« Votre mission, si vous l’acceptez : espionner les salariés, et leurs représentants syndicaux, susceptibles de renseigner les medias… ». Eaux glacées révèle aujourd’hui le scandaleux marché signé à la fin 2018 entre le Syndicat pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP), premier donneur d’ordre européen dans le domaine de l’environnement, et le géant anglo-saxon de l’audit Ernst & Young (rebaptisé EY), aux fins d’espionner les salariés du syndicat.
A l’approche de l’élection de son nouveau président, qui doit intervenir le 15 septembre prochain et suscite de nombreux remous, comme nous l’avons évoqué il y a peu, les errements du Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP), qui agrémentent depuis des lustres la rubrique des faits divers, se révèlent plus graves encore que ce que l’on en connaissait. Eaux glacées a en effet pu prendre connaissance de ce qui revêt tous les atours d’une affaire d’espionnage à grande échelle de personnels du syndicat, au premier chef de délégués syndicaux, suspectés d’informer les medias de ses dérives.
L’affaire débute à la fin de l’année 2018 quand le SIAAP confie à un département du géant anglo-saxon de l’audit EY, ex-Ernst and Young, un bien curieux marché, pudiquement qualifié « d’audit de sécurité ».
Le SIAAP était déjà au cœur d’une véritable tourmente judiciaire et médiatique, qui avait culminé le 13 mars 2018 avec la diffusion d’une enquête choc d’Elise Lucet dans « Cash investigation », intitulée « Scandale dans nos tuyaux », affaire ou plutôt affaires à tiroirs de corruption présumée autour de marchés publics, que nous avions nous-même relatée ce même jour :
« Eaux usées d’Ile-de-France, un scandale exemplaire »
https://blog.mondediplo.net/2018-03-13-Eaux-usees-d-Ile-de-France-un-scandale-exemplaire
Alors que de nombreuses « fuites » défrayaient déjà la chronique médiatique depuis des années, le SIAAP confiait donc en décembre 2018 à EY un marché d’une durée de neuf mois, et d’un montant de 85 000 euros HT, qualifié « d’Audit de sécurité », consistant en « Audit, recherches, investigations de toutes nature afin de cerner les éventuelles failles », avant d’indiquer que « Le titulaire du marché devra, pour réaliser cet audit, effectuer des recherches et des investigations dans les réseaux du siaap afin de cerner, évaluer et identifier les éventuelles failles. »
Derrière ce jargon anodin les choses se corsent quand on entre dans le détail de la « mission », précisé par EY dans son offre de candidature qui sera donc avalisée par le SIAAP :
« Afin d’établir une proposition sur une base concrète, nous nous proposons de partir de l’hypothèse d’une fuite de données dont le SIAAP aurait été l’objet.
Nous vous aiderons ainsi à comprendre les faits en menant une investigation propre à identifier les informations qui ont fuité, l’origine de ces fuites (interne, externe, collusion) et les moyens d’actions.
Plus particulièrement, l’investigation factuelle que nous proposons de mener aura un objectif triple :
• Identifier les informations/documents qui ont fuité à l’extérieur de l’organisation et les mesures de protection dont elles faisaient l’objet ;
• Identifier le(s) salarié(s) qui avaient accès à ces informations internes confidentielles et qui auraient pu les communiquer à des tiers ;
• Evaluer la robustesse de la gouvernance de l’information autour de ce type de projet (accès, partage d’information, outils de stockage et de communication, etc.) afin d’identifier d’éventuels risques. »
Sous couvert d’un anodin « audit de sécurité », le SIAAP a donc confié en 2018 au géant anglo-saxon de l’audit EY une véritable opération d’espionnage de ses salariés, et notamment de plusieurs représentants syndicaux, aux fins d’identifier d’éventuels auteurs de « fuites » en direction des medias.
Ces opérations étaient-elles légales ?
Quel est leur fondement juridique ?
Ont-elles été poursuivies depuis lors ? Et notamment depuis "l’accident industriel" de l’incendie dévastateur qui a frappé à l’été 2019 la station d’épuration d’Achères ?
https://blog.mondediplo.net/omerta-sur-une-catastrophe-industrielle-majeure
Les boites aux lettres électroniques et ordinateurs de plusieurs militants et représentants des personnels ont-ils été espionnés à leur insu ?
Autant de questions qui éclairent d’un jour cru l’extraordinaire détérioration des « relations sociales » au sein de l’entreprise publique ces dernières années, et auxquelles le SIAAP risque à l’évidence de devoir apporter des réponses dans un avenir proche.
Lire aussi :
La présidence du SIAAP déchaîne les appétits
http://www.eauxglacees.com/La-presidence-du-SIAAP-dechaine
Les eaux glacées du calcul égoïste, 22 juillet 2021.
commentaires
Fascinant !
Je n’ai pas dit "fascisant" mais fascinant.
Comme ça.
Etrange, alors que l’ensemble de la presse a écrit abondamment sur l’espionnage des employés d’IKEA par leur direction, là, aucune allusion à cette information nulle part...
Est-ce dû à la léthargie du mois d’août au sein des rédactions où au pouvoir de lobbying du SIAAP auprès des médias ?
En France, me semble-t-il, les patrons ont le droit d’espionner de façon proportionnée leurs salariés à condition de ne pas empiéter sur leur vie privée et de respecter des éventuelles règles (par exemple, alerter les salariés et leurs représentants de l’installation d’un dispositif de surveillance).Ça vaut aussi pour la fonction publique. Ikea avait instauré un véritable système de transgression de la loi et il a été condamné. La question judiciaire est de savoir si le SIAAP a lui aussi transgressé des règles qui s’imposent à lui. L’autre question est politique : Comment le SIAAP en est-il venu à espionner ses propres agents et dans quelle mesure ? De plus, des syndicalistes ont-ils été espionnés ? Ces dernières années, le SIAAP file un mauvais coton. Avec la fin vraisemblable de la mandature communiste (minoritaire mais soutenue par l’ensemble du CA), c’est une page qui risque de tourner. Cependant, les questions de fond demeurant, rien ne garantit que les choses s’amélioreront pour autant.
Comme le président du SIAAP, Belaïde Bedredine, est un élu PCF (Parti Communiste Français) du 9-3, sera-t-il désavoué par le candidat PCF aux présidentielles 2022, Fabien Roussel ?
Je croyais benoîtement (enfin à moitié) que l’expression "crapule stalinienne" relevait du registre historique. Et bien non. Encore heureux que le SIAAP n’ait pas un Goulag caché pour y embastiller ses syndicalistes.
Quoi qu’il en soit, le PCF n’a plus aucun département en Ile de France. La droite contrôle la majorité des collectivités adhérentes du SIAAP, elle devrait logiquement hériter de la présidence le 15 sept. prochain.
Fera-t-elle le ménage ? Et lequel ?