Le directeur du Syndicat mixte du bassin versant de la Bièvre (SMBVB), Sylvain Rotillon, prône une nouvelle approche des rivières, car « la magie de travailler près de l’eau meurt petit à petit »…
« Le temps est venu de réenchanter nos rivières. Nous sortons difficilement d’une longue époque qui ne voyait dans ce chemin d’eau qu’une façon de nous laver de notre crasse collective, qu’un objet à utiliser, à forger à notre main en le redressant, le confinant, l’enterrant car prenant toujours trop de place.
Longtemps l’appréhension d’une rivière n’a pas différé de celle d’un canal ou d’un tuyau. On faisait de l’hydraulique brutale, à la rivière de se plier à nos caprices. Les manuels servant à déformer nos ingénieurs ne faisaient pas la différence. Vision fonctionnelle, réductrice, c’était le progrès d’hier.
Rien de plus triste que ces cours d’eau qui finissaient par tous se ressembler, réduits à un chenal unique quand on daignait les laisser à l’air libre.
Huysmans, parlant de la Bièvre, nous dit que « d’inutiles ingénieurs l’ont enfermée dans un souterrain, casernée sous une voûte… »
Cette époque qui ne savait pas regarder une rivière pour elle-même nous a laissé en héritage une situation qui nous conduit régulièrement à la catastrophe.
Catastrophe insidieuse qui a appauvri la vie des rivières, quand le murmure des ondes est un signal universel qui évoque la vie.
Catastrophe immédiate quand la rivière détruit car nous occupons son lit sans ménagement.
Catastrophe culturelle lorsqu’elle a perdu toute charge symbolique et n’est plus un sujet artistique majeur.
Courbet aurait-il envie aujourd’hui de peindre la Loue ?
Le problème, c’est qu’on ne fait pas vraiment mieux aujourd’hui. On a quitté cette vision de pure hydraulique pour la remplacer par une approche tellement analytique qu’elle prolonge l’éloignement que nous avons vis-à-vis de la rivière.
Pire, le langage techno administratif la dénature totalement et finit par contaminer tous les discours autour du fleuve. On parle de masses d’eau, de continuité écologique, d’élément constitutif de la trame verte et bleue, de substances prioritaires…
L’approche analytique est poussée à l’extrême, faisant perdre toute personnalité à ces anciennes divinités gauloises qui faisaient lien avec leur terroir. On les vénérait et on les craignait, elles étaient vivantes.
On ne fait plus qu’évoquer leur état, comme la médecine moderne nous réduit parfois à un bilan sanguin, elles sont réduites à une liste de paramètres.
Pourtant on ne travaille pas par hasard sur les rivières. C’est un métier de vocation à l’origine. Les « techniciens de rivière », quelle vilaine appellation, sont des amoureux de leur cours d’eau, le connaissent intimement.
Mais le travail est devenu de plus en plus administratif, à base de tableaux de bords pour rapporter l’état de santé. Le lien qui était entretenu avec les riverains est de plus en plus lâche car il faut remplir des dossiers de subventions, piloter des bureaux d’études…
Loin du terrain, la passion s’estompe, la magie de travailler près de l’eau meurt petit à petit.
Comble de l’absurdité, pour donner des gages à une profession agricole en souffrance, on est en train de sacrifier des kilomètres de ce petit chevelu hydrographique, en tête de réseau.
Tels les théologiens orthodoxes lors du siège de Constantinople en train de discuter du sexe des anges, le pouvoir réglementaire débat de la nature des fossés ou des rivières. Au lieu de construire autour du fleuve, de s’en servir comme d’un lien, tout est fait pour qu’il soit conflit.
On a perdu la vue d’ensemble, celle qui donne du sens à l’action. On ne sait plus vivre avec ces objets désincarnés.
Devenu le territoire de l’expert, du technicien, le citoyen ne comprend plus quand il constate que la maîtrise échappe à ces derniers, que tout n’est pas sous contrôle comme le discours simplificateur cherche à le faire accroire.
Dans la Soupe au canard, Groucho Marx s’écrie « un enfant de 4 ans saurait le comprendre ce rapport ! Allez me chercher un enfant de 4 ans ! »
Un enfant de 4 ans sait ce que c’est qu’une rivière, allez chercher un enfant de 4 ans, lui sera capable de nous les faire redécouvrir, de les réenchanter. »
commentaires
impressionnant de vérité !!!
Merci pour ces commentaires ! A vous lire, je vois que mon constat est partagé, malheureusement…
Merci Sylvain :)
Pour nous qui œuvrons au quotidien sur des concepts de plus en plus abstraits, c’est bon des fois de se poser et de reprendre un peu d’air et de poésie, et de remettre du sens dans tout cela.
RDV à B. en juin prochain ...
Mélina, ce qui est terrible, c’est bien ce système qui interdit de prendre du recul car on est noyés dans l’action, mais une action qui s’apparente de plus en plus à un mouvement brownien. En taillant dans les effectifs, en devenant plus "efficient", on se réduit à cette seule action en délaissant la réflexion qui a besoin de temps.
J’espère bien qu’en juin prochain tu seras là !
je partage aussi totalement votre sentiment.
J’ai passé 60 ans. Quand j’étais jeune, j’ai parcouru des centaines de kilomètres de cours d’eau en pêchant la truite ou autres. Je les ai vus se déliter. J’ai pu voir des agriculteurs passer du désherbant au bord des ruisseaux, des sources captées à vau l’eau, les écrevisses disparaître ici et là, etc etc
L’eau est devenue un bien de consommation parmi tant d’autres alors qu’il s’agit d’un bien exceptionnel.
Mais la nature n’est-elle pas devenue un peu partout une sorte de super marché ? que ce soit pour les agriculteurs, pour les chasseurs et au bout du compte... pour les citadins !
En tout cas, bravo pour votre texte
très bien écrit et tellement vrai !