Le Parlement européen a voté le 13 décembre 2006, au terme de plusieurs années d’âpres négociations, le règlement REACH (Registration, evaluation and authorization of chemicals - Enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques), encadrant la production et l’usage des substances chimiques. Adopté le 18 décembre par le Conseil, ce règlement communautaire entrera en vigueur le 1er juin 2007, mais ses effets ne se feront vraiment sentir qu’à partir de 2008. D’ici à onze ans, 30 000 substances chimiques, sur les 100 000 aujourd’hui commercialisées au sein de l’Union européenne, devront faire l’objet d’un enregistrement, si elles sont produites ou importées dans une quantité supérieure à une tonne par an. Les substances produites en grande quantité et/ou reconnues comme préoccupantes pour la santé seront traitées en priorité. Certaines des plus préoccupantes seront soumises à une autorisation, délivrée seulement si le producteur peut démontrer que les risques découlant de l’usage sont « adéquatement contrôlés ». Les producteurs devront aussi proposer un plan de substitution. Enfin, une procédure allégée est prévue pour les 17 000 substances produites à raison de moins de 10 tonnes par an. La responsabilité de l’évaluation toxicologique et écologique, ainsi que la charge de la preuve de la maîtrise du risque, incombent donc désormais aux entreprises productrices, utilisatrices ou importatrices du produit.
Les substances chimiques dans l’environnement
Nous sommes depuis plusieurs décennies sous l’emprise croissante, sans toujours le mesurer pleinement, d’une chimie industrielle envahissante. Plus de 100 000 substances chimiques industrielles circulent aujourd’hui librement sur le marché européen. Leur production mondiale est passée de 1 million de tonnes en 1939 à plus de 400 millions de tonnes aujourd’hui.
Une part importante de ces substances est incorporée dans les produits de consommation courante lors de leur fabrication afin de leur conférer des propriétés fonctionnelles, comme la résistance aux attaques bactériennes, la coloration, des qualités organoleptiques, ou toute autre propriété chimique et/ou mécanique jugée intéressante par leur fabricant.
Ainsi, les équipements électriques, les textiles, les produits d’entretien et de nettoyage, mais aussi les cosmétiques ou les parfums, contiennent-ils, en sus de leurs composants basiques, eux-mêmes souvent issus de la chimie industrielle, de nombreux additifs chimiques de synthèse en quantités parfois infimes. Mais nous savons malheureusement aujourd’hui que le confort qu’a apporté à la vie moderne le développement spectaculaire de la chimie industrielle a son revers.
La plupart de ces substances chimiques ont en effet été commercialisées sous des réglementations, nationale, puis européenne, permissives. Sans qu’aient été effectuées des évaluations pertinentes des impacts de la diffusion de ces substances sur l’environnement et sur la santé animale et humaine, en particulier sur le long terme.
Quel impact sur la santé publique ?
Il en résulte qu’un certain nombre de molécules massivement utilisées dans les procédés industriels et les produits de consommation courante interfèrent avec les écosystèmes et avec notre organisme, et se révèlent donc potentiellement dangereux pour notre santé.
S’il est aisé d’identifier certaines propriétés dangereuses, les impacts d’une exposition à long terme à de faibles doses sont plus difficiles à appréhender. Leur grande stabilité dans l’environnement (la persistance) et leur capacité à s’accumuler dans les tissus vivants (la bio- accumulation) ont permis à toute une variété de substances chimiques commercialisées en grandes quantités de se répandre sur toute la planète, des montagnes aux pôles en passant par les fonds marins, à l’ensemble de la faune, à la chaîne alimentaire, en particulier les produits marins et les laitages, et jusqu’au corps humain.
On a longtemps pensé par ailleurs que le problème pouvait peu ou prou être circonscrit aux émissions de sites de production, en particulier les fumées et les rejets dans les rivières.
Mais chacun des produits de consommation, selon sa composition, peut en fait être le vecteur de diffusion de ces substances dans l’environnement, y compris à l’intérieur des habitations, tant au cours de leur utilisation normale, par le biais de l’usure ou sous l’effet d’une diffusion intentionnelle, ou par celui de leur fin de vie, lorsqu’ils se transforment en déchets.
Du coup ce sont rien moins que 200 substances chimiques synthétiques que l’on peut aujourd’hui trouver dans notre corps… Transformant celui-ci en véritable réceptacle d’un cocktail de substances potentiellement dangereuses. Or cette pollution corporelle augmente sans cesse et devient de plus en plus complexe. Pourtant, il n’existe encore que très peu de données scientifiques fiables sur les effets à long terme de la plupart de ces polluants, et en particulier sur leurs possibles interactions.
Cette situation est désormais reconnue, et figure au rang de préoccupation majeure des politiques de santé environnementale. Mais le problème donne encore lieu à de nombreuses controverses car il remet en cause les approches traditionnelles des politiques environnementales et sanitaires, ainsi qu’un grand nombre de choix industriels et d’options économiques.
On considère toutefois qu’il existe des effets sanitaires graves, associés aux substances persistantes et bioaccumulables, comme les cancers des testicules, des ovaires ou du sein, les pertes de fertilité et la chute du nombre de spermatozoïdes viables, les anomalies de croissance et du développement, ou encore les atteintes au système immunitaire.
Précaution et responsabilité
Une part grandissante de la communauté scientifique a pris conscience de la gravité de la situation et des enjeux pour l’humanité, et a lancé le 7 mai 2004 « l’Appel de Paris », déclaration qui sommait les pouvoirs publics français et européens de mettre un terme à cette menace toxique par la mise en place de politiques de précaution et de responsabilité.
C’est dans ce contexte qu’a été adoptée la première législation au monde sur le contrôle des produits chimiques, qui résulte d’une confrontation entre industriels et écologistes qui aura duré 6 ans.
Tout a débuté en février 2001 avec la publication par la Commission européenne d’un Livre Blanc dans lequel elle dévoilait l’architecture de la future réforme.
Il s’agissait de mettre en place un nouveau système d’enregistrement, d’évaluation et d’autorisation des substances chimiques afin de remplacer 40 règlements différents qui distinguaient, entre les anciens produits, introduits avant 1981 – soit 100 000 substances quasi exemptées de tout contrôle -, et les nouveaux, qui doivent être contrôlés, soit à peine 3000 produits chimiques.
Les écologistes applaudissaient mais les industriels protestaient et vont déployer un lobbying intensif auprès de toutes les instances communautaires concernées.
Ici le poids de l’industrie chimique européenne va s’avérer déterminant. Selon l’Union des industries chimiques, le chiffre d’affaires annuel des industries chimiques des 25 Etats membres (dont 95,2% sont réalisés dans les 15 Etats de l’UE d’avant mai 2004), est évalué à 613 milliards d’euros. La part de l’Europe dans la production mondiale atteint 31%. L’Allemagne, patrie du géant BASF, occupe le premier rang européen. La France le second, avec 95,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit environ 16% du total européen.
Etudes d’impact
Les industriels vont dès lors commander une multitude d’études d’impact, avec pour objectif de faire apparaître que le projet menace l’industrie européenne, qui occupe le premier rang mondial, pèse 613 milliards d’euros et emploie, selon le Conseil de l’industrie chimique européenne (CEFIC) 1,7 million de salariés.
Dès 2003, sur la base d’une étude réalisée par le cabinet Mercer, l’Union des industries chimiques françaises affirmait ainsi que REACH allait coûter jusqu’à 54 milliards d’euros et 36000 emplois à la France sur 10 ans. Sur cette base l’évocation de scénarios catastrophes va aller grandissant.
A la fin du mois de septembre 2003 Messieurs Gérard Schroeder, Jacques Chirac et Tony Blair adressent un courrier au président de la Commission, Monsieur Romano Prodi, dans lequel ils lui demandent de « ne pas porter atteinte à la compétitivité internationale de la chimie européenne. »
Dès la fin 2003 l’exécutif européen présente un texte, dont les ambitions ont été revues à la baisse, même si les objectifs initiaux sont officiellement maintenus. La bataille d’influence va se déplacer au Parlement européen et au Conseil des ministres.
Révélations
Afin de sensibiliser les opinions publiques, les grandes organisations de défense de l’environnement, notamment le World Wildlife Fund (WWF) et Greenpeace vont lancer des opérations choc.
Le WWF analyse ainsi le sang de plusieurs députés et ministres européens. Les résultats révèlent la présence de nombreux produits toxiques.
Les associations de consommateurs s’attaquent conjointement aux désodorisants d’intérieur. Les analyses effectuées révèlent qu’ils contiennent des substances cancérigènes, comme le benzène, ou des perturbateurs endocriniens, tels les phtalates.
Conscients qu’ils ne peuvent attaquer frontalement un projet qui vise à améliorer la santé publique et l’environnement, les industriels sont contraints de changer de stratégie. Ils affirment dès lors se rallier aux objectifs de REACH, tout en souhaitant rendre le règlement « praticable ».
Il s’agit donc en clair de l’amender au maximum.
Au Parlement européen, procédure inhabituelle, la Commission environnement chargée de piloter le processus se voit associer la Commission de l’industrie et celle du Marché intérieur. Les parlementaires allemands, dont l’industrie chimique est la première en Europe, parviennent en outre à décrocher le maximum de responsabilités.
Toutefois, le texte voté en première lecture crée une obligation de substitution pour les produits les plus dangereux, ce qui constitue un revers sérieux pour les industriels. L’enjeu est de taille car, à ce stade, la substitution pourrait concerner de 1500 à 2500 produits.
Compromis
Mais au Conseil, où les chefs d’Etat et de gouvernement ont décidé de confier le dossier aux ministres de l’Industrie, l’obligation de substitution est diluée, ce qui va susciter l’indignation des écologistes. Un compromis sera finalement trouvé in extremis entre les deux co-législateurs, coupant la poire en deux, et sera adopté le 13 décembre 2006, même s’il ne satisfait aucune des parties en présence.
Pour les industriels et le Conseil « les substances dangereuses seront dans un processus qui conduira à leur substitution. »
A ce stade la Commission évalue le coût de l’opération pour l’industrie dans une fourchette comprise entre 2,8 et 5,2 milliards d’euros sur 11 ans. Soit, au total, moins de 0,1% du chiffre d’affaires du secteur sur un an…
Au final ce compromis peut être jugé décevant pour le consommateur puisque sur les 100 000 substances commercialisées dans l’Union européenne, seules 30 000 vont finalement être étudiées d’ici à 2018. Et parmi ces 30 000, près des deux tiers risquent d’échapper à tout contrôle, car elles sont produites à moins de 10 tonnes par an.
Quant aux molécules dangereuses, elles pourront continuer à être autorisées si les risques sont « valablement maîtrisés ». On comprend que les industries aient pu qualifier le texte final de « compromis équilibré ».
Pour l’ONG Greenpeace, le règlement représente toutefois un premier pas capital, dans la mesure où « les industriels vont enfin être obligés de prouver l’innocuité de leurs produits avant de les commercialiser ». Mais Greenpeace estimait toutefois que le compromis adopté « ne tiendrait pas ses promesses en matière de prévention »
Autre point de vue, lui aussi en demi-teinte, celui de M. André Cicolella, écotoxicologiste, chercheur à l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) et spécialiste des éthers de glycol dont il avait dénoncé la nocivité, ce qui lui avait valu des problèmes avec ses autorités de tutelle. Il estime pour sa part que : « REACH est tout de même un rendez-vous manqué et qu’il aurait été possible et souhaitable de mieux faire. Car dans le fond les industriels de la chimie ne sont toujours pas convaincus de la toxicité de leurs produits pour la santé humaine. »
Que va changer Reach ?
Contrairement à une directive, le règlement va immédiatement s’appliquer à tous. 30 000 substances chimiques importées ou commercialisées en grand volume en Europe (au-delà de 10 tonnes par an par producteur ou importateur) doivent donc être passées au crible. Avec pour objectif de contrôler leur toxicité pour l’environnement et la santé.
En effet, sur 90% des 100 106 substances en circulation dans l’UE, le déficit de connaissances est patent. Lors même que ces substances entrent dans la composition de tous les produits de consommation courante, et sont soupçonnées de contribuer à l’augmentation des allergies, de certains cancers et de l’infertilité.
Seules celles mises sur le marché depuis 1981, soit à peine 3000, soumises à une réglementation européenne un peu plus contraignante, ont en fait été un peu mieux étudiées. Par ailleurs, les substances les plus dangereuses, celles qui sont cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction, doivent désormais être soumises à autorisation.
Qui va payer les tests ?
C’est probablement le bouleversement le plus marquant, celui qui a suscité une intense opposition de l’industrie. Jusqu’alors la responsabilité et la charge financière de l’identification des produits les plus toxiques et de la démonstration de leur nocivité était impartie aux autorités publiques. REACH inverse donc le processus et impose aux industriels de faire la preuve de l’innocuité de la substance qu’ils souhaitent commercialiser. C’est donc désormais à eaux de financer les tests nécessaires.
Une obligation de substitution
Un autre élément de controverse a pesé sur les débats : l’autorisation des substances les plus dangereuses, cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction. Certaines d’entre elles pourront finalement continuer à être autorisées si les risques sont « valablement maîtrisés » par les industriels. Et si ces derniers n’identifient pas d’alternative plus sure. Ils doivent donc seulement s’engager à prévoir un plan de substitution. Contrairement à ce que revendiquaient les associations écologistes qui souhaitaient que le principe de substitution soit imposé pour toutes les substances les plus dangereuses.
Quand Reach s’appliquera-t-il ?
Le règlement sera opérationnel dès 2008. A partir de cette date l’enregistrement des substances chimiques s’effectuera dans les 3, 6, ou 11 ans qui suivront. La priorité étant accordée aux plus gros volumes de mise sur le marché et aux substances les plus préoccupantes. Ainsi, les substances cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques, à partir d’une tonne par an, devront être enregistrées avant 2011. Mais l’industrie n’est pas contrainte de présenter de rapport détaillé pour celles produites en quantité inférieure à 10 tonnes par an.
A quel coût ?
Pour la Commission européenne l’entrée en vigueur de REACH pourrait donc coûter de 2,8 à 5,2 milliards d’euros sur onze ans à l’industrie chimique européenne, soit moins de 0,1% du chiffre d’affaires annuel de l’industrie, évalué à 613 milliards d’euros. Il convient d’apprécier ce montant au regard des gains sanitaires attendus, puisque la même Commission a estimé à rien moins que 50 milliards d’euros la « valeur des avantages supposés pour la santé humaine », découlant de la diminution des pathologies induites.
D’autres études ont par ailleurs permis d’évaluer les conséquences économiques liées à la protection de l’environnement, et notamment l’économie obtenue sur les dépenses de dépollution.
Qui réalisera les évaluations ?
Une agence européenne va être mise en place à Helsinki, en Finlande, en 2008. Mais chaque pays membre doit également créer une structure d’évaluation pour effectuer sa part de travail au prorata de sa production.
La mise en œuvre de REACH en France
En France, c’est le ministère de l’Ecologie et du développement durable (MEDD), en lien avec les ministères de la Santé, de l’Industrie et du Travail, qui va assurer le secrétariat du groupe interministériel chargé de coordonner l’ensemble des travaux, et qui représentera la France auprès de la Commission et de la nouvelle Agence européenne des produits chimiques, implantée à Helsinki.
Plus de 90% des entreprises françaises concernées sont des PME, qui ne disposent pas des moyens nécessaires. Le ministère de l’Industrie a initié en 2006 une action de formation et d’information qui concernera à terme 800 d’entre elles.
Au-delà le Bureau d’évaluation des risques des produits et agents chimiques (BERPC), émanation de l’INERIS et de l’Institut national de recherche sur la santé (INRS), va mettre en place un « helpdesk », structure d’information dédiée aux industriels.
Par ailleurs l’Agence pour le développement et la maîtrise de l’énergie (ADEME) soutiendra les démarches volontaires de diagnostic afin de rationaliser, voire diminuer l’emploi de produits chimiques dans les process industriels. Et les grands opérateurs publics seront incités à entreprendre de tels diagnostics.
En outre l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFSSET), coordonnera l’ensemble des expertises publiques et déterminera les priorités, tandis que le BERC assurera les travaux scientifiques de base. Les attributions respectives, et notamment la participation aux travaux de l’Agence européenne seront détaillées dans quelques mois par un accord interministériel.
Afin de conforter la démarche, les contrôles vont être renforcés. Les douanes, la répression des fraudes, l’inspection du travail et celle des installations classées, notamment les Directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE), mèneront des actions concertées et partageront leurs informations.
L’ensemble de ces programmes doivent être coordonnés d’ici à trois ans, y compris au regard des travaux conduits dans les autres Etats membres.
Pour en savoir plus :
Le Journal Officiel des Communautés européennes a publié le 29-05-07 une version « actualisée » du Règlement Reach, sous la forme de deux Rectificatifs, à la Directive 2006/121/CE, et au Règlement n° 1907/2006.
L’Union des industries chimiques
Bonsoir,
Merci d’aller faire un tour du côté de notre pétition
Pétition : 33 hectares d’espace naturel sont en danger
URL de la pétition : http://www.lapetition.be/petition.php?petid=139
Et de diffuser le plus largement possible l’information .
Pour de plus amples renseignements , tout est sur le blog
Merci à vous
Bien environnementalement vôtre
Dominique