Après avoir publié en janvier dernier une enquête fracassante qui dénonçait les marges bénéficiaires colossales que réaliseraient les trois grands groupes privés de distribution de l’eau français, avoir proposé un original systême d’écotaxe qui permettrait de lutter enfin sérieusement contre les pollutions diffuses d’origine agricole, s’être investie dans le projet de loi sur l’eau en déposant moult amendements à la LEMA, l’organisation de consommateurs persiste et signe en dénonçant les insuffisances du 9ème Programme Pluriannuel d’Intervention (PPI) des Agences de l’eau pour la période 2007-2012.
L’ambiance était passablement tendue au siège de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne jeudi 30 novembre, à la veille de l’examen par le comité de bassin du 9ème PPI, qui doit être voté par le néo-Parlement local de l’eau le vendredi 1er décembre 2006.
M. Ambroise Guellec, président dudit Comité depuis des lustres, qui ne manque pas une occasion de fulminer contre les « Ayatollahs Verts » qui siègent en nombre dans tous les Comités de bassin depuis les élections régionales de 2004, était cette fois confronté à une fronde associant l’UFC-Que Choisir, la Confédération du Logement et du Cadre de Vie (CLCV), l’Union Nationale des Associations Familiales (UNAF), et les Familles Rurales, qui ont annoncé en chœur dans un point presse le jeudi 30 novembre qu’elles ne voteraient pas le 9ème PPI, compte tenu des insuffisances et du manque d’ambition de la LEMA, et des orientations du 9ème Programme, qui n’apparaissent aucunement permettre de répondre aux ambitions qu’assigne à la France la Directive-cadre européenne sur l’eau.
La charge est sévère puisque les 4 associations de consommateurs considèrent que « L’agence de l’eau s’est écartée de sa vocation première qui consistait à accorder des aides pour le changement des pratiques polluantes et à mettre en place des redevances qui incitent à modifier les comportements. »
Et de poursuivre en pointant le fait que : « La profonde iniquité des redevances est maintenue et l’agence continue de mettre en oeuvre le principe pollué-payeur. Les consommateurs vont prendre en charge 85 % des redevances alors que les représentants de l’agriculture, qui représentent 90 % de la pollution par les pesticides, les trois quarts de la pollution par les nitrates et 80 % de la consommation nette d’eau l’été, vont s’acquitter d’une redevance insignifiante (4 % du total).
« Le programme d’intervention persiste à privilégier les procédés curatifs au détriment de la prévention en amont : le gros des investissements de l’agence concerne la subvention de l’assainissement, du traitement de l’eau ou la mise en place de la dépollution chez les professionnels ; autant d’opérations qui consistent à gérer la pollution sans chercher à la réduire. »
« Au final, l’immobilisme de l’agence produit une seule décision tangible : augmenter les redevances de 29 % ce qui va entraîner une surprime d’au moins 5 % sur la facture d’eau des ménages du bassin Loire-Bretagne. »
Et de poursuivre en soulignant que : « La grande majorité des élus de l’agence, qui représentent les syndicats d’eau, l’industrie ou l’agriculture, a préféré transformer cette institution en une banque qui finance la gestion de la pollution et de la rareté de l’eau. Les consommateurs, qui ont vu leur facture doubler en 15 ans, n’acceptent plus d’être les vaches à lait de cette banque au service d’intérêts catégoriels.
Les quatre associations nationales de consommateurs représentées au comité de bassin demandent donc à l’agence d’écouter les attentes de la société civile et d’appliquer les recommandations de la Cour des Comptes dont un rapport de février 2002 avait sérieusement critiqué l’agence. Des rapports de l’INRA et de l’OCDE ont également souligné cet écart. »
Volant propositions les associations insistent sur trois orientations essentielles :
– accroître de façon significative les redevances pollution et consommation payées par les agro- industriels,
– faire appliquer les mesures agro-environnementales qui figurent dans le 2ème pilier de la PAC afin d’aider les paysans à diversifier leurs cultures,
– sans remettre en cause 3 principes fondamentaux de la reconquête de la qualité des eaux :
La protection de la ressource en eau sur l’ensemble du bassin !
L’eau paie l’eau, et rien d’autre !
Mutualisation du coût de l’eau, mais de façon équitable !
L’augmentation de la redevance des consommateurs doit correspondre à une plus grande part du budget en faveur de la prévention en amont et en aucun cas à une fuite en avant vers la dépollution. »
Comme d’autres Comités de bassin enregistrent également des mouvements de grogne croissants, tant d’élus que de représentants d’usagers, cette radicalisation va inévitablement monter en puissance dans la perspective des prochaines échéances électorales, et notamment les municipales, pour l’instant prévues en 2008, lors desquelles les politiques de l’eau, de l’assainissement, comme celles des déchets, font figure de dossiers très sensibles, tant pour ce qui concerne les comptes-rendus de mandats des équipes sortantes que des engagements des postulants pour la prochaine mandature.
La gouvernance de l’eau à la française fait décidément… eau de toute part.
A preuve ? D’abord le quotidien Le Monde, rendant compte de l’adoption de la LEMA, puis le site Territorial.fr, le 8 janvier 2007, évoqueront tout à tour cette fronde inusitée :
"Agence de l’eau Loire-Bretagne : le IXe programme dans la tourmente (08/01/2007)
L’adoption du IXe programme (2007-2012) de l’agence de l’eau Loire-Bretagne, le 8 décembre, a donné lieu à de vives critiques. Pour la première fois, une forte opposition s’est manifestée : 36 % des membres du comité de bassin ont voté contre. Ce vote de défiance est porté par les associations et les collectivités. Tout d’abord, les élus des huit régions ont protesté contre la suppression de la prime pour épuration. Pour une ville comme Rennes, cela représente le quart du budget de fonctionnement d’une station d’épuration. Ensuite, ce programme est jugé insuffisant pour atteindre en 2015 les objectifs de bon état écologique de l’eau fixés par la directive cadre sur l’eau (DCE). Enfin, les associations de consommateurs dénoncent une augmentation de 5 % de la facture d’eau."