Bien avant la sécheresse sévère annoncée pour cet été, le département est déjà frappé par une crise multiforme qui trouve sa source dans une gestion défaillante de la ressource qui perdure depuis des décennies. Cet été les PO pourraient bien faire figure de laboratoire des déficiences que plusieurs rapports officiels ont mis en lumière depuis l’annonce du Plan eau d’Emmanuel Macron, que l’ensemble des observateurs jugent par ailleurs très insuffisant.
Face à une situation de sécheresse très préoccupante sur l’ensemble des Pyrénées-Orientales et à l’assèchement de leur alimentation en eau potable, les communes de Corbère, Corbère-les-Cabanes, Saint-Michel-de-Llotes et Bouleternère, situées à l’ouest de Perpignan en plein coeur de la plaine du Roussillon, ont décidé de cesser de puiser dès le vendredi 14 avril 2023, dans un forage agricole, impropre à la consommation.
Le message a été envoyé par SMS à certains ou sera diffusé auprès de l’ensemble de la population concernée dès le jeudi par des publications sur le site des communes et par la distribution de flyers par les employés communaux. La mesure concerne environ 3500 personnes, pour une durée indéterminée.
« À partir de ce vendredi 14 avril, à 7 heures du matin, l’eau du robinet distribuée sur les communes de Bouleternère, Saint-Michel-de-Llotes, Corbère et Corbère-les-Cabanes par le même SIAEP (Syndicat intercommunal d’adduction d’eau potable) ne sera plus potable pour la consommation comme pour la préparation des aliments mangés crus ainsi que pour l’hygiène dentaire ».
Pour parer une probable rupture de l’alimentation en eau potable dans les jours à venir, les collectivités avaient décidé d’anticiper et de basculer sur un autre forage. Or, des analyses ont montré que ce dernier était non potable…
Par conséquent, deux semi-remorques de packs d’eau ont été commandés et selon les municipalités des distributions sont organisées jeudi, vendredi et/ou samedi. Les habitants recevront un pack d’eau par personne et par semaine.
La ville avait déjà interdit l’utilisation de l’eau pour « arroser, laver les voitures, remplir les piscines, nettoyer façades et terrasses, etc. » La mairie demande à ses concitoyens de continuer à « préserver au maximum » la ressource.
« C’est la première fois qu’on nous coupe l’eau potable », témoigne un habitant auprès de franceinfo. « On va essayer de limiter l’utilisation de l’eau potable qu’on nous offre pour l’utilisation hygiénique et boire », explique un autre.
Jeudi, le Bureau de recherches géologiques et minières alertait sur le fait que 75 % des nappes phréatiques sont à un niveau jugé en dessous des normales, contre 58 % il y a un an. Selon le BRGM, une partie du département des Pyrénées-Orientales est considérée comme ayant un « très fort » risque de sécheresse pour l’été.
A Corbère-les-Cabanes, 1250 habitants, devant l’atelier municipal, Erwann Biosca, étudiant de 20 ans, inscrit son nom et le nombre de personnes du foyer et repart avec six packs de bouteilles. « C’est inquiétant de se retrouver mi-avril sans eau potable. On espère que ça ne durera pas. Se laver les dents à l’eau minérale... Il faut qu’il pleuve », dit-il en regardant le ciel.
Le forage qui alimente d’habitude les quatre villages « est au niveau le plus bas, à seulement 30 centimètres au dessus de la pompe », explique le président du syndicat intercommunal d’alimentation en eau potable, Jean-Pierre Saurie.
« Les gens sont agacés, il y a beaucoup de critiques, on nous dit qu’on ne sait pas gérer, etc. Mais bon, il n’y a pas d’eau et si on avait une machine à faire pleuvoir, on l’aurait utilisée depuis longtemps et souvent », raconte Marie-Pierre Boxero, adjointe administrative à la mairie de Corbère-les-Cabanes. Pendant qu’elle parle, les sonneries des autres lignes de la mairie n’arrêtent pas de retentir.
« La reconstitution des stocks d’eau, cruciale en hiver, n’a (...) pas eu lieu et la situation des nappes continue de se détériorer », souligne ainsi la préfecture, ajoutant : « ce phénomène qui a démarré en juin 2022, toujours en cours, est le plus long et le plus intense depuis le démarrage des suivis de l’humidité des sols par Météo France en 1959 ».
Les agriculteurs manifestent
Le même jour, à l’appel de la FDSEA et du CDJA, les agriculteurs bloquaient la RN116 le vendredi 14 avril entre Perpignan et Vinça, à partir de
7h du matin. Objectif : dénoncer « la gestion de la ressource en eau » et sensibiliser « à la situation dramatique des exploitations ».
« L’objectif est clair : bloquer les accès à la RN116 entre Perpignan et Vinça pour expliquer à tous comment est gérée aujourd’hui la ressource en eau sur la Têt. C’est comme si un automobiliste entrait sur la 116 à Vinça et ne pouvait plus en sortir jusqu’à Canet ». Président de la FDSEA 66, Bruno Vila précise : « Cela fait de nombreuses années que l’on dénonce cette gestion ».
Une mobilisation « massive » est donc convoquée ce vendredi 14 avril. Dans le viseur le dernier arrêté préfectoral sur le débit de la Têt. « La situation qui découle de cette dérogation est pire que celle qui prévalait la semaine dernière pour les canaux et l’irrigation », dénonce la FDSEA. « Le monde agricole refuse de voir couler ses exploitations à cause d’une mauvaise gestion de l’eau ».
Les agriculteurs sont particulièrement inquiets. Pour l’irrigation de leurs cultures, ils puisent l’eau dans les trois principales rivières (Agly, Têt, Tech), dont le débit est faible pour la saison.
« C’est catastrophique, c’est une situation jamais vue et on est sans doute en train de rentrer dans la période la plus sombre qu’on ait connue dans l’agriculture des Pyrénées-Orientales », se désole Bruno Vila, président de la FDSEA 66 alors qu’il menait vendredi matin une manifestation de plusieurs dizaines de tracteurs.
« Les gens sont évidemment fortement mobilisés », dit M. Vila alors que le département est connu pour ses importantes filières de production de fruits (pêches, nectarines, abricots) et de légumes (artichauts, tomates, aubergines, courgettes).
Des baisses drastiques de rendement des cultures sont à prévoir et même la survie des arbres fruitiers est menacée si la situation ne s’améliore pas, déplore-t-il.
Les manifestants ont convergé vers le barrage de Vinça, principale retenue d’eau en amont de la plaine du Roussillon, qui alimente le fleuve de la Têt.
Ils demandent plus d’eau pour l’agriculture, de « descendre encore le débit réservé » à la biodiversité dans le fleuve, pour qu’ils puisent irriguer les vergers.
A l’heure actuelle et depuis le 5 avril, un arrêté préfectoral a déjà baissé ce débit de 1500 à 1000 litres par seconde, les agriculteurs demandent qu’il soit diminué à 600 l/s.
Les pêcheurs se mobilisent
« On n’était pas prêt à subir cette catastrophe, la nature ne pourra pas se reconstruire partout » analysait quant à lui Sébastien Delmas, président de la Fédération de pêche qui a organisé une pêche électrique de sauvetage, ce samedi 8 avril 2023, au lac de Millas, lors de laquell les poissons sont endormis avant d’être récupérés à l’aide d’épuisettes. Les quelque 11 000 membres de la Fédération ont adressé une lettre ouverte au préfet Rodrigue Furcy. « Solidaires de tous les usages économiques de l’eau, on souhaite faire entendre à L’Etat qu’assécher une rivière complètement nuit à l’intérêt général du territoire », martèle le dirigeant.
Les maires s’engagent à économiser l’eau
Les 226 maires des Pyrénées-Orientales viennent pour leur part d’annoncer la mise en place d’une charte dans laquelle ils s’engagent à accroître les économies d’eau. Dans le cadre d’un Plan d’action d’urgence et de responsabilité face à la sècheresse, la charte prévoit un « plan d’économies maximales », commune par commune, et par exemple, « de mettre en place ou aider à la mise en place de récupérations d’eau de pluie et tout système individuel d’économie d’eau potable ».
« Il faut relever le côté exemplaire de la démarche. On est au début d’un long cheminement. On compte sur la responsabilité de tous », a déclaré ce 11 avril au soir le président de l’association des maires du département, Edmond Jorda. Les maires espèrent une vaste adhésion, et que les résultats obtenus permettront un allègement des restrictions en vigueur depuis un an.
La charte, élaborée en concertation avec la préfecture des Pyrénées-Orientales, doit encore être adoptée par les conseils municipaux des 226 communes, et n’a pour l’instant pas d’équivalent dans d’autres départements, selon le préfet Rodrigue Furcy.
« Dans les Pyrénées-Orientales, entre 15 et 20 communes présentent des risques pour l’approvisionnement en eau potable. En ce qui concerne l’irrigation des potagers vivriers, dont l’arrosage est actuellement interdit, il pourra y avoir des dérogations pour les communes qui ont validé la charte », a-t-il estimé.
Le département frontalier de l’Espagne, qui s’étend des Pyrénées au littoral méditerranéen, est l’un des plus affectés de France par la sècheresse et se trouve en situation d’alerte depuis juin 2022.
Florence Vaysse, référente de Météo-France en Languedoc-Roussillon, pointe le niveau de précipitations : « à part le mois d’août qui était proche de la normale, tous les mois sont déficitaires depuis avril 2022. Pendant la saison de recharge, de septembre à mars, il est tombé 247 mm de précipitations pour une normale de 508 mm. A Perpignan, il est tombé 171 mm pour une normale de 405 mm ».
Des communes s’organisent. La station balnéaire de Sainte-Marie-la-Mer a mis en place un dispositif de réutilisation dans les toilettes de l’eau des douches des campings et équipements municipaux. Et la commune de Saint-Cyprien, également sur le littoral, attend un feu vert administratif pour mettre en service une unité de dessalement d’eau de mer afin d’arroser les espaces verts.
La Saur brandit le « Re-use »
Claira est depuis 2012 en stress hydrique. Actuellement l’eau manque été comme hiver. Dans cette situation, plusieurs alternatives pour préserver les ressources en eau sont étudiées dans le cadre de l’appel à projet Economie Circulaire de l’Eau de la Région Occitanie. Claira a été retenue pour son projet d’étude de 5 possibilités de réutilisation des eaux traitées (REUT) issues de sa station d’épuration (STEP).
Une étude de faisabilité a débuté en décembre 2022 avec l’autorisation de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer (DDTM) et du Préfet.
Cette étude s’accompagne d’un dialogue avec les Clairanencs qui a débuté le vendredi 9 décembre 2022 pour partager les informations, recueillir les attentes et répondre aux interrogations de chacun.
La municipalité poursuit le dialogue en organisant un point d’étape et d’échanges ouvert au public le mardi 18 avril de 17h30 à 19h30 à la station d’épuration rue de Torreilles à Claira.
Les scientifiques impliqués dans l’étude de faisabilité présenteront lors de ce point d’étape les premiers résultats de leurs analyses (qualité des eaux , hydrogéologie et socioéconomie).
Il est d’ores et déjà prévu une présentation de tous les résultats à l’automne 2023. C’est seulement après l’acquisition des données et des informations, leur partage avec les Clairanencs, le contrôle et la validation par les services de l’Etat, qu’une décision sera prise par le conseil municipal de continuer ou non le processus conduisant à la mise en oeuvre des différentes utilisations de la REUT.
Cette décision de la commune sera alors présentée lors d’une restitution de l’étude et de toutes les expressions recueillies et analysées objectivement au cours du dialogue, précise dans un communiqué le bureau d’études n charge de la communication du projet.
En se promenant dans le département, on croise partout les tractopelles de Veolia qui font de l’interconnexion.
En altitude les troupeaux n’auront bientôt plus de fourrage.
Et déjà, premier incendie, 1000 hectares de forêt partis en fumée dans le massif de Cerbère.