La Cinquième va rediffuser le dimanche 9 mai à 16h35 un documentaire réalisé en 2019 par Mme Sylvie Aguirre, dont la première vision lundi dernier en début de soirée nous a plongé dans un état semi-comateux, tant l’exaspération et l’abattement le disputaient à un irrépressible fou rire devant pareille propagande, aussi mensongère que niaiseuse, tout droit issue des années 30 du XXème siècle, à l’orée de la glaciation stalinienne. Sauf qu’ici c’est l’idéologie « bobo-verte » triomphante qui nous transporte dans un Puy-du-Fou « écolo » d’une crétinerie sans nom, symptôme accablant du triomphe absolu de la WaltDisneysation du débat public. Même à Paris les spin-doctors de Mme Hidalgo n’ont jamais fait mieux (enfin pire), c’est dire…
Lire la présentation officielle du chef d’œuvre :
« Avec près de 3000 kilomètres de voies navigables, les fleuves français recèlent un formidable potentiel écologique et économique qui ne demande qu’à être développé. Des acteurs associatifs et des entrepreneurs l’ont bien compris et profitent de leur richesse tout en contribuant à la préservation de leur environnement. Ce film propose un tour de France du patrimoine naturel des fleuves et des rivières, de leurs atouts et des actions locales entreprises pour leur sauvetage. Ainsi, une association aide les saumons à remonter la Garonne avec un "aquabus" pour contourner les barrages. Ailleurs, un marché bio itinérant se déplace au fil de la Seine. »
Décryptage
Avertissement : nous vous épargnons couchers de soleil Riviera années 60 comme brâmes langoureux chabadabada de "The Voice" qui nous emballe le poisson (et le PCB), qui ponctuent bien évidemment les séquences de notre appétissant Strüdel bavarois...
La saga « ouvre » avec le portrait extatique d’un genre de Bernadette Soubirous (remastérisée « Gardarem lou brebis), particulièrement gratinée, bergère de son état, rémunérée par le Parc naturel régional de l’Allier pour, chaque jour que Dieu fait, mener paître son troupeau de biquettes, encouragées par les hululements de notre Bernadette, aux fins de s’en aller « créer des sentiers » dans les herbes hautes au bord du fleuve, ce qui représente à l’évidence la dernière version en date des « solutions fondées sur la nature », labellisées par l’OFB et l’INRAE, afin que, dopé par les réchauffement climatique, le fleuve ne s’avise pas de déborder, ceci, on ne le répétera jamais assez, grâce à l’abnégation de notre Bernadette et de ses biquettes.
Notre « feel good movie » commençait déjà très fort. Notre grand ado nous a d’ailleurs rapporté qu’au lycée nombre de ses congénères, biberonnés dans on ne sait quelles madrassas véganoïdes, s’étaient plaints auprès de la directrice de ne pas trouver de filières de Master de gardien de chèvres (aquatique), sur Parcoursup…
S’ensuit le portrait, tout aussi énamouré, des nouveaux chatelains du « Domaine de Penthièvre ». Accrochez-vous, vous entendrez au moins quinze fois « Le Domaine », dans la bouche des nouveaux proprios. Là on se retrouve direct chez Stéphane Bern, hérault macroniste du « Patrimoine ». Papa Chatelain, probablement ex-trader ou banquier d’affaires en cavale, aidé d’un compère, nous explique, démonstration à l’appui, que l’antique moulin adornant le Domaine, au prix d’intenses semaines de réparation, dont nous découvrons les roues, poulies et courroies, va désormais permettre de fournir électricité et chauffage au « Domaine », affirmation que confirme l’allumage de trois ampoules (rescapées des Trente glorieuses), qui peinent encore hélas à illuminer la salle des machines.
Puis vient la séquence émotion, avec Madame la Chatelaine et ses deux ravissantes petites filles en robe vichy dans l’immense jardin (du Domaine). Madame prépare sa reconversion à l’herboristerie. Comme c’est mimi ensuite le plan sur la petite nenfante qui caresse la coccinelle posée sur sa petite menotte ! On enchaîne avec les deux nenfantes dotées d’un petit sécateur, qui s’en vont couper des fleurs avec Moman pour faire du sirop et des médicaments, naturels bien sur. Encore heureux qu’on soit en 2019, sinon on se tapait le traitement (naturel) contre la Covid…
On imagine la suite, printemps 2023, une fois les chambres d’hôte installées, avec tout le mobilier vintage chiné après avoir regardé la Maison C8 sur la chaîne Bolloré, le grand séminaire de co-construction inclusive (et bio-sourcée), à mi-parcours des nouveaux maires EELV, aka Gaïa, « Ouvre-moi les chakras… », en présence de délégations genrées du Chiapas et de la Rojava… Et avec un direct le dimanche dans l’émission « Les bonnes choses » de Caroline Broué à 12h00 sur France Cul.
Vient ensuite le batelier de Strasbourg et ses paniers bio. C’est l’histoire d’un mec tu dirais qu’on est à Venise avec la gondole modèle agricole, et que le keum il se balade toute la journée avec sa grande perche et nous la joue "mon grand père déjà il était batelier, aujourd’hui, hélas, je suis le dernier, mais j’ai inventé quelque chose que les gens aiment bien, je leur livre des paniers bio sur le canal." Et de fait on le voit débouler sur un quai avec sa barcasse, avec sur la rive le papa exemplaire du Figaro Madame, qui a prix rendez-vous par téléphone et s’en vient chercher son petit panier avec junior. « Tu veux des fraises, mon chéri ? ». Après quoi notre ingénieux vendeur de panier dégaine sa botte secrète : « Mais on est moderne, on a même la machine pour les cartes bleues… »
Changement de décor, (faut ratisser large), avec la guinguette autogérée des rescapés néo-zadistes sur le bord de la Loire. Ca ouvre quatre mois chaque été. Le taulier et la taulière, tout un poême ! Lui, le marlou, quarante balais, beau mec charmeur à boucle d’oreille tout juste échappé de Notre-Dame-des-Landes dans les neo-combis tagués, reconvertis en cuisine roulante, dans lesquels officie la taulière, même gabarit, qui te torche des assiettes de salade carotte-quinoa et plus si affinités. Pendant que le marlou dragouille les grand-mères qui ont amené les petits nenfants respirer le bon air et voir la campagne, notre neo-Damia 4.0 semble prête à bramer « C’est mon homme », ça tombe bien la nuit venue il y a aussi des concerts, que l’on imagine autogérés et tout le toutim. Bref, une caricature, post ZAD et Gilets jaunes, de l’Anti-France. Que fait Darmanin ?
En route pour Colmar et le dernier pêcheur professionnel du Rhin (snif), qui se prépare à refiler sa boutique à un jeune impétrant plein de bonne volonté. Notre vieux loup de mer a le physique de l’emploi, barbu, rubicond, un peu enveloppé (attention alerte grossophobie nous couine dans les oreilles notre logiciel anti-dérives intersectionnelles qu’un courrier de Lallement vient de nous enjoindre d’installer fissa sur notre clavier…). Le truc, puisqu’il est le dernier et qu’il connaît les bons coins, c’est qu’il a tissé d’excellentes relations avec tous les chefs étoilés de la région. Evidemment il ne chope pas un beau saumon tous les jours, du coup les livraisons sont aléatoires. Mais ses produits « locaux », « sauvages », sont si renommés que s’il pêche un beau saumon, il appelle son chef, qui appelle à son tour ses meilleurs clients qui veulent re-manger du saumon… Bonne chance au courageux jeune successeur.
S’ensuit la séquence EDF de notre saga. Au pied de la centrale atomique de Golfech quelques « nettoyeurs » semble-t-il rescapés de Tchernobyl, s’affairent autour d’une cage métallique actionnée par un système complexe de chaines et poulies, cage dénommée « ascenseur à poisson », à extraire du bras de Garonne aval (non pas le cardinal La Balue) mais un saumon, qui n’a rien demandé à personne, que notre équipe de choc préposée à la subversion des « obstacles » s’affaire à sauver par transvasement dans un bassin intermédiaire, puis transfert, après anesthésie, dans une glacière de camping, qui sera ensuite placée dans un Kangoo, aux fins d’être relâché (le saumon), via une promenade à grande vitesse dans le Kangoo, à cinquante kilomètres de là, devant les sourires ravis d’une brochette de pêcheurs à la retraite, applaudissant l’exploit à tout rompre. Le combat pour la "continuité", n’en déplaise aux amis des moulins, vient ici de franchir une étape décisive. Et viva la Remontada !
Du coup la toute dernière séquence nous semble un peu cheap. On y découvre en plein mitan de l’Ile Nouvelle, deux iles désormais pacsées sur le delta de la Gironde, un huluberlu à tout coup estampillé LPO, nanti de jumelles, (clone de la vigie de la Flak durant la Bataille de Berlin),qui passe sa vie à décrypter les borborygmes de toutes les catégories connues, comme inconnues, de volatiles divers et variés, qui propulsent la France au tout premier rang de la bataille pour la biodiversité, comme nous l’a confié Mme Pompili, entre deux séances d’enregistrement de Top Chef.
Heureusement que nous ne sommes pas complotistes, sinon nous aurions juré les yeux fermés que cette indécente pantalonnade sortait tout droit des arrière-cuisines de la FNSEA et du MEDEF.
La folklorisation délibérée organisée, systématique, de tout ce qui a trait à l’environnement, à l’initiative, uniment, des écolos eux-mêmes comme de leurs adversaires, pour accéder au pouvoir ou pour s’y maintenir, est l’un des plus grave péril qui menace l’écologie politique.
– Les gardiens du fleuve, Sylvie Aguirre, 2019
Rediffusion le dimanche 9 mai à 16h35
Lire aussi :
– Cinquante ans et plus une seule dent
http://fabrice-nicolino.com/?p=5157
Le Monde sans visa, Fabrice Nicolino, 12 janvier 2021.
commentaires
La folklorisation de l’écologie rend quasiment impossible le financement par le système audiovisuel d’une démarche qui s’intéresserait par exemple à la concentration de PCBs dans les sédiments de tous les grands fleuves français, idem pour les métaux lourds et perturbateurs endocriniens, la guerre de la « continuité », avec les querelles sur les barrages et la relance de la « petite hydraulique », héritage de l’ambassadrice des pingouins, les limites des prélèvements pour refroidir le parc électro-nucléaire à l’horizon des vingt prochaines années, la disparition d’espèces entières de poissons, l’arrivée d’espèces invasives, la « nouvelle cartographie » des rivières, le renouvellement des concessions des grands barrages, l’artificialisation continue du patrimoine hydraulique en ville, avec des pseudo renaturations factices, la perte massive de biodiversité avec la disparition continue des tourbières et des zones humides, les carences dramatiques en matière de prévention des inondations, l’incapacité de modifier un droit spécifique qui trouve ses fondements au Moyen-Age (lits mineur et majeur), la montée en puissance des zoonoses dans les établissements piscicoles, etc.
Merci pour ce joyeux texte, ça fait fonctionner les zygomatiques !
Une critique féroce et rigolarde du potage béat de vermicelles d’anecdotes où nous noient des chroniqueurs qui en sont restés aux images de chevaux de trait tirant quelque chaloupe sur un cours d’eau.
Mais pourquoi ne pas compléter la satire d’une liste d’exemples -une douzaine, pas davantage pour commencer- de questions, locales, régionales ou globales, liées à l’avenir d’un autre cycle de l’eau que celui du calendrier des Postes ?