La Commission européenne a ouvert une procédure d’infraction contre la France pour non respect de la directive sur l’eau sur le site du barrage controversé de Sivens (Tarn), a-t-on appris mercredi 26 novembre de source européenne.
Le projet de barrage, contesté, de Sivens, situé sur une zone humide, a été suspendu sine die après la mort du jeune botaniste Rémi Fraisse, tué par une grenade offensive lancée par les gendarmes, ce qui a provoqué un très important mouvement de protestation, en France et à l’étranger.
L’exécutif européen a adressé à la France "une lettre de mise en demeure", a-t-on précisé de même source, expliquant qu’il s’agissait de la première étape de la procédure et que le stade de sanctions était encore loin.
La France dispose de deux mois pour répondre et, si ce retour n’est pas satisfaisant, la Commission lui adresse un avis motivé qui peut être suivi d’une saisine de la Cour de justice de l’Union européenne.
La directive cadre européenne sur l’eau du 23 octobre 2000, pierre angulaire des politiques publiques de l’eau, vise notamment à promouvoir l’utilisation durable de l’eau et à prévenir la pollution.
Une zone humide, telle que celle du Testet où devait être établi le barrage de Sivens, se caractérise précisément par la place prépondérante de l’eau dans l’écosystème.
La deuxième mission d’inspection dépêchée sur place par Ségolène Royal, avec comme "feuille de route" d’explorer des "solutions alternatives" au barrage de Sivens, avant Noël prochain, en voit sa tâche considérablement compliquée... au vif soulagement du gouvernement confronté à une véritable affaire d’Etat.
La réaction du Comité pour la sauvegarde de la zone humide du Testet
"La Commission européenne a annoncé ce 26 novembre l’ouverture d’une procédure d’infraction contre la France pour non-respect de la législation européenne dans le cadre du projet de barrage de Sivens.
Elle a déclaré que « sur la base des informations dont elle dispose, les autorités françaises ont lancé le projet nonobstant la détérioration de l’état écologique de la masse d’eau qu’il est susceptible d’entraîner ».
Le Collectif attend désormais d’avoir communication des éléments précis sur les points de non-respect des directives européennes selon la Commission.
La ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, a déclaré aux journalistes que « les choses seront faites en toute transparence » et que « ce document européen (...) va nous permettre, en intégrant ces critères, de faire en sorte que le nouveau projet respecte ces critères".
Les causes de cette procédure d’infraction vont fortement influencer les scénarios discutés dans le cadre du processus de dialogue multi-acteurs mené actuellement sous l’égide de la Ministre.
Si la Commission européenne vise la rupture de la continuité écologique, par exemple le fait de mettre un barrage qui empêche la migration des poissons ou la circulation des sédiments, cela écarterait toute poursuite du barrage de Sivens, même redimensionné, comme le proposent 2 scénarios du rapport d’expertise remis à la Ministre fin octobre.
Cette procédure d’infraction suspend le financement du projet de barrage de Sivens par des fonds européens. Un peu plus de 2 millions d’euros ont été programmés par le Préfet de Région, en novembre 2013, à partir des fonds FEADER. Ce financement était déjà remis en cause par les experts du CGEDD, alertés par le Collectif, sur l’incompatibilité de ce financement avec l’augmentation des surfaces irriguées.
Dans leur rapport rendu public le 26/10/14, ils concluent : « Il existe un véritable problème de compatibilité entre le projet, tel qu’il est actuellement présenté, les règles d’intervention du FEADER, et les règles applicables en matière d’aides publiques ». Le Collectif avait pourtant alerté les autorités publiques de ce problème dès septembre 2013…
Cette décision européenne n’est pas une grande surprise puisque, suite aux questions parlementaires de l’eurodéputée (EELV) Catherine Grèze, la Commission avait demandé à la France, dès novembre 2013, des garanties.
Les autorités françaises ont répondu seulement 4 mois plus tard, en mars 2014 (période prévue initialement pour le déboisement du site), espérant peut-être que le chantier serait suffisamment avancé pour justifier de ne plus pouvoir faire machine arrière…
Le 28 juillet 2014, la Commission européenne avait notifié au gouvernement qu’elle considérait que ses réponses n’apportaient pas les garanties du respect des directives européennes. Ce qui ouvrait la porte à une procédure d’infraction.
Pour Ben Lefetey, porte-parole du Collectif : « Les questions qui se posent aujourd’hui sont pourquoi le Ministre chargé de l’écologie fin 2013, Philippe Martin, a autorisé un projet aujourd’hui retoqué par la Commission européenne comme ne respectant pas la directive-cadre sur l’eau ? Pourquoi le Préfet de Région a validé un financement FEADER qui est incompatible avec le projet ? Pourquoi le Conseil Général et la Préfecture du Tarn ont démarré un chantier, le 1er septembre 2014, avec de nombreuses forces de l’ordre alors qu’ils savaient depuis fin juillet qu’ils risquaient une procédure d’infraction et la perte des fonds européens ? ».
Pour éviter que ne se reproduisent d’autres drames humains et écologiques comme à Sivens, les responsabilités et les fautes devront êtres identifiés. Des procédures nouvelles doivent se mettre en place en France comme la vérification avant travaux que les règles européennes sont bien respectées."
SIVENS/TESTET : le dossier d’Eaux glacées
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— Sivens/Testet : la Commission européenne lance une procedure d’infraction
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commentaires
De fait l’équation économique apparaît un bien meilleur angle, mais c’est aussi ouvrir la boite de Pandore, ceci explique peut-être cela ?
La notion de respect/non respect de la DCE par ce projet de barrage reste une hypothèse de travail qu’il sera assez difficile de démontrer :
L’état écologique de la rivière Le Tescou s’évalue sur une station de mesure dite représentative de la masse d’eau et non pas en tout point de la rivière. Cette station est située sur le tiers aval du bassin versant. Le barrage de Sivens quant à lui est situé sur le tiers amont du bassin. Aujourd’hui la qualité physico chimique de la rivière est bonne. Par contre sa qualité biologique est pénalisée par les indicateurs Diatomées et poisson. Au final l’état écologique est considéré comme moyen.
L’hypothèse que le barrage dégradera la qualité physico chimique à la station aval, 20 km plus bas n’est pas la plus certaine : quel paramètre en serait affecté à cette distance, qui plus est si le barrage assure effectivement un débit d’étiage et une dilution supplémentaire comme l’indique le projet (et qu’en contre partie les prélèvements directs dans la rivière par les irrigants sont supprimés) ? Peut être indirectement les teneurs en oxygène et le COD en cas d’eutrophisation sur le plan d’eau ? Mais cette eutrophisation possible n’est pas certaine car la charge phosphore du bassin amont est faible.
Quant à l’évolution des indices biologiques dégradés, les diatomées sont très proches du bon état et 20 km à l’aval du barrage l’influence de celui ci sur cet indicateur sera nulle ; cet indicateur souffre plus de l’urbanisation de Montauban et Saint Nauphary.
Si le barrage localement pertubera sérieusement la circulation piscicole sur son proche bassin amont, rien n’assure que l’indicateur poisson IPR à l’aval en subirait des conséquences. Quant à l’indicateur biologique IBGN, aujourd’hui très bon, lui aussi dépends plus de l’impact proche que de l’impact d’un barrage de la taille de Sivens 20 km plus haut.
Au total, faire la démonstration que le barrage dégraderait de moyen (état aujourd’hui) à mauvais (si dégradation il y a)relève de la science fiction. Et argumenter du non respect de la DCE pour interdire sa contruction, reste un moyen juridique très aléatoire et peu convaincant.
L’inutilité économique du barrage ou le choix technique du barrage en travers du cours d’eau alors que des retenues collinaires moins impactantes auraient fait tout aussi bien à meilleur prix, sont de bien meilleurs arguments.