous conduirait à l’évidence à voir s’interrompre votre collaboration à cette feuille aussi improbable qu’ubuesque. Nous ne vous tiendrons donc pas rigueur de votre insolent oxymore. Ceci étant, nous ne sommes pas M. Bolloré. Et tous nos vœux vous accompagnent.
Acte 2, sous forme d’écho tout aussi imprévu, la Coordination Eau Ile-de-France, une association d’usagers franciliens qui s’est fortement investie depuis l’été 2008 dans le combat pour une remunicipalisation du SEDIF, et s’est dépensée sans compter pour ce faire, notamment en participant à plus d’une cinquantaine de débats publics organisés dans des communes de la banlieue parisienne, dépose le mercredi 4 février 2009 un recours devant le Tribunal administratif de Paris.
L’association y sollicite l’annulation pure et simple de la délibération adoptée le 11 décembre 2008 par une majorité de délégués du Syndicat des eaux d’Ile-de-France (dont hélas des délégués de gauche qui s’étaient publiquement engagés, comme leurs partis, en faveur d’une gestion publique du syndicat...) d’opter à l’expiration de l’actuel contrat, détenu par Veolia depuis... 1923, pour la poursuite d’une gestion privée du plus important syndicat des eaux européen.
Le Tribunal administratif ne devrait pas rendre sa décision avant un an. Au vu des arguments invoqués par l’association dans son recours, la suite de la procédure engagée par le Syndicat ne semble pas s’annoncer comme une partie de plaisir.
Acte 3, rouge, impair et passe ? Dans un discret havre germanopratin, les délégués des 144 communes du SEDIF sont invités le mercredi 4 février à ouïr les conclusions des premiers travaux engagés par une commission « ad hoc », constituée à partir de trois groupes de travail, eux-mêmes créés il y a peu, qui planchent, à n’en pas douter assidûment, sur les importants sujets des travaux, des finances et de la tarification sociale, autant de chantiers qui mobilisent tout le talent, le savoir-faire, l’entregent et toutes ces sortes de choses des élus admis dans ces cénacles.
Au menu, un aérolithe : « l’allotissement ». Kézako ?
Suez Environnement a décidé à la fin du mois de novembre 2008 de faire la nique à Veolia.
Bon, le moment est bien choisi. En ce moment même M. Henri Proglio, P-DG de Veolia, après avoir perdu il y a quinze jours son distingué directeur financier M. Jérôme Contamine, cherche désespérément un milliard d’euros pour honorer un remboursement qui arrive à échéance sous peu. Mais les milliards d’euros, par les temps qui courent, ne fleurissent pas sous les sabots des chevaux. Bref, quoique n’étant aucunement actionnaire de la multinationale, nous ne doutons pas que M. Proglio ne finisse par trouver son milliard. Vaudrait mieux, déjà que son Conseil d’administration s’agite...
Revenons à notre « allotissement ». Suez voudrait que ce marché colossal soit découpé en trois « lots ». Hypothèse on l’imagine qui n’enchante ni Veolia, ni M. Santini. Ce dernier étant prompt à qualifier toute remise en cause de son admirable gouvernance à des menées quasi-terroristes conduites par les légions de l’ultra-gauche, vous noterez combien nous usons de la litote !
Reste que Suez persiste, comme en témoigne la nouvelle publication d’un encart dans le quotidien gratuit 20 Minutes, à la veille de la réunion informelle que le SEDIF consacré à la question de l’allotissement..
Bref, comment le comité central du SEDIF va-t-il sortir de ce pataquès ?
S’il campe ferme sur ses positions, un lot sinon rien, ça va tanguer au prochain comité syndical, surtout si l’on tient compte qu’un nombre non négligeable de délégués sont déjà acquis aux trois lots. D’ailleurs étrangement oublieux de la décision qu’ils ont majoritairement votée il y a peu de fourguer ledit lot à celui qui s’en occupe déjà. A la satisfaction générale.
(Et nous faisons en outre joyeusement l’économie des analyses juridiques attenant à cette invraisemblable procédure de choix du futur mode de gestion du syndicat qui va faire la fortune d’une armée d’avocats !)
Nous attendons donc avec le plus grand intérêt les conclusions de notre séminaire germanopratin.
Car nous n’avons encore rien vu. En coulisses, ça phosphore, les couteaux sont tirés. Les alliances les plus improbables s’échafaudent en catimini.
Notez que nous ne sommes aucunement friands de la théorie du complot.
L’anomie gagne.
"L’ancien n’est pas complètement mort, le nouveau n’est pas encore né. La lutte va être terrible."
Antonio Gramsci.
commentaires
Tu plaisantes j’espère, cette histoire d’allotissement ça serait pire que tout, surtout parce que ils se renverront tous la patate chaude si’l y a un problème. En plus, si les élus ont déjà du mal à contrôler un prestataire je ne vois pas comment ça pourrait arranger les choses qu’ils en suivent 3 ou 4.
Marc vous qui connaissez super bien le sujet quelle est votre position perso sur l’allotissement ? est ce qu’il ne va pas y avoir des doublons voire des triplons sur certains postes de dépense ?
C’est vrai que je ne suis pas spécialiste, mais il me semble que le monopole (une seule firme qui détient tout le réseau et toute l’info), c’est pire que tout. Une vraie mise en concurrence permettrait de casser cette "boite noire".
En attendant que le recours contre la décision du SEDIF puisse avoir un effet, j’espère au moins que les délégués décideront (après des décennies de monopole) de mettre Veolia en concurrence sur les divers lots. Dans l’immédiat, c’est le meilleur moyen pour les collectivités (et les usagers !) d’avoir un meilleur contrôle sur l’action des compagnies privées et sur la tarification.