L’annonce que « la réalisation du projet de barrage initial n’est plus d’actualité » par la ministre de l’Ecologie le vendredi 16 janvier 2015 signe un moment décisif d’une crise qui est par ailleurs loin d’être réglée sur place, puisque pro et anti-barrage vont continuer à s’affronter dès le lundi 19 janvier, après la présentation publique à Albi des deux solutions « alternatives » privilégiées par la deuxième mission d’expertise commanditée par Ségolène Royal, qui vient de rendre un nouveau rapport conclusif. Mais cette amorce de « sortie de crise » marque surtout en coulisses l’incertaine tentative de porter un coup d’arrêt à vingt ans de laxisme face au lobby agricole des gouvernements qui se sont succédés depuis l’orée des années 2000. L’arbre de Sivens ne doit pas cacher la forêt. Le gouvernement est aujourd’hui contraint, avec vingt ans de retard, (et sans pouvoir l’afficher officiellement sauf à mettre le feu aux campagnes), d’imposer une nouvelle doctrine en matière de gestion quantitative des ressources en eau pour l’agriculture en France, sauf à voir la Commission européenne, qui a engagé des poursuites contentieuses dans le dossier de Sivens, prendre ensuite argument de l’inadéquation de la doctrine française en matière de « gestion de l’eau en agriculture » pour ouvrir un nouveau contentieux pour non respect des obligations souscrites au titre de la mise en œuvre de la Directive cadre européenne sur l’eau du 23 octobre 2000. Procédure qui se conclurait par des amendes colossales…
C’est ce contexte explosif qui explique les nouvelles tensions qui vont se faire jour localement dès lundi. Au niveau du grand Sud-Ouest, si le Parti du maïs, le Lobby de l’eau et « l’état profond » PS qui les soutiennent obstinément depuis des décennies, doivent accepter la “nouvelle doctrine” en matière de gestion de l’eau en agriculture que les ministères de l’Ecologie et de l’Agriculture ont été contraints d’élaborer dans l’urgence depuis l’automne dernier - sous l’aiguillon du contentieux européen ouvert sur le dossier de Sivens -, c’est toute une “weltanschauung”, une logique économique dépassée (le modèle agricole productiviste), un mépris affiché de l’environnement et des pratiques politiques bien ancrées (chantage, coup de force et combinaziones…) qui seraient vouées à disparaître.
La ministre de l’Ecologie précisait dans le communiqué rendu public le 16 janvier avoir "validé" les deux solutions proposées dans le rapport d’expertise qui lui aurait été remis ce même jour : le premier scénario envisage "la réalisation d’un réservoir de taille plus réduite sur le site de Sivens" et le second inclut plusieurs retenues combinées, notamment en amont du site.
Ces scénarios feront l’objet d’un débat lors de la prochaine session, programmée avant la fin du mois de janvier, du Conseil général du Tarn, maître d’œuvre du projet, ajoutait le communiqué.
Ces nouvelles propositions "sécurisent les besoins en eau découlant du projet de territoire" et "répondent à l’objectif" d’un bon état des eaux, estime le communiqué, précisant que le rapport "établit à 750.000 m3 les besoins de stockage" d’eau. Et propose "un projet de territoire reposant sur des productions à forte valeur ajoutée et génératrices d’emploi local, et sur le renforcement des circuits de proximité". Ce qui "permet de maintenir des exploitations de taille familiale".
Depuis le drame de Sivens, deux missions d’expertise successives, diligentées par le ministère de l’Ecologie, ont travaillé à élaborer un scénario de « sortie de crise », sans pouvoir faire émerger un compromis, même après avoir formalisé à la mi-décembre cinq scénarios alternatifs, dont seuls deux sont désormais retenus.
L’abandon du projet initial de barrage a été vivement critiqué dès le vendredi 16 janvier par ses partisans, qui l’estiment nécessaire pour irriguer les terres agricoles alentour. "Rayer d’un trait de plume le projet pose des soucis : qui va payer les entreprises contractées ? Et ça veut dire qu’on est reparti pour quatre ou huit ans d’études, sans aucune garantie qu’il n’y ait pas encore une fois des zadistes" sur le site du nouveau projet, s’emporte Philippe Jougla, président de la FDSEA du Tarn, le syndicat agricole majoritaire grand défenseur du barrage.
S’affirmant "très suspicieux vis-à-vis des experts", il demeure partisan d’"un ouvrage à l’identique" avec pour seule transformation une réduction du volume d’eau alloué à l’irrigation. Tout en se déclarant prêt à soutenir un projet de barrage "réduit", mais toujours à Sivens, c’est-à-dire avec un volume d’eau d’1 million m3, au lieu d’1,5 million comme initialement prévu. Un scénario qui a également les faveurs de la chambre d’agriculture du Tarn.
Mais pas celles des « antibarrage » qui, s’ils se disent "satisfaits" que le projet initial soit "abandonné", refusent d’apporter "pour l’instant" leur soutien à l’alternative consistant à construire d’autres retenues.
"Nous demandons de nouvelles études et nous estimons qu’il sera démontré qu’aucun ouvrage ne sera nécessaire", a ainsi déclaré à l’AFP Ben Lefetey, porte-parole du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet. Les opposants estiment en effet que les besoins en irrigation peuvent être satisfaits en utilisant les retenues collinaires existantes, des ouvrages de stockage d’eau construits par les agriculteurs eux-mêmes, et remplis par les eaux de ruissellement ou de pompage. S’il est prouvé que les besoins en eau ne peuvent pas être satisfaits par les retenues déjà construites, "alors, il faudra discuter d’un possible ouvrage". "Mais il faudra que ce soit le moins impactant pour l’environnement. Sinon, nous nous réservons le droit d’utiliser des recours en justice", conclut-il.
Irrigation et “projet de territoire”
Il faut revenir en arrière, en amont du drame de Sivens, pour comprendre ce qui s’y joue aujourd’hui. En 2010 un bras de fer oppose les irrigants au gouvernement Fillon, qui devait, après le Grenelle de l’environnement, en application de la loi sur l’eau du 30 décembre 2006, et en cohérence avec la mise en oeuvre de la Directive cadre européenne sur l’eau (DCE), mieux encadrer l’usage de l’eau en agriculture.
En 2011, la présidentielle approche, Nicolas Sarkozy lâche que “l’environnement ça commence à bien faire”… NKM élabore un programme de relance de l’irrigation. Bruno Le Maire, ministre de l’Agriculture prépare deux décrets qui réouvrent en grand les vannes, en autorisant le financement des barrages et retenues collinaires sur fonds publics, sous couvert “d’adaptation au changement climatique”. Les décrets sont publiés au JO par François Fillon le dimanche du second tour de la présidentielle qui consacre la victoire de François Hollande… Peu après sa nomination comme ministre de l’Ecologie, Delphine Batho établit un moratoire sur ces deux décrets, et refuse d’accorder une dérogation au projet de Sivens, qui était opportunément ressorti des cartons, à la faveur du plan “Sarkozy-Fillon-NKM-Le Maire” de relance de l’irrigation.
Mais, sous la pression de la FNSEA, Jean-Marc Ayrault réouvre le dossier dès novembre 2012, et confie la réalisation d’un rapport à Philippe Martin, alors député et président du Conseil général du Gers.
Le “rapport Martin”, entièrement rédigé par un certain Philippe Quévremont, Ingénieur des Ponts et des eaux et Forêts, membre du CGEDD, qui avait déjà signé fin 2011 un précédent rapport qui prônait la relance massive de l’irrigation dans tout le Sud-Ouest, est remis à Jean-Marc Ayrault le 5 juin 2013. Il dissimule la réouverture des vannes de l’irrigation en la déguisant sous l’appellation de “projet de territoire pour la gestion équilibrée de la ressource en eau”.
Le Comité national de l’eau, organe central des turpitudes du Lobby de l’eau, crée un groupe de travail ad hoc qui a pour mission de valider la nouvelle doctrine pro-irrigation, sous cette appellation fallacieuse de “projet de territoire”. Une démarche cruciale car c’est cette nouvelle “doctrine” qui doit permettre à la France de se justifier, en cas de contentieux européen, à l’heure où les irrigants, dans toute la France, exigent la construction de centaines de nouveaux ouvrages.
Entretemps de nombreuses ONG de défense de l’environnement, au premier rang desquelles FNE, dénoncent le rapport Martin, qui a surtout permis d’enterrer en grande pompe un autre rapport, qui venait lui aussi d’être tout juste adopté par le Conseil économique social et environnemental (CESE), et qui prônait une toute autre approche de l’usage de l’eau en agriculture, puisqu’il défendait un nouveau modèle agricole respectueux de l’environnement…
Philippe Martin succède à Delphine Batho le 4 juillet 2013. Sa première décision officielle, un décret publié au JO le 15 juillet, repousse de deux ans la date-butoir à laquelle les irrigants devaient avoir créé des Organismes uniques, censés faciliter une meilleure régulation de l’usage de l’eau en agriculture…
Rebaptisé “Partager la ressource en respectant les milieux naturels aquatiques”, le concept de “projet de territoire” resurgit dans un document de 6 pages rédigé par des haut-fonctionnaires du ministère de l’Agriculture en juin 2013, document qui va cadrer les débats de la table ronde sur l’eau qui se tiendra à la 2ème Conférence environnementale les 20 et 21 septembre 2013, au palais d’Iéna à Paris.
Les 60 participants à cette table ronde, désignés par le gouvernement, qui n’auront chacun que deux minutes pour s’exprimer, dont de nombreux représentants de la FNSEA et de l’APCA, sont invités à valider le concept de “projet de territoire”. Le compte-rendu de la table ronde est repris dans un document publié trois jours plus tard sur le site internet de Matignon, document qualifié de “Feuille de route de la 2ème Conférence environnementale”.
C’est en s’appuyant sur ce document, sans aucune valeur légale, que Philippe Martin, reprenant le concept de “Projet de territoire pour la gestion équilibrée de la ressource en eau” dans un courrier qu’il adresse aux directeurs des Agences de l’eau le 11 octobre 2013, met un terme au moratoire de Delphine Batho.
Son courrier autorise en effet les agences de l’eau à financer à nouveau des projets de barrages er de retenues collinaires, sous réserve qu’ils répondent aux caractéristiques des “projets de territoires” définies par le véritable auteur du rapport Martin, Philippe Quévremont, orientations reprises par les hauts-fonctionnaires du ministère de l’Agriculture, favorables à l’irrigation, qui ont préparé la table-ronde sur l’eau de la Deuxième conférence environnementale, co-présidée par Pascal Canfin (qui y déclarera benoitement qu’il n’y connait rien !) et… Stéphane Le Foll.
Ensuite le groupe de travail ad hoc du Comité national de l’eau va “figer” ces préconisations, qui vont devenir les tables de la loi, et faire figure de nouvelle doctrine française pour l’usage de l’eau en agriculture, à la plus grande joie de la FNSEA…
Et c’est donc cet intense lobbying qui permet de relancer de manière accélérée à la fin de l’année 2013 la construction du barrage de Sivens, enlisé depuis la fin 2012 après le refus de Delphine Batho d’autoriser le lancement des travaux par dérogation.
L’Europe s’en mêle
On ne l’apprendra qu’après le drame, mais l’action de l’eurodéputée EE-LV Catherine Grèze, évoquée dans Le Monde le 19 novembre, puis dans Reporterre le 20 novembre 2014, établit sans équivoque la responsabilité du gouvernement dans le drame de Sivens
Dès 2011, bien avant que le projet contesté de barrage ne fasse l’actualité, alertée par les premiers opposants qui le combattent, Catherine Grèze interpelle la Commission européenne, l’alertant sur les innombrables manquements du dossier. Interpellations qu’elle va réitérer à six reprises jusqu’en 2014.
En novembre 2013 la Commission interpelle la France, dans le cadre d’une procédure pré-contentieuse EU-Pilot, et lui demande de lui apporter toutes les garanties que le projet respecte les réglementations française et européenne. Par l’intermédiaire du Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE), rattaché à Matignon et compétent en la matière, la France répond quatre mois plus tard à la Commission, et lui adresse un memorandum de huit pages, en défense du projet, daté du 7 mars 2014.
Le 28 juillet 2014, la Commission européenne notifie au gouvernement français qu’elle considère que ses réponses n’apportent pas les garanties du respect des directives européennes. Ce qui ouvre la porte à une procédure d’infraction.
Cette procédure, plus que probable dès le mois d’août 2014, à la lumière de la réponse de la Commission, rendrait impossible le financement européen du projet qui représentait plus de 2 millions d’euros, soit 21 % du financement global du projet de barrage.
L’attitude du gouvernement apparaît rétrospectivement totalement scandaleuse, puisqu’il était non seulement parfaitement informé qu’une procédure de pré-contentieux instruite par la Commission avait toutes les chances d’aboutir, mais qu’il aura nécessairement défendu ce projet dans la note adressée le 7 mars 2014, via le Secrétariat aux affaires européennes, directement rattaché à Matignon, aux services de la Commission.
Rappelons que le périmètre et la composition du « gouvernement de combat » de M. Manuel Valls n’ont été rendus publics que le 1er avril 2014. Jusqu’à cette date le ministère de l’Écologie, dont les services ont obligatoirement été saisis pour alimenter la réponse adressée le 7 mars 2014 par le Secrétariat aux affaires européennes à la Commission, était dirigé par un certain... Philippe Martin.
De fait, après le drame, la Commission européenne annonce, le 26 novembre 2014, l’ouverture d’une procédure d’infraction contre la France pour non-respect de la législation européenne dans le cadre du projet de barrage de Sivens. Déclarant que « sur la base des informations dont elle dispose, les autorités françaises ont lancé le projet nonobstant la détérioration de l’état écologique de la masse d’eau qu’il est susceptible d’entraîner. »
Le piège
La crise provoquée par le drame de Sivens dépasse dès lors très largement les rives du Tescou et le département du Tarn.
Le gouvernement doit trouver une issue à l’affaire de Sivens, qui continue localement à exacerber les tensions, puisqu’aucun consensus n’a pu se faire jour autour d’une alternative acceptable par les pro et les anti-barrages.
Mais le véritable enjeu est ailleurs. La Commission européenne a engagé une procédure contentieuse contre la France dans l’affaire de Sivens. La France doit apporter une première réponse à la Commission avant la fin du mois de janvier 2015.
Idéalement il faut pouvoir faire valoir auprès de la Commission qu’une solution satisfaisant aux contraintes de la DCE a été acceptée localement par toutes les parties prenantes, c’est le motif du communiqué de Ségolène Royal du 16 janvier, de la réunion organisée à Albi le lundi 19 janvier, puis du vote de l’assemblée délibérante du Conseil général du Tarn qui est annoncé avant la fin janvier.
Beaucoup plus important, le Comité national de l’eau a examiné dès le 9 décembre une nouvelle version, considérablement amendée (en bien…), du texte dédié aux “Projets de territoire pour la gestion quantitative de l’eau en agriculture”, qui n’a encore aucune valeur légale, puisqu’il devra être adopté en séance plénière par le CNE, avant de se transformer en arrêté, décret ou circulaire, qui établiront légalement la nouvelle doctrine française en matière d’irrigation…
Or ce texte du 9 décembre examiné par le CNE met à bas la doctrine “Quévremont-Martin”, favorable à l’irrigation à outrance, et définit de très nombreux critères qui permettraient, s’ils étaient réellement mis en oeuvre, de procéder à l’aggiornamento que la France aura mis vingt ans à réaliser.
L’enjeu de la sortie de crise de Sivens est donc bien national. Il emporte,
au terme d’un conflit violent au sein même des différentes instances concernées des ministères de l’Agriculture et de l’Ecologie, l’imposition d’une nouvelle doxa, qui va bien au-delà de l’usage de l’eau en agriculture, puisqu’elle revient à promouvoir aux forceps un nouveau modèle agricole, davantage respectueux de l’environnement, comme en témoigne le document élaboré par les associations qui ont participé aux travaux de la mission d’expertise, qui privilégie une approche du "territoire" axée sur de nouvelles pratiques agricoles. Un pied de nez qui doit beaucoup à la présence dans la délégation de FNE national de Florence Denier-Pasquier, sa vice-présidente, et ex-rapporteuse du Rapport du CESE, qui avait été prestement enterré par le rapport "Quévremont-Martin" à l’été 2013...
Dans la foulée, le Conseil régional, à l’initiative de Gérard Onesta, figure historique d’EE-LV très impliqué dans l’affaire, souhaite travailler à une
remise à plat de la problématique de l’irrigation dans la région, tandis qu’une nouvelle mission d’expertise CGEDD-CGEEAAR va elle aussi revoir de fond en comble les fondamentaux de la gestion de l’eau en agriculture dans le grand Sud Ouest, au regard de la nouvelle doctrine française en voie d’adoption (forcée)…
La sortie de crise de Sivens conditionne dès lors pour une bonne part l’avènement, ou non, d’un “aggiornamento” lourd de conséquences, que la FNSEA refuse évidemment, tandis que l’ensemble des associations participant à la concertation mettaient solennellement en garde contre la tentation d’un deuxième passage en force, dans un communiqué commun, publié le lundi 19 janvier 2015 dans la matinée, avant la rencontre prévue à la Préfecture d’Albi. Et que les habitants de la ZAD et le collectif "Tant qu’il y aura des bouilles" réitéraient leur détermination.
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commentaires
Bonjour Maître,
Merci pour votre message. J’ai pris copnnaissance du différend que vous évoquez, mais n’ayant pas de compétences approfondies en droit d’une part, n’étant pas directement partie prenante d’autre part, je me suis surtout efforcé d’analyser les conséquences de Sivens aux niveau national et communautaire, conséquences dont nul ne peut mesurer encore l’impact.
Dans l’immédiat je vous rejoins hélas quant à l’hypothèse du pourrissement, ce qui signerait la victoire du "Sivens Act" sur la nouvelle donne, quoiqu’en la matière rien ne soit encore joué, comme en atteste, nonobstant vos remarques, la position rendue publique par le Collectif, FNE, la Conf, etc.
Demeurant à votre écoute, bien cordialement.
Et l’INRA-IRSTEA dans tout çà ? Ils disent quoi ? Ces dizaines de chercheurs en socio-économie-gestion de l’eau ? Silence assourdissant de la recherche qui va jusqu’à faire s’écrouler les modèles ! Et dissoudre les paradigmes !
Cher Marc Laimé,
J’ai longtemps pensé, comme vous je crois, que la bataille de Sivens allait constituer un tournant, bien entendu sur la question de la gestion de l’eau, mais aussi vis-à-vis des combats de ce type dans ce qu’ils ont à la fois de ponctuel et d’exemplaire. Je croyais que ce combat de Sivens serait d’importance vis-à-vis de cette catastrophe intellectuelle et matérielle qu’est la gestion de l’eau depuis des décennies et que connaissent tous ceux qui ont pu faire quelques études et quelques recherches sur cette question si importante pour l’ensemble de la communauté (et pour l’Humanité).
S’il n’est pas facile et donné au commun des mortels d’entrer dans les textes français et européens qui régissent l’eau, les rapports du Conseil d’Etat, la lecture des rapports d’enquête ou des études d’impact, on peut aussi simplement ouvrir les yeux, chez nous, dans les vallées du Tarn et de la Garonne. Beaucoup l’on fait, et parmi eux des agriculteurs, d’où des combats comme Sivens.
Quant au tournant que nous espérions vous et moi, depuis début novembre, je suis obligé de déchanter.
Je crois que TOUS les opposants ont raté cette affaire de Sivens qui aurait pu être exemplaire si un petit groupe n’avait pas pris le contrôle médiatico-politique de tout le mouvement pour manoeuvrer à des fins partisanes. Il se trouve que ce petit groupe est encarté chez les Verts mais je précise que je ne le confonds pas avec l’ensemble du mouvement EELV, car des préoccupations personnelles y sont patentes.
Ce petit groupe a fait l’inverse de ce qu’il fallait faire début novembre, et ceci en dehors de toutes discussions démocratiques avec les opposants mais aussi avec les adhérents des associations qu’il est censé représenter (ce point étant parfaitement établi et reconnu par des écrits du porte parole de collectif Testet) :
Ce petit groupe ne s’est pas servi du rapport Forray pour porter un coup en justice aux adversaires et il a refusé sans débat d’engager une action en référé en novembre 2014, ce que j’ai critiqué vertement dans plusieurs textes. Pire, il a fait, sans aucune discussion avec la base, une demande d’abrogation des arrêtés ayant permis le barrage, demande qui n’est tombée à l’eau que faute d’accord avec les adversaires !
En lieu et place de faire en sorte qu’un coup porté devant la justice en novembre 2014 rende un peu de justice suite aux graves incidents qui s’étaient déroulés et à la mort de Rémi Fraisse, il ont, ce groupuscule et FNE, utilisé la mort de Rémi Fraisse pour jouer leurs cartes personnelles partisanes et politiciennes.
Avec le résultat que l’on voit aujourd’hui : un pourrissement de la situation sur lequel je préfère ne pas donner de détail (car j’ai toujours soutenu ceux qui se sont battus sur le terrain) du au fait que l’opposition a "perdu la main" depuis novembre 2014.
Selon toute vraisemblance, un nouveau projet va arriver début mars au Conseil général du Tarn alors qu’AUCUNE décision de justice n’aura été rendue pour les opposants dans un dossier judiciaire qui était en or après le rapport Forray. Je rappelle, puisque quelques uns croient encore aux communiqués nombreux des dirigeants médiatiques de "collectif Testet" depuis le 16 janvier, que l’Etat n’a pas le pouvoir de décider quant à un nouveau barrage à Sivens. Ces communiqués ne relèvent que d’opérations de communication tout à fait classiques et usuelles chez les dirigeants politiques. Les gogos sont libres de marcher à ces opérations de com.
La vérité, c’est que l’on s’oriente vers un projet plus petit, dont le montage prendra en compte tout ce qui a été fait et écrit depuis un an (expertises, commission européenne, etc). Je ne souhaite pas donner de détails techniques sur l’opération que j’envisage clairement et que je vois venir grosse comme un lac mais vous connaissez aussi bien que moi la capacité de l’administration à "régulariser", comme on dit si bien, un dossier qui était bel et bien illégal (et mal barré...) au départ.
Ne nous en déplaise, la "bataille de Sivens" risque fort de se ranger bientôt au chapitre des occasions perdues.
Croyez bien que je ne suis pas seul, parmi les opposants de base du barrage, à le regretter.
Bonne continuation à vous tout de même !
Bernard Viguié
Bonjour Maître,
Imaginons un colonel de cavalerie de l’armée polonaise qui, ayant miraculeusement échappé à Katyn, a pris la tête d’un groupe de combattants de l’Armée de l’intérieur, fidèles au gouvernement Sikorski en exil à Londres, et cotoie, dans l’armée des forêts, les groupes de partisans dirigés d’une main de fer par les commissaires politiques du NKVD. Les objurgations de notre colonel ne pèseront d’aucun poids quand il tentera désespérément de convaincre ses “alliés” de ne pas rester l’arme au pied devant Varsovie en flammes puisque, déjà, la seule raison qui prévale est celle qui s’incarnera ensuite dans le geste iconique de la célébrissime photo d’Evgueni Khaldei (truquée ou plutôt posée comme on l’apprendra quelques décennies plus tard) du groupe de fantassins de l’Armée rouge qui plante le 2 mai 1945, pour la plus grande gloire du Petit père des peuples, le drapeau de l’USSR sur le Reichstag, dans Berlin en flammes.
(Dans notre affaire, à la réflexion, et si je vous lis bien, le Petit père des peuples aurait mué en Petit père des peoples, ce qui finirait par me conduire, occurence terrifiante, à me précipiter sur le dernier opus de Finkielkraut…)
Vos Koutouzov, qui ne peuvent pas même se prévaloir d’un oukase du Czar, puisqu’un conciliabule élyséen en catimini en a tenu lieu, ce qui dit tout de la période, vous donneront d’autant moins la parole qu’ils ont de surcroit perdu la bataille ce qui laisse effectivement augurer d’une séquence désastreuse au début du mois de mars prochain.
Nonobstant, il pourrait être utile, dans le droit fil de votre première Tribune dans Libération, d’analyser par prétérition, et dans les mêmes colonnes, la nouvelle impasse qui va se dessiner, résultat inévitable de la tentative d’habillage juridique en cours de finalisation, préalable indispensable au coup de force à venir.
Cet habillage ne me semble pas pouvoir passer au crible d’une justice qui en serait saisie, priorité absolue de la période, avant que le “Je suis Charlie”, “l’Esprit du 11 janvier” et toutes ces sortes de choses n’aboutissent à une prochaine réouverture de Rivesaltes et du camp des Milles, où seront assignés pour une période indéterminée (revêtus de la combinaison verte de l’écologie non punitive qui les distinguera des hôtes de Guantanamo), les complices objectifs des djihadistes verts qui s’opposeront à l’unité nationale derrière le Parti du maïs, le Lobby de l’eau et l’état profond radical cassoulet qui se préparent assidument, comme l’annonce en a été faite, à jouer leur survie aux cantonales le 6 mars prochain.
Bien à vous.
Et cette histoire de milices ? Comme on en parle ici : https://lejournaldetarne.wordpress.com/2015/02/02/sivens-la-zone-humide-prend-feu/
j’ai pris connaissance de votre article avec beaucoup d’intérêt. Mais en ma qualité de juriste et d’opposant au barrage intervenu dans diverses discussions publiques ou internes, je crois que le moment décisif dans la crise de Sivens est celui de l’abandon de la bataille juridique en novembre 2014 par le petit groupe qui a pris le contrôle du mouvement d’opposition sur le plan politico-médiatique.
En refusant d’engager une procédure de référé en novembre et en demandant l’abrogation des arrêtés qui ont permis le lancement du projet Sivens, Ben Lefetey et FNE ont choisi manifestement la voie du règlement politique (ou politicien) de l’affaire.
Cette voie n’est pas celle de l’immense majorité des opposants qui n’ont jamais été consultés lorsque l’abrogation des arrêtés a été demandée et lorsque FNE et Ben Lefetey ont refusé de faire un référé.
On voit aujourd’hui où mène cette position : les opposants n’ont plus la main ; des incidents sont à craindre avec ceux qui occupent le site dans les difficultés climatiques que l’on connaît ; contrairement à ce que dit officiellement collectif Testet, Ségolène Royal n’a rien réglé. Si l’Etat est impliqué jusqu’au cou dans l’affaire de Sivens vu ce qui s’est passé et s’il a bien sûr intérêt à ce qu’une solution soit trouvée, c’est le département qui a la compétence pour décider d’un tel projet ou d’un autre, pas l’Etat.
Or, dès aujourd’hui, on apprend que le Conseil général commence... par faire traîner encore l’affaire, puisque la délibération annoncée pour fin janvier a ensuite été annoncée pour le 3 mars puis pour le 6 mars prochain.
Depuis novembre 2014, je déplore qu’on assiste à un pourrissement de la situation alors que le dépôt du rapport Forray-Rathouis aurait permis de tout clarifier dès novembre si les opposants avaient engagé une action en justice sur son fondement en lieu et place de voir leurs prétendus représentants choisir une voie de règlement politicienne au litige et à la crise.