France 2 vient de publier dans l’émission Envoyé spécial un reportage éclairant sur une trouble affaire d’évaluation de la qualité des plages en Bretagne.
Peut-on se fier aux classements des Agences régionales de santé en ce qui concerne la qualité des eaux de baignade ? Il y a un an, la justice a condamné l’ARS Bretagne à revoir le sien, qui omettait certains indicateurs de pollution. Pour "Envoyé spécial", un lanceur d’alerte de Landunvez, dans le Finistère, raconte...
« Sur la côte d’Iroise, en Bretagne, la plage de Penfoul. Laurent Le Berre, un natif de l’endroit, y a passé des journées entières depuis la fin des années 1990, dans l’eau et sur sa planche de surf. Et depuis plus de vingt ans, il s’inquiète de la pollution de cette plage entourée d’élevages porcins, dont les pics correspondent à l’épandage de lisier dans les environs. Comment une eau de baignade régulièrement contaminée par des matières fécales peut-elle être classée "de bonne qualité" par l’Agence régionale de santé (ARS) ?
En 2016, il a l’idée de documenter par des photos les informations disponibles à l’entrée de la plage de Penfoul. Sur le panneau de baignade sont affichés les résultats des analyses de l’eau réalisées par l’ARS. Cet été-là, il y a eu plusieurs jours, indiqués par des cases rouges, où de mauvais résultats ont causé la fermeture de la plage. Mais quand, en fin de saison, Laurent Le Berre consulte le site du ministère de la Santé, surprise...
Des mauvaises notes remplacées par des bonnes ?
Aucune pollution n’y est reportée pour sa commune de Landunvez. Jour après jour, l’eau de baignade y est classée comme étant de "bonne" qualité. En comparant les cases rouges apparaissant sur ses photos et les résultats transmis au ministère de la Santé, Laurent Le Berre constate que ceux des "mauvais" jours, avec pollution, ont été remplacés par ceux, convenables, du lendemain ou du surlendemain.
L’été suivant, il décide d’étendre son enquête aux autres plages bretonnes, et de prendre en photo tous les panneaux de baignade. Et il se rend compte que "les pratiques de l’ARS (...) décelées au niveau de la plage de Penfoul sont généralisées à toute la Bretagne".
"Plutôt que de rechercher à tout prix une bonne qualité des eaux de baignade, on a cherché à tout prix à améliorer les classements... ce n’est pas du tout la même chose."
L’ARS aurait-elle manipulé ces résultats pour que les plages bretonnes restent bien classées ? Et pour quel motif ? Pour Laurent Le Berre, il est bien évident qu’"aucun secteur économique n’a intérêt à dire que les eaux de baignade sont polluées".
Dans la commune de Landunvez, sans ces modifications, la qualité des eaux aurait été classée insuffisante et la plage de Penfoul aurait risqué une fermeture.
Une plage française sur cinq régulièrement polluée par des bactéries ?
Avec son association Eaux et Rivières de Bretagne, Laurent Le Berre a obtenu la condamnation de l’ARS, laquelle n’a pas souhaité faire de commentaire dans "Envoyé spécial".
Le tribunal a ordonné qu’elle corrige les classements de toutes les plages bretonnes en incluant les données qui n’avaient pas été prises en compte. Mais un an plus tard, les nouveaux classements se font toujours attendre...
Eaux et Rivières de Bretagne a donc édité sa propre carte de France des plages polluées, à partir des normes, plus strictes, de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Agence nationale de la santé (ANSES). Selon ce classement, contesté par le ministère de la Santé, une sur cinq serait régulièrement contaminée par des bactéries fécales."
Extrait de "Sous le pavillon, la pollution ?", un reportage diffusé dans "Envoyé spécial" le 20 juin 2024.