L’association FRENNE 66, très active pour la défense d’une gestion soutenable de l’eau dans un département sinistré, dénonce l’impéritie des pouvoirs publics.
Le département des Pyrénées-Orientales traverse depuis 3 années une sécheresse sans précédent notamment cet hiver, période normalement de hautes eaux. Avec des baisses de précipitations de 23% en 2021, de 45% en 2022 et de 48% sur l’année 2023. Face à la descente vertigineuse des nappes phréatiques et une sécheresse qui se prolonge, une mission d’appui auprès du Préfet du département a été décidée en urgence. Elle est conduite par les inspections conjointes du ministère de la transition écologique et celle de l’agriculture avec pour objectif de trouver des solutions structurelles et opérationnelles pour faire face à la diminution de la ressource.
La FRENE 66 a eu l’occasion de faire part de ses observations à cette mission. Elle constate le retard dans la planification pour un modèle résilient depuis les premières lois sur l’eau en 1992. En effet, il est plus facile d’énumérer ce qui a été fait que ce qui ne l’a pas été depuis cette date, et donc de ce qu’il reste à faire.
Pour les trois fleuves du département seulement deux Schémas d’Aménagement de Gestion de l’Eau ont été approuvés et encore que très récemment (Tech et Têt).
Pour l’Agly, dont le périmètre a été instauré en 1993, deuxième SAGE envisagé en France, il n’y a toujours pas de document approuvé, et toujours pas de structure porteuse. Le dernier rapport à la Commission européenne fait état de 67% des masses d’eaux superficielles qui n’atteindront pas l’objectif d’un retour au "bon état" qui est le principal objectif des SAGE. Le plan Macron lors de la sécheresse de 2023 propose à nouveau de généraliser ces schémas qui existent, rappelons-le, depuis 1992...
Pour la sobriété, le rapport de la Cour des comptes de juillet 2023 étrille quelque peu la gestion de l’État, et souligne toujours la priorité sur la sobriété prévue aux assises de l’eau de 2018. Pour la Cour des comptes, il s’agit d’une priorité « incontournable » qui nécessite forcément en amont de bien connaitre, d’une part l’état de la ressource disponible et dans le même temps les prélèvements effectués.
Deux domaines pour lesquels l’institution pointe un défaut de données qui, quand elles existent, sont trop « vagues », voire « erronées », ou bien comportent des « incohérences » et sont donc la source de contestations qui nuisent à l’élaboration de stratégies efficaces. Pour ce qui concerne les Pyrénées- Orientales, s’il est aisé d’admettre les chiffres sur les économies réalisées sur l’eau potable par le comptage en télérelève, ce n’est toujours pas le cas pour l’irrigation agricole où la connaissance des prélèvements est lacunaire.
Le plus gros levier pour la sobriété et sur lequel les collectivités peuvent agir immédiatement pour préserver cette ressource, c’est l’urbanisation et le prétendu accueil de population nouvelle dénommée « croissance démographique ». Les maires ont privilégié depuis de trop nombreuses années la rente immobilière plutôt que la préservation de la ressource, parfois d’ailleurs avec un déni sur le risque inondation (rapport CGEED n°014157-01 Bruno CINOTTI juin 2022). La Mission Régionale de l’Autorité Environnementale a eu à se prononcer sur une quinzaine de projets de lotissement depuis 2017 sur le territoire de la plaine du Roussillon sans que l’adéquation entre ressource et urbanisation soit démontrée par les collectivités. Cette irresponsabilité se traduit concrètement aujourd’hui dans des arbitrages douloureux et contraints des services de l’État entre irrigation agricole, eau potable et biodiversité pour des restrictions plus ou moins respectées et qui auront de plus en plus de mal à l’être.
La pénurie d’eau potable est à envisager si rien n’est fait en urgence dans le sens de la modération ces prochaines années. Le bilan du SCOT Plaine du Roussillon atteste de cette absence de modération. On y a construit deux fois plus de logements que de besoin. La croissance prévue est de 25 857 habitants en 2013-2023 pour 22 286 logements sur la même période. Alors qu’avec une moyenne de 2.5 hab/logt, les besoins ne sont que de 10 234 logements ;
La situation va-t-elle s’améliorer avec le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) ?
Rien n’est moins sûr. Le principe de la gestion économe du foncier était déjà inscrit dans la loi avant le ZAN. Mais cette incitation demandée aux élus n’a pas permis cette modération de consommation du foncier au détriment des Espaces Naturels Forestiers et Agricoles (ENAF). Le législateur a été obligé de recourir à une logique comptable avec la loi ZAN qui prévoit 50% d’économie pour la période 2021-2031 par rapport aux 10 dernières années écoulées. Mais des maires et des parlementaires la refusent ! Ces derniers n’ont eu de cesse de torpiller cette loi devant le Conseil d’État avant son application pour en vider la substance.
Maintenant que les décrets sont parus, on constate déjà dans les Pyrénées-Orientales que la trajectoire 2021-2031 de cette loi ne sera pas respectée comme le confirment les premiers chiffres de l’observatoire de l’artificialisation. En effet, le SCOT Plaine du Roussillon, qui couvre 77 communes, enregistre déjà un dépassement de l’allocation de 68 % pour la seule année 2021 (104 ha consommés au lieu de 61.5 alloués) et pour le SCOT Littoral Sud, imbattable dans la bétonisation de la côte catalane, c’est un dépassement de 202 % !
L’État interviendra-t-il très rapidement dans le cadre du contrôle de légalité pour faire respecter la trajectoire de cette loi ? La justice administrative, celle du tribunal de Montpellier, changera-elle sa logique favorable aux communes bétonneuses ? Là encore c’est la mobilisation citoyenne qui fera la différence pour qu’une autre logique que celle du court terme puisse émergée face au changement climatique et à la pénurie de la ressource en eau.
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