La ministre de l’écologie (ce qu’il en reste), Ségolène Royal, s’est engagée à indemniser le département du Tarn s’il abandonnait définitivement le projet initial de barrage de Sivens et renonçait à tout recours contre l’Etat. Une nouvelle, et énorme, bourde, à quelques jours de la décision du Conseil général du Tarn, appelé à se prononcer le vendredi 6 mars prochain sur un « scénario alternatif », alors que les tensions vont croissant sur place entre des agriculteurs du syndicat majoritaire, organisés en véritables milices, et les citoyens et zadistes opposés au barrage.
Dans une lettre datée du 27 février, dont l’Agence France-presse a obtenu copie mardi 3 mars, adressée au président du conseil général du Tarn, Thierry Carcenac (PS), la ministre a rappellé sa position : « La réalisation du projet initial » d’une retenue d’eau de 1,5 million de m3, à 50 km au nord de Toulouse, « doit être définitivement abandonnée ».
Vendredi, le conseil général doit « organiser un débat » à Albi sur la base de « deux scénarios qui s’écartent sensiblement du projet initial », note-t-elle. Il s’agira de choisir entre des versions allégées du projet, puisque les experts ont évalué les besoins de stockage en eau à 750 000 m3, soit moitié moins que ce qui était prévu.
« Je me suis engagée à ce que l’Etat vous accompagne pour solder financièrement les opérations déjà mises en œuvre au titre du projet initial et qui ne pourront pas être redéployées pour réaliser le nouveau projet (...) », écrit la ministre au président du département. Elle présente l’indemnisation comme une « contrepartie » de l’abandon du projet et de tout recours contre l’Etat.
« Je demanderai à mes services d’élaborer un protocole transactionnel permettant d’indemniser le département pour les dépenses engagées dans le cadre de l’autorisation [du projet initial], en contrepartie de l’abandon définitif et irrévocable des travaux et de tout recours indemnitaire contre l’Etat, en cas de l’annulation de celle-ci [l’autorisation] », écrit-elle.
Selon la ministre, l’autorisation du projet initial est « soumise à un risque élevé d’annulation » par la justice administrative. Et l’abandon des travaux déjà engagés « devrait, de plus, permettre d’éteindre la procédure précontentieuse européenne ».
En droit, on marche sur la tête. Politiquement nous sommes en pleine science-fiction.
De deux choses l’une, que Ségolène Royal et Thierry Carcenac n’ont jamais pu trancher. Cette affaire se règle à Paris, ou à Albi. A condition que Paris et Albi se mettent d’accord, ça se règle à l’amiable. Sinon, où Paris ou Albi tranchent unilatéralement.
Or c’est impossible, ils ne sont pas d’accord et ne le seront jamais. Et Paris ne peut mettre un terme à ce cauchemar politique, après que Manuel Valls et François Hollande aient tout cédé à la FNSEA trois jours avant le Salon de l’Agriculture…
Albi voit les choses localement, autrement dit se moque bien de l’Europe, mais se soucie énormément des cantonales. Paris ne sait pas comment éteindre l’incendie qui menace si Albi passe en force et impose un nouveau projet qui pourra lui aussi être poursuivi par l’Europe, puisque, comme l’ont établi les experts dans leur premier rapport, rien ne légitime vraiment au regard du droit européen (la Directive cadre européenne sur l’eau du 23 octobre 2000, dite DCE), un quelconque projet de barrage ou de retenue sur le Tescou…
Et maintenant, comme si cela ne suffisait pas, la dernière bourde ! « Je vous interdis de conduire à bien votre projet initial de barrage de 1 500 000m3 ». Cà on l’a tous lu et entendu. Sauf que c’est du complet pipeau ! En droit Ségolène Royal n’a rien interdit du tout, alors qu’elle aurait eu le pouvoir de le faire, mais dans ce cas là, la FNSEA fout le feu aux campagnes. Et Thierry Carcenac a dès lors raison de rappeler, comme il l’a fait à plusieurs reprises, que le projet initial n’est que « suspendu »…
Et non seulement « je vous interdis », mais vous devez choisir entre les deux « alternatives » identifiées par les experts. N’importe quoi : une collectivité locale s’administre librement et n’a pas à se voir imposer des diktats par une ministre, de surcroît spécialiste en bourdes à répétition.
Le comble, c’est ce qui ressemble à un pacte de corruption ! Vous allez choisir l’une de mes deux « alternatives », et pour faire passer la pilule, l’Êtat vous indemnisera des 2 millions d’euros déjà dépensés pour saccager la zone humide. On imagine déjà le recours qui sera porté devant la justice administrative par des citoyens qui dénonceront ce gaspillage scandaleux d’argent public, qui n’a aucun fondement en droit…
A l’arrivée, un désastre absolu. Thierry Carcenac et sa majorité actuelle jouent leur peau. Le Conseil général du Tarn est déjà à peu près sûrement perdu pour la gauche. Pourquoi diable l’actuelle majorité en fin de mandat, avec quelle légitimité, voterait-elle en faveur d’une « alternative » dont ne veut pas la FNSEA ? Par principe, et parcequ’elle vient de vérifier avec Valls et Hollande que le chantage est toujours gagnant…
Vérité politique que vient aussi d’éprouver ledit Conseil général en menaçant l’Êtat de le poursuivre, d’où le « geste » de Royal, « je vous rembourse les 2 millions d’euros »…
De quelque côté qu’on la prenne la situation est inextricable. Tout le monde va y perdre, parcequ’un gouvernement tétanisé par la FNSEA, comme tous ses prédécesseurs, se révèle incapable de faire respecter l’Êtat de droit, impunément bafoué par une fraction de la profession agricole.
A ce stade tout n’est que pure « com » et gestion de crise, enfumage médiatique et enfilage de perles. Quelle que soit la décision annoncée vendredi, ensuite, quand il s’agira de reprendre les dossiers d’autorisation et de financement d’un quelconque projet, les châteaux de sable s’effondreront à nouveau piteusement.
Attendons vendredi et le prochain « tweet » de Calamity Royal : « Tout est pardonné » ?
Communiqué de la Ligue des droits de l’homme
Paris, le 4 mars 2015
Sivens : éviter un nouveau drame !
Les informations que nous parviennent aujourd’hui directement de la ZAD du Testet, concernant les événements autour de l’affaire du barrage de Sivens et qui sont d’ailleurs rendues en partie publiques dans les médias, confirment qu’une nouvelle étape dans l’escalade de la violence a été franchie. Un syndicat agricole s’arroge, en toute illégalité, le droit d’établir un blocus autour de la ZAD du Testet dont l’objectif est clairement affirmé : isoler et affamer les occupants de la ZAD.
Cette situation intolérable, qui engendre des gênes majeures pour tous les habitants, constitue une atteinte au droit fondamental de libre circulation des citoyens, et semble bénéficier d’une relative tolérance de la part des autorités et des forces de l’ordre présentes.
La Ligue des droits de l’Homme dénonce cette situation et alerte les pouvoirs publics qui, par leur silence et leur inaction, porteraient une lourde responsabilité en cas de nouveau drame.
A l’approche d’une décision qui doit intervenir vendredi 6 mars, la situation se dégrade de manière alarmante, sur le terrain : chasses à l’homme, agressions, contrôles illégaux…
Dans un tel contexte, la LDH considère que les conditions d’un débat démocratique portant sur la gestion et l’utilisation de l’eau en lien avec l’agriculture de demain, dans le cadre d’un projet territorial, ne sont pas réunies, et qu’il n’est pas souhaitable qu’une décision soit prise à cette date par le conseil général du Tarn.
La LDH demande au gouvernement de prendre ses responsabilités, en adoptant au plus vite les mesures d’apaisement nécessaires."
Communiqué de France nature Environnement
mercredi 4 mars 2015
Sivens, le off du salon de l’agriculture
"A deux jours de la décision du Conseil général du Tarn sur l’avenir du projet de barrage à Sivens, la tension monte d’un cran autour de la zone humide du Testet. FNE dénonce les actions d’intimidation de même que l’inégalité entre la réponse policière face aux milices pro-barrage et le comportement des forces publiques vis-à-vis des zaddistes et des autres occupants de la zone.
Le monde agricole met les élus sous pression.
FNE regrette l’attitude de plusieurs syndicats agricoles qui ont appelé à bloquer pendant toute la semaine les routes permettant d’accéder à la zone humide. L’augmentation du nombre de gendarmes présents sur le site, du fait de la montée de la violence orchestrée par des agitateurs issus de syndicats agricoles, démontre que les risques de débordement sont réels. L’attitude des représentants officiels du monde agricole dans le département du Tarn est en contradiction avec la volonté de dialogue affichée dans le cadre du groupe de travail mis en place par la ministre de l’écologie pour sortir de l’impasse.
Nos reproches sur la forme
Plus de deux ans ! Il aura fallu plus de deux ans pour que les incohérences du projet, pointées depuis le début par le collectif Testet et les associations Nature Midi-Pyrénées et FNE Midi-Pyrénées, soient enfin portées par des experts indépendants. Les opposants au projet ont constaté très tôt que ce barrage est contraire à la raison. Afin de faire entendre leurs arguments, ils ont, à plusieurs reprises, fait des propositions de dialogue. La réponse du Conseil général a toujours été la même : le passage en force. Plusieurs militants ont dû engager une grève de la faim pour demander seulement une expertise indépendante ! Sans attendre le rapport commandé par le ministère de l’Écologie, les porteurs du projet ont fait raser des dizaines d’hectares situés en zone humide, tentant ainsi de rendre la situation irréversible.
Etudier les besoins et la capacité
Nous demandons qu’une étude indépendante détermine les besoins de même que la capacité déjà existante. Pour FNE, il ne fait pas de doute que cette étude démontrera qu’un usage optimisé des infrastructures déjà présentes sur le territoire concerné pourrait répondre aux besoins en eau.
Benoît Hartmann, porte-parole de FNE : « Nous attendons toujours de l’Etat, et en l’occurrence du Préfet du Tarn, qu’il abroge son arrêté autorisant le barrage. L’agro-écologie prônée par le gouvernement doit se développer dans les territoires. Avec l’avènement de ce nouveau modèle agricole, les besoins en eau des agriculteurs vont obligatoirement diminuer et n’imposeront plus la destruction de milieux rendant des services inestimables, en premier lieu aux agriculteurs. Nous voulons que cessent d’émerger des projets qui ne s’inscrivent pas dans un projet d’aménagement global, qui génèrent un gaspillage d’argent public et qui ne répondent qu’à la volonté de certains de faire du profit, même aux dépens des intérêts de la majorité des citoyens. »
SIVENS/TESTET : le dossier d’Eaux glacées
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commentaires
> Tout le monde va y perdre, parcequ’un gouvernement tétanisé par la FNSEA, comme tous ses prédécesseurs, se révèle incapable de faire respecter l’Êtat de droit, impunément bafoué par une fraction de la profession agricole.
Parce que l’occupation d’un territoire pour empêcher un projet décidé par des élus démocratiquement élus, ça n’est pas bafouer l’État de droit ?
L’argument est un peu court et ne doit pas être brandi pour écarter tout débat sur le fond. L’élection ne confère pas pour autant le droit de développer un projet contraire à l’intérêt général. Le premier rapport d’experts a démontré par a + b que ledit projet ne poursuivait pas un motif d’intérêt général, mais des intérêts particuliers par ailleurs encore aujourd’hui très mal identifiés, et ceci sur fonds publics. La question étant de savoir si la collectivité (ici les usagers de l’eau et les contribuables) doivent prendre en charge financièrement le coût de l’eau à usage agricole destinée à la production. La réponse est évidemment non pour toutes celles et ceux qui s’opposent à ce projet, eu égard par ailleurs au fait qu’il contrevient radicalement aux contraintes que nous impose la Directive cadre européenne sur l’eau. Comme en témoigne le contentieux ouvert par la Commission contre la France.
Tout ceci est simplement ahurissant, en droit en tout cas. Je n’ai pas d’autre mot. L’Etat n’a en effet AUCUNE compétence pour décider que quoi que ce soit à Sivens : il n’est pas propriétaire des terrains et le cours d’eau n’est pas domanial !
Ce qui est vrai en revanche, c’est que sa responsabilité est engagée car il a signé les arrêtés autorisant le projet mal ficelé monté par le Conseil Général et la CACG (ou l’inverse comme je le dis toujours car bien malin qui pourrait dire quel est le véritable maître d’ouvrage !)
Ce qui est ahurissant en droit est tout aussi ahurissant politiquement à mon avis car les tractations de règlements n’avaient pas grand chose à faire sur la place publique. Pour que le ministre les lui mette, on peut penser qu’il y a anguille sous roche...
Comme le savent bien les pécheurs, l’anguille est lucifuge et sort de préférence la nuit, mais elle peut sortir aussi en eaux très troubles et on peut penser que ça va être le cas !