Dans son édition du mercredi 25 juin 2006, le Canard enchaîné reprend les conclusions d’une nouvelle analyse de l’association de consommateurs UFC-Que Choisir, en date du 2 juin 2008, affirmant que 30% des charges que le groupe facture au syndicat, soit 91 millions d’euros sur une rémunération de 300 millions d’euros engrangés chaque année par Veolia, « sont parfaitement contestables ». Mais il y a mieux, ou pire. Le plus important syndicat des eaux français et européen, dont la gestion suscite des critiques croissantes, a initié depuis janvier 2006 une démarche confiée à trois cabinets de conseil, qui vise à préparer le futur mode de gestion du syndicat à partir du 1er janvier 2011. Surprise, une analyse juridique réalisée par l’un des trois cabinets, souligne que l’actuel contrat semble susceptible d’entraîner la qualification de « gestion du fait » du syndicat par Veolia, et s’efforce de rassembler des arguments « pour tenter de contester l’existence d’une gestion de fait »... Très technique, ce document mérite pourtant une lecture attentive, puisqu’il souligne, par exemple, que : « La difficulté tient en l’espèce à ce que l’organisation actuelle des relations entre le SEDIF et le régisseur ne satisfait même pas aux exigences découlant de cette application très partielle des règles de la comptabilité publique ». On conçoit mieux à cette aune qu’élus et usagers se mobilisent en faveur d’une « autre gestion » d’un syndicat décidément comparable à nul autre.
Le cabinet PÖYRY liste donc longuement dans l’article « V.5.2 » dont les références figurent ci-après : « Des arguments pour tenter de contester l’existence d’une situation de gestion de fait. »
« Si la critique tirée de l’existence d’une situation de gestion de fait devait être soulevée, il pourrait être tenté d’opposer les deux arguments suivants :
En premier lieu, la circonstance qu’aucune disposition du droit positif ne rend
applicable l’ensemble des règles d’organisation, de fonctionnement et de contrôle des régies d’avances et de recettes au cas de la régie intéressée.
Ni le code général des collectivités territoriales, ni aucun autre texte de droit positif ne soumet expressément les régies intéressées à l’application de l’ensemble des règles d’organisation, de fonctionnement et de contrôle des régies d’avances et de recettes.
L’article R.2222-5 du CGCT se limite à prévoir que :
« Les entreprises qui exploitent des services publics en régie intéressée sont soumises, pour tout ce qui concerne l’exploitation et les travaux de premier établissement à exécuter pour le compte de l’autorité concédante, à toutes les mesures de contrôle et à la production de toutes les justifications que les règlements administratifs imposent aux régisseurs d’avances. »
Ne sont ainsi visées que les seules dispositions relatives au contrôle des régies d’avances. Il ne s’agit donc là que d’une application partielle des règles auxquelles doivent se soumettre les régisseurs d’avances, et non de toutes les mesures prévues par les articles R.1617-1 et suivants du code général des collectivités territoriales.
Ne devraient ainsi normalement trouver à s’appliquer dans le cas d’une régie intéressée que les seules dispositions :
• de l’article R.1617-14 du CGCT aux termes duquel :
« Le régisseur remet les pièces justificatives des dépenses payées par ses soins, dans les conditions fixées par l’acte constitutif et au minimum une fois par mois, à l’ordonnateur ou au comptable assignataire qui émet, pour le montant des dépenses reconnues régulières, un mandat de régularisation. »
Etant précisé que les pièces justificatives ici visées sont celles énumérées à l’annexe IV de l’article D.1617-19 du même code.
• et de l’article R.1617-17 du CGCT selon lequel :
« Les régisseurs de recettes, d’avances ainsi que de recettes et d’avances ainsi que les régisseurs intérimaires et les mandataires sont soumis aux contrôles du comptable public assignataire et de l’ordonnateur ou de leurs délégués auprès desquels ils sont placés. Ils sont également soumis aux vérifications des autorités habilitées à contrôler sur place le comptable public assignataire et l’ordonnateur ou de leurs délégués. »
La difficulté tient en l’espèce à ce que l’organisation actuelle des relations entre le SEDIF et le régisseur ne satisfait même pas aux exigences découlant de cette application très partielle des règles de la comptabilité publique.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille en conclure à l’existence d’une situation de gestion de fait dans la mesure où, une fois encore, la qualification de gestion de fait implique le maniement de deniers publics, qualification qui n’est pas établie avec certitude en l’espèce.
Par ailleurs, on relèvera que l’absence de mise en œuvre des dispositions de l’article R.2222-5 du CGCT, et par suite au moins des articles R.1617-14 et R.1617-17 du même code, reçoit d’une certaine manière l’assentiment de la Direction Générale de la Comptabilité Publique (DGCP) qui estime quant à elle qu’aucune des dispositions des articles R.1617-1 à 18 du CGCT relative aux régies d’avances et de recettes n’est applicable au cas d’une régie intéressée. Il en résulte selon la DGCP que les comptables publics ne sont pas en mesure de contrôler les entreprises exploitant des services publics en régie intéressée et partant une incohérence des dispositions du CGCT (voir courrier adressé par le Directeur Général de la Comptabilité Publique au Directeur Général des Collectivités Locales en date du 5 octobre 2006).
On relèvera toutefois que cette position n’est pas forcément partagée par les juridictions financières.
Il semblerait que selon la jurisprudence financière (CRC de Provence-Alpes-Côte d’Azur avis du 20 mai 1998 Commune Port de Bouc ; CRC de Franche Comté, 24 février 2005, Communauté de Communes de la station des Rousses Haut Jura), la totalité des recettes encaissées par le régisseur intéressé n’échappe pas à la règle du dépôt de fonds au Trésor Public et doit donc être reversée à la personne publique contractante au moins une fois par mois (article R. 1617-8 du CGCT), et par ailleurs qu’un budget annexe au sein de la collectivité doive retracer en dépenses toutes les charges relatives à l’exploitation du service délégué comprenant entre autre la rémunération du régisseur et en recettes le montant total des redevances perçues par le régisseur sur les usagers.
La portée de la jurisprudence financière semble devoir néanmoins être quelque peu relativisée. En effet, à titre d’exemple, on peut relever que dans son rapport d’observations définitives adressé le 20 décembre 2005 au Syndicat mixte pour l’aménagement et la gestion du parc de loisirs et du lac de Miribel-Jonage (SYMALIM), la Chambre Régionale des Comptes de Rhône-Alpes, à propos d’un contrat de régie intéressée conclu pour l’exploitation d’un parc de loisirs et d’un lac, s’est contentée de souligner que « l’exécution de la convention de régie intéressée s’opère selon des modalités éloignées de celles adoptées par les parties », sans stigmatiser de violation des règles du droit de la comptabilité publique.
Ceci alors même que, sans que cela soit prévu dans la convention, le régisseur prélevait « directement sur les recettes perçues les montants nécessaires pour payer des dépenses pour le compte du syndicat mixte et couvrir sa rémunération, selon une périodicité qui n’est pas toujours trimestrielle et qui dépend notamment du rythme d’encaissement des recettes. », et que « l’émission des mandats et des titres n’intervient pas trimestriellement mais seulement en fin d’exercice ».
En deuxième lieu, la circonstance que le dispositif contractuel en vigueur et les mécanismes financiers et comptables qu’il comporte ne reflètent pas une simple action du régisseur au nom et pour le compte du SEDIF.
La convention de régie intéressée conclue entre le SEDIF et la CGE ne prévoit pas le reversement des recettes collectées au syndicat, à charge pour ce dernier ensuite de verser au régisseur sa rémunération. On constate une contraction des flux financiers qui conduit à ce que le régisseur prélève directement sur les recettes tarifaires les montants nécessaires pour couvrir sa rémunération ou pour engager les dépenses liées à l’exécution des missions qui lui sont confiées. N‘est versée à la caisse du comptable du SEDIF que la seule part des recettes tarifaires collectées correspondant aux besoins en financement des charges propres du syndicat (gestion interne, exécution des missions restées à la charge du SEDIF).
A cet égard, la convention de régie intéressée qui lie le SEDIF et la CGE ne correspond pas à un « modèle pur » de convention de régie intéressée qui se définirait comme un contrat dans lequel le gestionnaire du service se voit rembourser à l’euro, sur justificatifs, toutes les dépenses nécessitées par l’exploitation du service, reverse parallèlement à la collectivité les recettes perçues auprès des usagers, et se voit en retour verser une rémunération par la collectivité dont le montant tient compte des résultats d’exploitation obtenus.
Pour autant, la réalité de l’organisation contractuelle mise en œuvre en l’espèce ne saurait être niée, pas plus que la volonté des parties. Si l’on admet que l’exécution des contrats d’affermage ou de concession échappe au respect des règles de comptabilité publique (voir supra), il pourrait de la même manière être admis au cas d’espèce, compte tenu des caractéristiques de l’organisation des relations contractuelles entre le SEDIF et la CGE, que la convention de régie intéressée satisfait aux exigences des règles de la comptabilité publique (voir en ce sens : CAA Douai, 3 août 2006, Société Prest’Action c/ Commune de Rouen, req. n°04DA00855).
En conclusion, en l’absence de normes comptables spécifiques aux régies intéressées et compte-tenu des incertitudes affectant la qualification des recettes perçues, on ne saurait en l’état conclure à l’illégalité totale du système en place.
N’en demeure pas moins un risque de qualification de gestion de fait qui devrait inciter pour l’avenir à retenir un dispositif plus sécurisé du point de vue du respect des règles de la comptabilité publique ».
Source :
« ASSISTANCE A MAITRISE D’OUVRAGE
POUR LA PROCEDURE DE CHOIX DU
NOUVEAU MODE DE GESTION DU
SERVICE PUBLIC DE L’EAU
10 décembre 2007
Révision 2.2.
Rapport état initial
Sous-rapport 2 : analyse descriptive de l’organisation du service
Volet 2 – dispositif organisationnel et contractuel et gestion du risque juridique
SEDIF – AMO pour le choix du nouveau mode de gestion du service public de l’eau.
Groupement PÖYRY / FINANCE CONSULT / Cabinet CABANES
– État initial – Sous-rapport 2 : analyse descriptive de l’organisation du service – Volet 2 : dispositif organisationnel et contractuel et gestion du risque
juridique - Version 2.2 du 10 décembre 2007 – Page 78/95 »
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France 2, Journal de 13h00, 27 juin 2008 - 13h15m16s
Veolia-SEDIF manie un montant considérable de fonds publics . Il encaisse notamment les contributions publiques destinées à l’agence de bassin et la redevance interdépartementale d’assainissement(des centaines de millions d’euros).