Les députés s’apprêtent à débattre, lors de l’examen du premier volet de l’Acte III de la décentralisation, de la création d’une nouvelle compétence obligatoire de « gestion des milieux aquatiques », qui serait impartie aux communes, EPCI, EPTB, voire aux départements et aux régions, selon les orientations propres aux différents protagonistes d’une affaire embrouillée à plaisir, et dont les conséquences à venir demeurent encore difficiles à cerner. Témoignage de cet imbroglio, la question orale publiée dans le JO du Sénat du 9 mai dernier, que le sénateur (PS), Pierre-Yves Collombat, souhaitait poser à Delphine Batho, et à laquelle Philippe Martin n’a bien évidemment pas encore répondu, alors qu’une partie des dispositions incriminées ont déjà été adoptées en première lecture au Sénat…
C’est un combat souterrain dont les très nombreux protagonistes, mobilisés par des enjeux différents, superposés, voire contradictoires ou antagonistes, finissent eux-mêmes par perdre le fil…
Au départ deux constats : la prévention des inondations, thème politiquement très sensible (Var, Xynthia…), est globalement très déficiente et il faut y apporter d’importants correctifs, des moyens, élaborer une stratégie, redéfinir la chaîne des responsabilités, etc.
Une mission commune d’information du Sénat « sur les inondations qui se sont produites dans le Var, et plus largement, dans le sud-est de la France au mois de novembre 2011 », co-pilotée par le sénateur (PS) Pierre-Yves Collombat, a ainsi dressé un très sévère diagnostic des graves carences en la matière.
La « Commission mixte inondations » a, par ailleurs, le 31 mai dernier, défini une très ambitieuse, et tout aussi contraignante « feuille de route », espérant éviter les conséquences des errements du passé.
Seconde ligne de front : les défaillances majeures de la gestion des milieux aquatiques, du « grand cycle de l’eau », dont personne ne s’occupe efficacement, ce qui explique que nous soyons en (grave…) difficulté vis-à-vis de nos engagements communautaires (DCE).
Autrement dit la protection de la ressource, sa préservation, ce qui passe par exemple par la mise en œuvre de la protection des captages d’AEP, la lutte contre les pollutions diffuses d’origine agricole, la mise en place des « trames bleues », la protection des zones humides, et aussi bien la protection de l’hydro-morphologie des cours d’eau, etc, sont aujourd’hui impartis à une foule d’acteurs dont le très grand nombre ne parvient pas à dissimuler une défaillance fatale : on manque cruellement de maîtres d’œuvre, de porteurs de projets, qui mettront en œuvre ces politiques aussi complexes qu’ambitieuses, lors même que des financements très importants vont leur être affectés de manière prioritaire dans les années à venir, comme en témoignent déjà les orientations des Xèmes Programmes des Agences de l’eau…
Dans le petit monde de l’eau français, totalement gangrené par les conflits d’intérêts permanents aisément identifiables dans toutes ses instances de décision : Agences, Onema, CNE, organismes de recherche, associations professionnelles, entreprises…, ces deux thèmes, au demeurant importants, ont suscité depuis 18 mois une bataille souterraine qui a fini par rendre incompréhensible, et la lecture des enjeux, et leurs perspectives de résolution.
Chacun défend son pré carré, mais guigne surtout les nouvelles parts du gâteau, qu’il ne s’agit pas de laisser échapper…
En schématisant à l’extrême : les collectivités locales vont se voir affecter autoritairement une nouvelle compétence de « prévention des inondations et gestion des milieux aquatiques », qui va être décidée lors de l’examen du premier volet « Métropole » de l’Acte III de la décentralisation, qui a déjà été adopté par le Sénat, et revient à l’Assemblée à partir du 15 juillet.
Ce sont les intérêts divergents des différents protagonistes de l’affaire qui ont fini, par étapes successives, par mélanger indissolublement « prévention des inondations » et « gestion des milieux aquatiques », avec le distinguo que pour le premier item il s’agit de contraintes, pour le second de nouvelles perspectives d’activité, et de marché, notamment pour les grandes entreprises du secteur de l’eau, qui ont déployé ces dernières années énormément d’inventivité, à l’image de Lyonnaise des eaux, qui a fait financer dans des conditions scandaleuses sa R-D dans le domaine de la nouvelle ingénierie environnementale par… l’argent public de l’Onema !
Et encore ne s’agit-il que d’une partie du problème, l’essentiel étant de savoir qui va être responsable demain de cette nouvelle compétence « gestion des milieux aquatiques », officiellement portée sur les fonts baptismaux sous couvert de « lutte contre les inondations »…
Les communes ? Non, puisque le projet de loi prévoit bien de leur conférer autoritairement cette compétence, mais pour les en dépouiller aussitôt… au profit des EPCI à fiscalité propre, qui pourront (ou non, c’est selon), la transmettre à leur tour aux Etablissements publics territoriaux de bassin (EPTB), dont l’appétit colossal a durablement marqué la période ☺
D’ailleurs l’AMF est vent debout contre cette nouvelle compétence « gestion des milieux aquatiques »…
Quant aux régions et départements, d’aucuns les verraient volontiers intervenir dans ce champ, d’autres non.
Et qui va financer quoi, comment, question sensible à l’heure où un Serge Lepeltier, président (UMP), du Comité de bassin Loire Bretagne, appelle déjà à l’insurrection face au projet, mortifère, du gouvernement, qui s’apprête à ponctionner 210 millions d’euros dans la trésorerie des Agences de l’eau…
Enfin, cette prise de compétence nouvelle va-t-elle conduire à un « transfert » au profit des collectivités locales de missions aujourd’hui exercées par les Agences de l’eau, les services déconcentrés de l’état, l’Onema ?
Le projet de loi est totalement muet sur ce point, comme il occulte le fait que le gouvernement n’a toujours pas décidé comment il allait se débarrasser du boulet de l’Onema, dont la disparition annoncée, es qualité de « cheville ouvrière » de la très problématique « Agence française pour la biodiversité » suscite autant d’hilarité que de consternation.
Dans ce contexte, aussi volatil que brumeux, il est dès lors intéressant de prendre connaissance de la question de Pierre-Yves Collombat, publiée au JO, qui n’a toujours pas obtenu de réponse…
« Rôle de l’Onema dans la prévention du risque inondation »
Question orale sans débat n° 0469S de M. Pierre-Yves Collombat (Var - RDSE), publiée dans le JO Sénat du 09/05/2013 - page 1467 :
« M. Pierre-Yves Collombat souhaite rappeler l’attention de Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie sur la Mission commune d’information du Sénat « sur les inondations qui se sont produites dans le Var, et plus largement, dans le sud-est de la France au mois de novembre 2011 » dont le rapport a été débattu en séance le 19 novembre 2012 en sa présence et qui a conclu à l’inexistence d’une politique de prévention de l’inondation en France, si l’on entend par politique une action cohérente et continue (rapport d’information n° 775 (2011-2012)).
Parmi les causes de cet état de fait figurent des objectifs théoriquement complémentaires, mais qui, dans la réalité, se contrarient, tels ceux de protection des populations contre l’inondation et de protection des milieux aquatiques.
Ainsi, en matière d’entretien des cours d’eau, la Mission a-t-elle fait le constat suivant : « Les rares personnes privées assurant leurs obligations et les collectivités locales voient leurs actions d’entretien des cours d’eau compliquées par les services chargés de la police de l’eau (…). Pas un élu rencontré par la mission qui n’ait fait état d’un conflit se terminant parfois devant le tribunal correctionnel, avec la police de l’eau, agents de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema) compris. S’il est un constat unanime, c’est bien que le principal obstacle à l’entretien des cours d’eau réside dans le zèle de la police de l’eau, zèle qui la conduit à intervenir même là où il n’y a pas de cours d’eau, au sens de la jurisprudence, donc pas de réglementation protectrice du milieu aquatique à faire respecter. Effet plus pervers encore : le zèle de la police de l’eau est une bonne raison de ne rien faire pour ceux qui ont légalement à charge l’entretien des cours d’eau ».
Les agents de l’Onema assurant environ un tiers des missions de police de l’eau, en principe sous la responsabilité du préfet, et la direction de cet organisme n’ayant pas jugé bon de répondre à ses interrogations concernant les orientations de la politique de l’Office, « notamment dans la mise en œuvre de ses missions, afin d’éviter qu’elles ne contrarient la prévention efficace du risque inondation » (lettre du 18/01/2013), il souhaiterait connaître son point de vue sur cette importante question. »
commentaires
Je veux simplement attirer l’attention sur la possibilité
de concilier les enjeux "inondations" et "milieux aquatiques".
En effet, je crois que dans l’idéal, la meilleure façon de protéger les populations du risque d’inondation et de préserver et restaurer les milieux aquatiques est de restaurer les espaces de liberté des cours d’eau et de créer de nombreux champs d’inondation contrôlée (CIC). Cette question soulève une problèmatique foncière importante. Elle est donc très politique et c’est une autre paire de manche. Mais j’y crois, les élus ont besoin de courage et de soutient. Il faut repenser l’aménagement du territoire autrement !
Je ne sais pas si cette remarque est pertinente vis à vis de l’article mais le sujet prêtait à mettre en avant cette solution pour sortir un peu du conflit d’intérêt "aménageur" et "écologiste".
Bien cordialement,
Faisons simple !
Un risque = un alea + une vulnérabilité !
Que les uns s’occupent des alea et que les autres s’occupent des vulnérabilités ! Et qu’un tiers les coordonnent !
Y aura de quoi faire !
Et Alea jacta est ! Comme dirait un Romain de chez Astérix.